Ô amours défuntes ! Ô doux oiseaux de jeunesse ! Il fut un temps, pré-matrixien, où l’on ne pouvait vivre sans Ridley Scott. Un temps où les films de SF se comptait sur les doigts d’une main… Ridley fut notre seul prophète, notre espoir, le temps de deux films … Il joua si bien son coup que l’hypothèque, chez les quadras de ma génération, ne se lève que maintenant, après une bonne dizaine de déceptions.
Je ne vais pas vous la faire : pour moi, l’affaire était entendue depuis longtemps. Depuis 1987, pour être précis, le jour où notre barbu quitta la Kubrick League pour rejoindre la 2ème Division John Badham, celle des gentils faiseurs d’Hollywood. Ce jour-là s’appelle Someone to Watch Over Me, un polar poussif qui révéla au grand jour l’incompétence crasse de Ridley, et sa spécialisation désormais certaine dans ce que j’appellerai le film de Décorateur.
Qu’est-ce qu’un film de décorateur ? Il y a des films de réalisateur (c’est à dire qu’on s’y préoccupe surtout de travelling et de cadrage) et les films de décorateur, où, en plus, on s’occupe de faire beau : beau travelling, beau cadrage, mais aussi beau décor et beau costume. Comme par hasard, ça vient souvent de la pub : Russel Mulcahy, Jean-Jacques Beineix, Tony Scott.
Ridley Scott est un ancien publicitaire ; il sait l’importance du réalisme dans le décor, dans les costumes. Ce réalisme permet au spectateur une plus grande identification à l’univers du produit. Mais Ridley ignore l’importance d’un bon scénario, d’une bonne direction d’acteur et surtout, d’une véritable histoire à raconter. Il est d’ailleurs intéressant de comparer la carrières des frères Scott. Tous deux publicitaires, tout deux réalisateurs « décorateurs »… Pourtant, Tony a fini par surpasser Ridley. Car Ridley s’y croit, quand Tony admet n’être que l’employé de producteurs talentueux (Simpson/Bruckheimer, pour ne pas les nommer).
C’est là que le bât blesse. Ridley a la grosse tête. Brillamment entouré au début de sa carrière, piloté par des scénaristes/producteurs sérieux, c’est bien ce qui manque aujourd’hui. Mais reprenons depuis le début…
Ce fut le temps de deux chefs d’œuvre, évidemment : Alien et Blade Runner. (Les magnanimes ajouteront Duellistes). Deux œuvres séminales et fondatrices. Alien fut pour tous un choc, la traduction de visions entrevues dans la littérature SF : nos cauchemars d’un futur sordide et mercantile se concrétisaient enfin. Quelqu’un voyait comme nous !
A l’époque, le cinéma n’offrait que du space opera ridicule, en jupettes de cuir, tuniques blanches et sabres laser (je ferais un jour un sort à la prétendue « œuvre » de Georges Lucas). Il y avait aussi quelques films sombres (L’Age de Cristal, La Planète des Singes…), mais la déco faisait tellement défaut (et coûtait tellement cher) que ces films, à la revoyure, font encore rire aujourd’hui…
Quand Alien vint, on sut que plus rien ne serait pareil. L’espace n’était plus un lieu d’aventures extraordinaires dans des vaisseaux rutilants mais bien le reflet punk de notre époque. Les cargo spatiaux étaient sales, pleins de cambouis. Le motivations : sordides et mercantiles. La sexualité : refoulée et triste*.
Blade Runner fut une suite logique au formidable succès commercial d’Alien. Ridley Scott adapta dans son univers le roman de Philip K. Dick, transformant une Californie désertifiée en Los Angeles sous une pluie éternelle, en dé-castant Harrison Ford en anti-héros mature, et surtout en créant cet univers urbain encore pillé, vingt ans après, par la plus minable des séries B de M6. Personne, dans le milieu du cinéma, n’est sorti intact de Blade Runner, malgré son échec commercial**.
