Avec 2012, Roland Emmerich signe l’impossible retour de la Grosse Connerie Américaine. Retour car c’est bien le come-back d’un genre englouti (hélicos, explosions, immeubles qui s’écroulent), mais impossible retour, car le monde a changé de puis l’Age d’Or de la GCA…
Car, même si on peut le regretter, le film catastrophe américain, la GCA (Independence Day, Armageddon, Volcano, Le Pic de Dante) a complètement disparu des écrans. Un coupable ? Oussama Ben Laden, qui offrit un jour de septembre, en direct et en vrai, la destruction de New York et du Pentagone, deux figures de style incontournable de la GCA. Une réalité qui a semble-t-il vacciné pendant dix ans le public US contre la fiction, ses explosions, ses tours qui s’écroulent, et sa Maison Blanche en flammes.
Un autre phénomène, artistique lui, est passé par là : le blockbuster intelligent. Après Titanic, et ses personnages creusés, après Deep Impact, et son génial mélange mélo-filial et astéroïdes dans la gueule, il n’est plus possible de faire aujourd’hui un film comme 2012. Eh bien Roland Emmerich l’a fait, en réalisant un film parfaitement distrayant, mais d’une connerie abyssale.
On passera rapidement sur l’aspect distraction, puisqu’il est quasi acquis que vous irez le voir, sinon vous auriez déjà été chroniquer ailleurs : oui, les images sont parfaites (malgré beaucoup de séquences en vidéo HD. Eh oui, c’est comme ça, maintenant, ma ptite dame !), les effets spéciaux sont bluffants (la jolie vague, la jolie lave, les beaux navions), même si on n’est plus guère bluffés par les effets spéciaux aujourd’hui…
Non, ce qui est consternant dans 2012, c’est la bêtise du scénario. Et c’est un type qui vénère Armageddon qui vous dit ça…
Tous les poncifs y passent. Le père, divorcé (John Cusack), la femme, remariée à … Un chirurgien esthétique. Le jeune noir idéaliste. Le président noir idéaliste. Veuf. Le conseiller blanc du Président, corrompu (il s’appelle Hadès). Le méchant magnat russe et ses deux enfants obèses. La maîtresse blonde (et donc fofolle) du magnat russe. Etc, etc.
Comme dans Le Pic de Dante, ceux qui ont péché sont condamnés : les gros, les russes, les chirurgiens esthétiques… Les gentils sont sauvés : le divorcé, les enfants, la femme, et comme l’a théorisé Michael Haneke dans Funny Games, le chien*…Et puis toujours, cette incroyable contradiction américaine : les riches ont toujours le mauvais rôle dans un pays qui vénère l’argent.
Le problème de 2012, c’est, encore une fois, de rater son genre. Si Roland Emmerich veut faire une tragédie, il doit lorgner du coté de Deep Impact ou Titanic. S’il cherche le divertissement, il doit assumer le fun d’Armageddon, le délire Fast & Furious, la démesure Transformers, l’humour Pirates des Caraïbes…
Quelques exemples :
Les scènes tragiques ne fonctionnent pas dans 2012. On rit à gorges déployée, et évidemment ce n’est pas voulu. Pourquoi !? Les personnages n’ont aucune épaisseur psychologique, et sont joués par des comédiens sans âme, et surtout, sans personnage.
Au contraire, Tea Leoni, dans Deep Impact a un vrai personnage : jeune journaliste, belle, carriériste, douée, appréciée de ses chefs, mais en conflit avec son père. Ces éléments, lentement amenés dans le film, éclairent superbement ses choix à la fin du film : l’émotion est là.
Dans Titanic, les seconds rôles ont une histoire, même minime. Le couple de retraités qui se couchent paisiblement dans leur cabine envahi par l’eau, la mère qui endort ses enfants avec un conte de fées, ces scènes seraient ridicules, si ces personnages n’avaient pas été « posées » avant par Cameron.
