Si le cinéma est le miroir de l’âme d’une nation (c’est notre théorie à CineFast), que dire des séries télé ? Encore plus, sûrement. Car elles sont l’âme quotidienne de la nation, son cœur battant. Chaque semaine, le cœur français vie au rythme de Julie Lescaut, chaque jour, à celui de Plus Belle la Vie. L’Amérique bat-elle au rythme de 24 ?
Les X-Files avaient donné le ton, de manière prémonitoire, en 1993. Les USA y étaient dépeints comme un pays fasciste, qui cachait la vérité à ses concitoyens, n’hésitant pas à tuer pour dissimuler ses mensonges, et à mener d’incroyables expériences génétiques dans le cadre de son complot extra-terrestre. X-Files surfait sur la vague conspirationniste, anciennement implantée aux USA depuis l’assassinat de JFK. C’était aussi une version démocrate, avec un Mulder libre penseur, défendant, en quelque sorte, la liberté d’expression.
Il en va tout autrement de Jack Bauer, le héros « républicain » de la Fox, chaîne bushienne s’il en est. Le premier épisode est diffusé en novembre 2001 ; Ecrit très avant le 11 septembre, on ne peut donc y voir une illustration du traumatisme du World Trade Center. Pourtant, depuis, 24 a multiplié les clins d’œil à l’actualité, en y apportant un éclairage terrifiant. La torture y est par exemple très souvent utilisée, et la plupart du temps justifiée. Les étrangers sont malfaisants, ou idiots. Rien ne vaut une vie américaine ; on peut y sacrifier n’importe quelle autre population, pour sauver ne serait-ce qu’un seul citoyen américain. Ces choses là sont finalement assez communes dans le cinéma américain, même dans des séries très respectables comme The West Wing. Mais c’est l’incroyable mélange de réalisme et d’invraisemblance qui crée chez le téléspectateur une gêne, mais aussi une fascination…
Si on prend la saison 5 en cours (rassurez vous, je ne révélerai rien qui ne soit déjà diffusé sur TF1), elle est assez symptomatique de la confusion qui règne dans cette nation qui gouverne la planète.
– Jack Bauer s’est fait passer pour mort car son gouvernement (sic) l’avait donné au gouvernement chinois pour qu’il soit exécuté.
– Sauvé de justesse par son ami David Palmer (Président des Etats-Unis, et noir), celui-ci se fait assassiner. (Ce point est remarquable d’ailleurs sous deux aspects : 24 est réactionnaire, mais on n’hésite pas à faire élire un président noir, ce qui, de nos jours, est encore peu crédible. Il se fait néanmoins assassiner dès le début de la saison. Par ailleurs, in real life, Colin Powell a déclaré qu’il avait renoncé à la présidence sous la pression de sa femme, qui craignait de le voir assassiner…)
– Le président actuel est un imbécile outrageusement indécis (on pense à Bush), très mal entouré (ce qui est le contraire de Bush). D’ailleurs, dans la série, la présidence des Etats-Unis est entourée de très peu de conseillers, tous incapables, machiavéliques ou corrompus et/ou de la famille directe du président (sa femme en général). De plus, le président gère les crises en direct avec le petit personnel (agents secrets, garde du corps). Belle vision de la fonction présidentielle et du gouvernement.
– Dans 24, tout est fiché, tout se trouve quelque part sur un ordinateur. Une vision qui plait beaucoup aux informaticiens, mais qui, heureusement, est erronnée. Par exemple, vous pouvez avoir un abonnement Canal+ et ne pas déclaré de téléviseur au fisc, et aucun ordinateur ne pourra jamais le savoir. Mais pas dans le merveilleux monde de 24, où tout se trouve sous les doigts de fée de Chloé, la collègue futée de Jack.
– Parlons-en, des collègues de Jack : il semble que la moitié de l’activité de la cellule anti-terroriste consiste à démasquer l’ennemi intérieur, à savoir un autre agent, un collègue de travail, un voisin de bureau. En quelques épisodes, voilà déjà trois agents du CTU mis au trou. Le CTU, mieux que le Guépéou ?
– Dans 24, on négocie très souvent avec les terroristes (c’est normal, le gouvernement est corrompu). Par exemple : « je ne bombarde pas Los Angeles de Neurotoxiques si vous m’aidez à assassiner le président russe avec qui vous venez de signer un traité de désarmement.» Le président réfléchit 30 secondes, mais préfère sauver des vies américaines. Il donne donc le trajet du président russe, au grand dam de sa femme. Qui elle, embarque illico dans la voiture du dirigeant du Kremlin, pour lui sauver la vie. Dilemme pour le président US : tuer sa femme et sauver des vies américaines, ou sauver sa femme, en sacrifiant des vies d’angelinos ?
Tout cela, on le voit, confine au délire paranoïaque ; l’Amérique est entourée d’ennemis. Elle ne quitte l’un que pour trouver l’autre, sans parler de l’ennemi intérieur. Seuls des hommes d’exceptions, à l’âme trempée, pourront la sauver.
En face, suprême ironie, les terroristes regardent… Fox News.
PS Il est d’ailleurs tout aussi remarquable que 24 engendre en France une fascination, en particulier chez les gens de gauche. Les mêmes qui vouent aux gémonies aussi bien les Etats-Unis que le cinéma américain, s’attaquant à des gens aussi peu politisés que Spielberg ou Dan Brown, Transformers ou Les Experts… tout en faisant montre d’un aveuglement incroyable face aux provocations de 24. Seraient-ils tétanisés, comme le PS face à Nicolas Sarkozy ?
27 novembre 2007 à 20 h 01
[…] Si, après avoir visionné 24 ou Transformers, l’on doutait encore de l’état de confusion mentale qui règne aux Etats-Unis, Le Royaume achève de vous convaincre. Voilà un film qui change tellement de casquette que l’on frôle la schizophrénie. […]
29 mars 2008 à 0 h 37
[…] Comme 24, pour ne pas la nommer, Dexter est une série extrêmement réactionnaire. Elle se cache, contrairement aux pérégrinations de Jack Bauer, derrière une prétendue malpensance. […]
8 avril 2009 à 22 h 06
[…] fans de 24 me gonflent, surtout lorsque je les asticote sur le républicanisme réac de leur série culte, […]
30 juillet 2010 à 13 h 29
[…] comme je l’ai déjà expliqué ici avec 24, ces films font preuve d’une grande complaisance vis-à-vis de ce qu’ils prétendent […]
31 août 2012 à 12 h 10
[…] dans la même dimension, 24, la série la plus fascisante qui soit recueille aussi l’admiration du même type de […]
12 octobre 2012 à 19 h 08
[…] On a dit ici tout le mal que l’on pensait de la série qui fascina tant la critique française, au plus grand effroi du Professore. Car si l’on résume le pitch du plus grand succès de la Fox, cela pourrait donner cela : l’Amérique est entourée d’ennemis. Son gouvernement est incompétent, et, le plus souvent, corrompu. Pire, ceux qui sont chargé de nous protéger(le CTU) est probablement vérolé de l’intérieur. Le héros (Jack Bauer) a perdu femme, amante, confiance dans ses supérieurs, et probablement, un peu d’estime de soi. Cette vision terrifiante n’aurait pas eu autant de succès si elle ne dépeignait pas, avec quelque justesse, l’Amérique d’aujourd’hui. Du moins telle que l’Amérique se voit et se ressent. En clair, huit ans de paranoïa bushiste : ennemis extérieurs multiples, ennemi intérieur pourchassé au prix des libertés individuelles, par ailleurs si chères au citoyen américain… […]