Legend annonça le déclin du cinéma scottien. Les images étaient toujours aussi belles (peut-être les plus belles qu’il ait tournées). Mais il n’y avait plus de scénario, plus de producteur, derrière les enluminures.
Pas une seconde, Ridley Scott ne se préoccupe de son histoire, tellement basique qu’elle en devient ridicule. Il passe visiblement peu de temps avec ses acteurs, et leurs personnages sont vides. Par contre, on l’imagine en studio, en train de reconstituer cette forêt magnifique, de choisir avec amour chaque pierre, chaque fougère… imitant en cela un certain… Stanley Kubrick. A Hollywood tout le monde respecte, envie et veut devenir Kubrick. Sa filmographie exceptionnelle, sa capacité unique à obtenir le final cut, le réalisme de ses productions : décors, costumes, accessoires… Je sens un frémissement dans l’assistance… Kubrick ferait-il partie de cette infâme caste des « décorateurs » ? Erreur, cher public, mais rassurez vous, vous n’êtes pas seuls…
Ils sont nombreux à avoir compris de travers les enseignements de Maître Stanley. Kubrick était mégalo, frustré, maniaco-dépressif : il se préoccupait de tout ! Bien sûr, il voulait savoir quel type de brosse à dent pouvait utiliser Barry Lindon, ou connaître le nombre exact de millimètres carrés des pubs pour Full Metal Jacket dans la presse thaïlandaise… Il voulait tout contrôler, et c’est pour ça qu’il a fait peu de films. Mais tout contrôler, c’est aussi polir pendant des années son scénario, ou tourner pendant un an avec Cruise/ Kidman pour Eyes Wide Shut. Et recommencer tant que ce n’est pas bon… Le scénario, les acteurs, ce ne sont pas des détails…
Après Legend, le cas Ridley ne fit que décliner. De succès en échec, rien n’y change : films de décorateur à succès, comme Gladiator, ou des films de décorateur à échec, comme Legend ou 1492. A chaque fois perce pourtant son unique motivation : l’envie de reconstituer, avec un talent certain, un univers qui le fascine : les appartements yuppies new-yorkais de Someone to Watch Over Me, le japon yakusa de Black Rain, l’Espagne de 1492, la Rome antique de Gladiator, et ce, jusqu’à la dernière fibule de centurion romain.
A chaque fois, ses projets sont très excitants sur le papier, il propose de véritables challenges au spectateur. On l’imagine aussi excellent pitcher à Hollywood, capable de vendre un projet clefs en mains : Depardieu en Colomb, Demi Moore rasée, etc. Des films qu’on a instantanément envie de voir. Mais une fois dans la salle, c’est une autre affaire…
Il reste le plus bel enlumineur du cinéma américain. C’est là sa constance, c’est là son honneur… Il fait partie de la longue liste des réalisateurs en qui nous avons espéré, le temps d’un ou plusieurs films. Tels des étoiles filantes, ils nous abasourdissent de leur chef d’œuvre instantané. Epoustouflé par tant de génie, nous ne savons pas entrevoir derrière eux le producteur discret ou le scénariste talentueux. Puis un jour, ce complice disparaît, et notre jeune espoir révèle sa vrai nature de tâcheron de seconde zone : j’aimerais citer Bryan Singer, George Lucas, Jean-Jacques Annaud, Ang Lee, Jean-Jacques Beineix***…
A l’instar de Ridley Scott, ils offrent souvent du régal pour les yeux, mais nos cœurs affamés d’un peu d’humanité restent sec…
P.S. J’ai volontairement laissé de côté Thelma et Louise, un film tellement stupide, abject et démago, qu’il mérite une critique à part entière.
