Le cinéma reste décidément quelque chose de très mystérieux. Comme le dit David Lynch : « on meurt, on passe un bout de temps à rêver, et on revient ». Tout ça pour dire que Lettres d’Iwo Jima est un mauvais film. Un film fait à l’ancienne, dans le mauvais sens du terme : les gentils sont exagérément bons et souriants ; les méchants stupides et grimaçants. Tout est souligné et surligné. Tout ça est agaçant.
Pourtant on ressort d’Iwo Jima conquis, comme à la sortie de Mémoires de nos Pères. Impossible d’oublier ces films. Alors qu’est ce qui se passe ? Comment un film mal fait réussit à nous séduire ?
Il faut croire ici que le sujet emporte tout. Iwo Jima, c’est leur Verdun à eux : 22 000 soldats japonais, 1000 survivants. Le pragmatisme démocratique US face au fanatisme Jap. Sur le papier, c’est simple.
Mais Clint Eastwood est un rebelle. Derrière son cinéma de papy (et ses 77 ans au compteur), Eastwood est resté un voyou. Un renégat. Qui tape où ça fait mal. Dans Million Dollar Baby, sur les white trash. Dans Mémoires de Nos Pères, sur la propagande américaine. Dans Lettres d’Iwo Jima, sur les Marines, qui n’hésitent pas à abattre des prisonniers*.
Le film, pour le coup mieux construit (ou moins dé-construit) que son prédécesseur, s’attache donc à suivre deux personnages opposés. Le jeune boulanger qui préfère vivre, plutôt que mourir pour l’empereur, et le Général à qui l’on a confié le soin de mourir sur place avec ses 22 000 troufions, pour défendre le sol sacré du Japon. Au lieu de les opposer, Eastwood les rapproche. Deux composantes, finalement, du véritable héroïsme : tout faire pour survivre, ou tout faire pour combattre, et se défendre. Mais en aucun cas, mourir bêtement en criant Banzaï.
Eastwood s’attache à cette démonstration, alignant les scènes cultes (suicide à la grenade, menace de décapitation, flashbacks lourdement explicatifs), mais c’est là où le film pêche, par trop d’ambitions. Il lance ses filets de pêche, mais ne ramasse pas les poissons. Il y avait beaucoup de chose à dire sur le fanatisme japonais, engendré par 50 ans de dictature fasciste dévoyant à son profit l’idéal samouraï. Il y avait un autre film à faire, sur l’étrange fascination du Général pour les USA, pays qui l’avait accueilli comme attaché militaire avant le conflit 39-45. On s’attendait aussi à vivre, comme dans Mémoires de nos Pères, aux cotés des japonais, enfermés dans ce volcan-sanctuaire jusqu’au bout. Mais Eastwood lance toutes ses perches, et puis il les lâche, ce qui donne ce côté inabouti au film.
De même, on espérait voir se croiser, d’une manière ou d’une autre, les protagonistes du premier film. A part deux coïncidences, le film évitera cela, et c’est peut être –finalement – le vrai message du film. A la guerre, malgré les apparences, on ne se rencontre pas. On se voit à distance. On se tire dessus. Au contact, on s’égorge à la baïonnette. Mais c’est la méconnaissance totale qui prévaut, sous le voile de la propagande. Il y avait déjà cette idée en suspens dans Mémoires de Nos Pères (qui sont ces Japs que nous combattons ?), mais ici, c’est LE sujet. Une scène très artificielle (mais très belle) vient rappeler aux japonais abasourdis que les américains aussi ont des mamans ! Comme si après deux heures de film, nous nous soyons tellement éloignés de l’Amérique qu’il faille nous le rappeler…
*Rappelons au passage que cette scène fait écho à la même scène dans Il Faut Sauver le Soldat Ryan (réalisé par S. Spielberg) et Band of Brothers (produit par S. Spielberg) ; Lettres d’Iwo Jima étant co-produit par le même Spielberg)
9 mars 2016 à 17 h 24
[…] *Eastwood en fera la démonstration l’année prochaine, en filmant Iwo Jima du côté japonais : Letters from Iwo Jima […]