James Gandolfini est mort. Si vous n’avez jamais vu les Sopranos, ça ne vous dira pas grand’ chose. Pourtant, vous avez déjà vu James Gandolfini, la plupart du temps dans des rôles de connard odieux. Où il était parfait : le lieutenant raciste d’USS Alabama, c’est lui. Le tueur dépressif, amateur de putes de Cogan, c’est lui aussi. Le directeur de la CIA de Zero Dark thirty, le général US d’Into the Loop, c’est encore lui. Une tripotée de films où James Gandolfini a joué les utilités.
Mais le grand rôle de sa vie, et peut-être le plus grand rôle de l’histoire de la télé américaine, c’est Tony Soprano.
Quand la série débarque sur HBO en 1999, c’est tout de suite un immense succès, et pour cause. Ce gangster de banlieue qui se met à la thérapie, ce n’est rien de moins que le portrait de l’Amérique que David Chase se met à peindre. Une Amérique obèse, sûre d’elle-même, dominatrice, à la limite du gangsterisme Bushiste, mais une Amérique qui se met soudain – après deux cent ans d’optimisme béat limite naïf – à douter d’elle-même.
Derrière des histoires simples (les petits trafics des Sopranos, les histoires d’amour et de cul, les problèmes du quotidien), c’est le tableau implacable de la corruption du pouvoir, de la déliquescence de la famille, de la décadence de la société consumériste. La mafia (à front renversé de l’opéra en 3 actes qu’est Le Parrain), n’est qu’un accessoire dans Les Sopranos : un simple décor pour d’autres aventures. La Famille, métaphore de la famille. On ne verra dans Les Sopranos que peu de coups de feu, et encore moins de morts. Mais s’y installe une violence bien plus terrible : l’intimidation quotidienne, née de quelques coups de poings ou de simples menaces. La vérité, tout simplement.
Bien sûr, les scénarios étaient excellents, le cast , absolument incroyable (jusqu’aux enfants, qui ont grandi pendant six ans devant nos yeux ébahis). Bien sûr, la série, c’est avant tout un sans-faute, pas un seul épisode à jeter, et une fin grandiose, ce qui caractérise la série chef d’œuvre, comme nous l’expliquions ici.
Mais pour le spectateur, la série restera celle de Tony, et James Gandolfini, un immense acteur qui a su offrir à David Chase une palette extraordinaire de sentiments, de nuances, de la déprime à l’exaltation, de la bonhomie à la violence la plus brutale, de l’abjection pure à un sens rural de la justice.