Sur l’amicale pression de mes amis, Notre Agent Au Kremlin, Ludo Fulci et Rupélien, je suis allé voir, comme le condamné va à l’échafaud, Le Loup de Wall Street. On l’a déjà dit, c’est la meilleure posture pour aller au cinéma : on ne peut qu’être agréablement surpris. Il restait cependant la voix désagréable de James Malakansar, Jiminy Cricket de mauvais augure, qui me susurrait à l’oreille « C’est trop long / Chaque scène est trop longue / C’est trop long ». Évidemment, pendant le film, je chronométrai chaque scène. Ce qui eut l’avantage de me faire oublier les mangeurs de pop corn, la nouvelle plaie d’Égypte du MK2 Bibliothèque, après les pubs pour la MAIF.
Mais voilà, si Malakansar a raison à chaque scène, il a tort sur l’ensemble du film, qui est formidable. On ne s’ennuie jamais. La virtuosité de Scorsese, qu’il n’a jamais perdu ces dernières années alors s’il s’est perdu lui-même, n’est jamais prise en défaut. La caméra est toujours là où il le faut, et n’en fait jamais trop. La musique est parfaitement choisie, comme au temps béni des Affranchis.
On a l’impression, en fait, de retrouver ce Scorsese-là. Et on se met à penser que si le film est aussi passionnant, c’est parce que ce n’est pas tant Wall Street qu’on nous décrit, mais bien quelque chose de bien plus personnel : Scorsese lui-même. Comment ne pas faire le parallèle entre Jordan Belfort, ce petit mec de Brooklyn lâché dans le bain de la finance et le jeune Scorsese, lâché dans l’Hollywood des années 70 ? Comme lui, Scorsese « vend du vent », comme lui, Scorsese va tutoyer les sommets, comme lui, Scorsese va sombrer dans les drogues. La description précise et fascinée de la coke, du crack, des quaaludes, semblent venir directement du cerveau scorsesien. Quant aux fêtes orgiaques de Stratton Oakmont, la compagnie de courtage de Di Caprio, elles ne dépareraient pas dans Box Office, la sulfureuse bio du producteur Don Simpson, ou dans l’Hollywood Babylon de Kenneth Anger sur l’Age d’or Hollywoodien. Ce qui explique, par ailleurs, la grande compassion, pour ne pas dire mansuétude, dont fait preuve le réalisateur, pour son personnage principal.
Car à tout seigneur, tout honneur : Di Caprio est immense dans le rôle-titre. S’il est évident que Scorsese s’est trouvé, depuis Gangs of New York, un fils de substitution, cela n’incite pas à la facilité. Dans Le Loup de Wall Street, Di Caprio ne joue pas un rôle, il les joue tous ! Idiot, brillant, défoncé, génial, charismatique, sans prendre pour autant la main sur ses collègues, l’impressionnant Jonah Hill qui sort des comédies de Judd Apatow, Matthew McConaughey en Gordon Gekko Sioux, ou notre chouchou Kyle Chandler, coach Taylor rescapé de Friday Night Lights, qui joue ici les Columbo de service.
Car tous les acteurs sont formidables. Dans un film qui regorge de petits rôles, pas une scène n’est ratée. On sent la présence du metteur en scène derrière chaque comédie, lui donnant le temps qu’il faut, l’attention qu’il faut pour qu’il puisse jouer sa partie à la perfection et que celle-ci s’imbrique ensuite parfaitement dans l’immense cathédrale Scorsesienne.
L’autre coup de génie, c’est de ne pas s’être enfermé dans le biopic, comme c’était malheureusement le cas de The Aviator. En optant ici pour la comédie, la farce shakespearienne, il évite le pathos et l’ennuie qui guette ; Scorsese n’est pas le moraliste de Wall Street, car, comme dirait Machiavel, celui qui trompe trouvera toujours qui se laissera tromper. Tout cela n’est rien qu’une gigantesque comédie, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot et qui n’a pas de sens.
3 janvier 2016 à 10 h 59
[…] pour nous raconter tout ça. A tel point que la Professorinette trouve Goodfellas très inspiré du Loup de Wall Street. Rise and fall du narrateur. Regards caméras et voix off. Attention, la Professorinette sait que […]