Ce qu’il y a de plus passionnant dans les entretiens Hitchcock/Truffaut, pour nos regards modernes, c’est probablement la franchise débridée des deux cinéastes. Une franchise d’autant plus étonnante pour nous, spectateurs d’aujourd’hui, qui sommes habitués au cirque publi-promotionnel des stars en service après-vente ou en making-of : « J’ai adoooré travailler avec Truc ! » « Quand vous avez une actrice aussi exceptionnelle que Machine… » « J’avais toujours rêvé d’adapter les œuvres de Bidule… », etc., etc.
Avec Hitchcock, rien de tout cela. Tout le contraire plutôt. « Selznick voulait faire ce film, et il me l’a confié parce que je rapportais trop d’argent à la concurrence* » « Machine était très belle, mais c’était une assez mauvais actrice » « Gregory Peck n’est pas vraiment crédible en avocat anglais, car ce sont souvent des gens très cultivés » « Travailler avec Raymond Chandler était une idée catastrophique », etc., etc.
Certes, Hitchcock est à la fin de sa carrière et il sous-estime sûrement le retentissement que va avoir le livre, mais c’est aussi une leçon de casting qu’il transmet.
Humanistes que nous sommes, nous nous refusons à enfermer les gens dans des cases. Pourtant, il est évident qu’un acteur ne peut pas tout jouer. Gregory Peck n’est pas crédible comme avocat dans Le Procès Paradine mais il sera un excellent commando dans Les Canons de Navarrone. Allida Valli est trop belle pour jouer une bonne. Tout comme le soulignait récemment un critique du Masque et la Plume (suscitant par là une belle polémique et des dizaines de lettres outragées), Golshifteh Farahani est aussi trop belle pour faire une institutrice crédible chez les bouseux de My Sweet Pepperland.
Tout comme HBO a choisi principalement des acteurs britanniques pour Game of Thrones car un acteur américain est tout simplement incapable de prononcer un anglais précieux, et c’est l’idée qu’on se fait d’un personnage moyenâgeux, a fortiori noble.
Par ailleurs, Hitchcock explique qu’un acteur doit être beau, tout simplement pour que le public l’aime et s’identifie à lui. C’est pour cela qu’on voit bien souvent dans les rôles principaux des vieux beaux avec des petites jeunes. Pas par pur sexisme, mais bien parce que le Tom Cruise (51 ans) de Edge of Tomorrow continue de faire fantasmer les femmes, tandis que les hommes préfèrent une Rita jeunette, façon Emily Blunt (31 ans).
Hitchcock explique aussi que bien souvent, c’est avant tout des contingences extérieures, le plus souvent économiques, qui décident du casting. Si Allida Vali joue dans Le Procès Paradine , c’est parce qu’elle est en contrat avec Selznick et que celui-ci pensait pourvoir en faire la nouvelle Ingrid Bergman. Si justement Ingrid Bergman est la star des Amants du Capricorne – un film raté selon les propres dires de son auteur – c’est qu’Hitchcock pensait à tort qu’elle allait faire vendre le film.
Vous pensez que tout ça a bien changé, que le Professore affabule, que l’âge d’or esclavagiste des Studios est mort dans les années soixante ? Allez voir Map to the Stars. C’est la bonne nouvelle de la semaine : David Cronenberg is alive. And kicking.
* Hitchcock était loué à l’époque à la Fox
8 août 2015 à 14 h 29
[…] se lâche. Il a fait le boulot durant toute cette semaine de 1962, nous expliquant, en vrac, que Gregory Peck n’est pas vraiment crédible en avocat anglais, que le seul véritable art du cinéma, c’est le […]
30 janvier 2016 à 17 h 06
[…] 5. Tu créeras des décors qui auront l’air vrais 6. Tu ne confondras pas surprise et suspense 6. Tu considéreras le Casting comme un art à part entière 7. Mais tu sauras que le seul véritable art du cinéma, c’est le montage 8. Tu économiseras les […]