*Alien, le plus grand porno de l’histoire du cinéma, transpercé -si j’ose dire- de pénétrations en tout genre, fellations, viols et orgasmes divers
**Avec, 10 ans après, le plus beau Director’s cut de l’histoire du cinéma : Comment, en UN SEUL PLAN, changer l’intégralité d’un film ? Je rappelle le principe. La version 1982 était ambiguë, on ne savait pas si Deckard était un flic ou un répliquant … Un plan inexpliqué montre un flic laisser un origami de licorne dans la chambre de Deckard. Dans son Director’s cut de 1992, Ridley Scott rajoute un rêve de Deckard : une licorne qui gambade dans la forêt. La boucle est bouclée : si le flic connaît les rêves de Deckard, c’est donc un répliquant. CQFD.)
***Message personnel à l’attention du Frame Keeper : j’ai longtemps intégré David Fincher à cette liste peu recommandable. Puis un soir de 2003, vers 3 heures du matin, lors d’un comité Cinefast, la lumière vint. David F. était bien un cinéaste chrétien, et ses films avait du sens. Une œuvre était en cours… To be continued.
21 juillet 2005 à 18 h 14
Parfaitement d’accord sur ta vision de Ridley Scott sauf qu’un peu dure avec certains films (Gladiator) qui n’ont pas, à mes yeux, tant démérité que cela. C’est vrai après des films fondateurs comme Blade Runner et Alien le reste de sa carrière semble bien morne ! Mais alors là où je ne peux pas laisser passer, c’est pour Thelma & Louise. Tu retires immédiatement Thelma et Louise de ta blacklist ou je n’irais JAMAIS (re)voir TITANIC avec toi au ciné !
On ne peut pas défendre objectivement un mélo aquatique qui finit en film de sous-marin et trouver T & L stupide, abject et demago !!! Quel est le problème de Thelma et Louise ? Tu es donc prié d’écrire rapidement ta critique parce que là je ne comprends vraiment pas ce qu’il y a d’abject et stupide (demago passe encore quoique…).
Moi j’aime bien les films stupides, abjects et demagos (enfin surtout celui là !) Deux motards camés sur une route c’est l’image de la liberté, deux nanas pas gâtées par la vie sur une route c’est démago !!
Désolé mais c’est justement un de ses rares films post-chef-d’œuvre qui a un souffle, de la vie et le plongeon dans le Grand Canyon main dans la main c’est fortement demago mais ça m’émeut (et je ne crois pas avoir été le seul) ! Créer l’émotion n’est-ce pas aussi une des raisons d’être du cinéma ?
PS: et puis, the Ballad of Lucy Jordan ça a plus de gueule (si on peut dire) que les vagissements de Céline mais c’est une autre histoire…
23 juillet 2005 à 20 h 23
de tête, il me semble que ce film étaitbardé de poncifs. Les méchants texans… les gentilles femmes qui ont souffert… le bon flic, dur mais honnête…
Mais surtout, c’est la morale du film qui avait hérissé le Professor Ludovico. Vous savez que le Professor Ludovico, est forcément sain d’esprit puisqu’il travaille dans l’asine d’aliénés qui trouvent que Ridley Scott et Jean-Pierre Jeunet ont du talent !
Et le Professor Ludovico a un problème lorsqu’on glorifie deux femmes, qui, blessées par les hommes, se donnent le droit de tuer tout le monde sur leur passage… ! Comme chacun le sait, le cinéma est une histoire de morale. Si elles font ça, pas de problème, mais l’auteur doit prendre ses distances avec. L’exemple type sont les films de Scorcese. On comprend ces italiens, on sympathise avec eux, on admet les raisons qui les font sombrer dans la violence, mais, alors, on se détache d’eux, on ne les apprécie plus, on attend leur rédemption.
Ce n’est pas ce qui arrive dans Thelma & Louise, et on finit par se demander, si après tout, ce n’est pas la solution prêchée par Ridley Scott : Si vous vous faites violer, tuez le violeur !