Roland Emmerich aurait pu choisir l’autre option, fun, républicaine, mauvais esprit, Simpson-Bruckheimer, mais il est trop prétentieux pour cela. Il agite pourtant les mêmes thèmes : « Washington vient d’être balayée ! » « Bonne nouvelle ! Depuis le temps qu’il fallait nettoyer ce bazar ! »… Le porte-avion Kennedy qui écrase la Maison Blanche (attention, symbole !), et toujours cette vision simplificatrice du monde (les tibétains, sages, les chinois, ouvriers, les indiens, scientifiques, les italiens, cathos, les français, en DS…) Mais il manque par trop d’humour, pour que la sauce prenne. Le film veut être pris au sérieux : il l’est.
Finalement, Emmerich est comme toujours le cul entre deux chaises : pas vraiment américain (il est allemand), il a le syndrome de l’immigré**, et fait tout pour être américain, en s’emparant de la mythologie US : The Patriot, Independance Day… Mais il n’y est jamais vraiment, et ne peut s’empêcher à chaque fois de détruire l’Amérique : dans Le Jour d’Après, les yankees demandent l’asile (sublime ironie !) aux mexicains !!!
Dans 2012, l’Amérique est engloutie et c’est l’Afrique qui survit…
Dans Deep Impact, Armageddon, Transformers, et même La Guerre des Mondes, la Mère Patrie est toujours sauvée à la fin…
Allez, Roland, encore un effort pour être américain…
* Qui s’empressa d’en tuer un dès la première scène de sa terrifiante critique du cinéma américain.
** Thèse défendue par A.G. Beresford. (Cette chronique n’aurait pu être possible sans le concours, dans la salle puis au pub, de deux docteurs honoris causa de la GCA, James Malakansar et A.G., qui comptent plusieurs dizaines de GCA à leur actif. Qu’ils en soient publiquement remerciés ici.)
25 novembre 2009 à 19 h 49
alors on arrête de se moquer de moi maintenant !!! 🙂
25 novembre 2009 à 20 h 33
« Le film veut être pris au sérieux : il l’est. »
Faudra que tu m’expliques cette théorie …
En attendant ta critique de The Box …
25 novembre 2009 à 22 h 42
Halleluyah, le professore ouvre les yeux !
Pour ajouter un peu au débit d’Emmerich, je n’y ai pas trouvé de distraction, alors que je suis amateur des tartufferies les plus invraisemblables en matière d’effets spéciaux. 2012 dépasse tellement les limites de la cohérence que les scènes d’actions en sont grotesques, et ennuyeuses aussi parce qu’elles sont toutes si prévisibles et répétitives. En bref, un vrai film catastrophe.
26 novembre 2009 à 9 h 26
ouille, j’ai raté cet excellent titre : « un vrai film catastrophe », effectivement, mais nous, on a bien rigolé… les coûts et les douleurs…
quant au sérieux, 2012 se pose comme une vraie tragédie, on la prend donc au sérieux. Si ça ne fait pas pleurer, c’est raté.
26 novembre 2009 à 11 h 44
J’ai beau vouloir, je ne comprends pas comment on peut un seul instant envisager que « 2012 se pose comme une vraie tragédie ». Pour moi, c’est du même domaine que Indiana Jones et le Crâne de Crystal, avec les mêmes qualités (ça ne fait pas mal à la tête, c’est parfait pour un soir où tu rentres du travail fatigué) et les mêmes défauts (un scénario tout pourri, des effets spéciaux qui se voient, des acteurs qui cabotinent, …)
26 novembre 2009 à 19 h 33
Eh ben non, justement, Indy IV se pose en divertissement (ce qui ne l’empêche pas d’être raté, j’en conviens), mais il ne se pose jamais en mélo : pas de président veuf qui pleure sa femme « I’m coming home Dorothy », pas de choix titaniesques (dois-je sauver ma mère, mon père, mon frère, mon voisin ? ». on en joue pas dans la même cour. C’est un choix, jamais une garantie de succès ou d’échec, mais il faut juste respecter la forme choisie…
27 février 2013 à 20 h 29
[…] un film intelligent sur Shakespeare, réalisé par… Roland Emmerich. Oui, l’artiste de 2012, l’esthète de Independance Day, le fin dialoguiste du Jour […]