Le paradoxe est magnifiquement expliqué dans Évidences Invisibles de Raymonde Carroll : nous ne comprenons pas pourquoi les américains parlent de façon si obscène de l’argent, et nous, du sexe.
La visionnage de Zack et Miri Tournent un Porno m’a rappelé des passages de cet ouvrage, à recommander à tous les diseurs de généralités, sur les étrangers en général, et les américains en particulier.
Dans le film de Kevin Smith, le spectateur passe du porno au mélo sirupeux avec une confondante aisance. Ce n’est pas grâce à Kevin Smith, mais bien aux valeurs américaines qui sont en jeu.
Pour les américains, le sexe c’est mal. Ce qui compte, c’est l’image que peut donner le couple à l’extérieur. Une raison pour laquelle, d’ailleurs, les maisons américaines ont souvent de grandes baies sur la rue : rien ne doit être caché aux voisins. De même, si votre couple se déchire, il importe d’être « supportive », c’est à dire de continuer à soutenir sa femme ou son époux en société, ou dans ses projets.
En 1992, des amis américains m’avaient permis de concrétiser mon fantasme : piloter un avion. Quand je leur confiais, enthousiaste, que c’était « le meilleur quart d’heure de ma vie », ils regardèrent Mme La Professore avec commisération : le meilleur quart d’heure de ma vie n’était-il pas le jour où je l’avais rencontré ma tendre épouse ?
Pas étonnant que le sexe soit aussi censuré dans cet univers de decent american people, comme les fustigeait William Burroughs.
Partant, le cinéma US est d’une pauvreté absolue en la matière. Visuellement, l’amour physique ne peut être représenté que de deux manières, bien allégoriques : si on s’aime, c’est sagement et au lit. Si c’est une passion violente, subite, dangereuse, c’est contre le mur ou la porte. Toute autre possibilité représente une attitude anxiogène, souvent réservée aux méchants. Qu’on pense aux gâteries de Sharon Stone, dans une scène dramatique de Casino, ou à la diablesse Kathleen Turner dans La Fièvre au Corps. Quand la passion physique est au rendez vous, c’est que le crime ou la punition n’est pas loin. William Hurt sera bien puni de ses aventures avec Kathleen Turner, comme les héros de Volcano, où tous les pécheurs sont punis par le volcan : un couple brûle dans l’eau bouillante même où ils avaient batifolé. Dans Armageddon, Ben Affleck, même s’il aime sincèrement Liv Tyler, doit régulariser impérativement sa situation en l’épousant… Hey, les gars, c’est l’an 2000 !
Dans Zack et Miri tournent un Porno, Kevin Smith aligne les plaisanteries les plus salaces, pour ne pas dire les plus scatos, mais ne franchit jamais la ligne jaune du sexe pour le sexe.
Les seuls explorateurs de ces noirs penchants sont évidemment les séries, qui depuis HBO ont attaqué la Montagne du Sexe comme ils avaient déjà gravi les Cols de Drogue, de l’Homosexualité, et de la Politique.
Cela n’allait pas de soi, car les séries étaient encore plus consensuelles que leurs grands frères filmiques. Friends parlait cru, mais pour revenir ad nauseam sur les valeurs traditionnelles, tout en faisant mine de s’en affranchir. Seinfeld, lui aussi avait lancé le débat par de nombreuses allusions sexuelle (et son célèbre « Is it spongeworthy ? »), tout en assumant sa pudibonderie… Mais c’est le câble, et surtout Sex and The City qui ont fait énormément pour le sujet, en décomplexant la question, tout en conservant habilement la quête éternelle du Prince Charmant, mais en y fournissant quatre éclairages possibles. Oz, Rome, Spartacus, Six Feet Under, ont passé la barrière avec succès, en parlant d’autre chose.
Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que l’audace est à la télé.
8 septembre 2015 à 16 h 02
[…] Gaspar Noé a tout d’un frère. Il a notre âge, il aime les mêmes choses que nous, et partage grosso modo le même point de vue libéral sur la techno, le sexe, les drogues. Sur la sexualité, il se pose la question que nous nous posons depuis toujours : pourquoi le sexe est aussi mal représenté à l’écran ? Dans le cinéma américain, en effet, il semble n’y avoir que deux itérations possibles : la position du missionnaire pour le couple amoureux, et la fille plaquée debout contre la porte pour la passion fougueuse. Tout le reste du kama sutra semble réservés aux personnages damnés, comme expliqué ici. […]