Pour les mêmes raisons, le suicide final est détestable : on a l’impression que c’est bien qu’elles fassent cela ! C’est ce que j’avais trouvé détestable dans le film…
26 juillet 2005 à 10 h 55
Bien qu’ayant eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet herr Professor, une fois de plus je suis globalement d’accord avec l’argumentaire mais pas avec son utilisation (je passerai sur la phrase « le cinéma est une histoire de morale » qui a elle seule pourrait susciter des débats enflammés !!!).
Compassion et compréhension ne signifient pas acceptation. Si on comprend ce qui les conduit là où elles vont, je ne trouve pas qu’il y ait absence de morale.
Certes, les premiers règlements de compte sont assez enjoués et jouissifs et dans ce cadre là Scott fait jouer la fibre (pas toujours très belle) du défoulement des pulsions violentes qui sommeillent en nous pour la bonne cause c’est à dire la vengeance du faible sur le fort présent dans environ 1 film sur 4 selon mes statistiques (la scène le camion du gros obsédé qui explose ça remonte le moral !!). Mais l’inexorable fuite fait vite apparaître qu’il n’y a pas d’issue. Et dans ce cadre là, RS nous ramène à nos propres contradictions on trouve super que les filles s’éclatent en réglant leur compte… et après ! Ont-elles une vie possible dans la société après cela ? Non et elles le savent ce qui accélèrent la descente vers … le plongeon final qui apparaît comme la seule alternative.
Si cette recherche de liberté est justifiée, la mise en pratique dépasse le cadre de l’acceptable pour une société et doit se conclure par leur mise hors d’état de nuire. Le spectateur le sait, le flic le sait, et elles le savent. La morale est au contraire très claire et très présente.
Ce que tu défends dans les films de Mafia est à mon avis représenté par le personnage d’Harvey Keitel qui représente la loi et la morale (il les traque) sans exclure une certaine empathie et compassion.
A bien y réfléchir le traitement est même d’un classicisme moral affligeant…mais ceci est une autre histoire !
26 juillet 2005 à 14 h 28
Belle démonstration ! c’est une autre façon de voir le film.
4 juillet 2006 à 12 h 37
[…] Malheureusement, c’est pas Ridley Scott derrière la caméra, c’est juste un élève la Ridley School for Beginners. Alors, le petit Aja, il rate complètement son entrée : son suspense fait même pas peur (il nous prévient en SoundSurround que les mutants, y sont derrière le petit jeune, là, à gauche ! environ 15 secondes avant, et puis il sait pas jouer avec le cadre. Très important le cadre, il aurait du faire un stage chez Carpenter, période Vendredi 13. Parce que là, avec le cinémascope, le vieux il te fait recracher ton esquimau chocolat-noix de pécan. […]
1 octobre 2006 à 15 h 38
[…] Car il est vrai que Philip K. Dick fut un incroyable visionnaire, mais aussi un très médiocre écrivain. Pire, il le savait ; ayant écrit des centaines de romans, il n’a jamais réussi en peaufiner un. On doute même qu’il en ait relu certains. Il vécut misérable, et au moment de toucher le jackpot d’Hollywood, il mourut, juste avant que Blade Runner ne sorte. […]
26 novembre 2007 à 14 h 34
Encore un portrait à charge, où deux des meilleurs films de la victime sont passés aux oubliettes (chute du faucon noir et hannibal). Ridley est certes plus inégal qu’un cameron mais avec son dernier american gangster, il signe son grand retour ! Denzel Washington est égal à lui-même,; i. e. impeccable et russel crowe est la bonne surprise en flic bouffi, obstiné et à la ramasse côté familial … Franchement Ridley Scott, c’est un cinéaste comme on n’en fait plus ma bonne dame : un cinéaste à gros budget mais qui se préoccupe toujours en premier lieu de l’histoire et qui arrive toujours à mettre les effets spéciaux et le décor au service de cette histoire et pas l’inverse (et donc je ne suis pas d’accord avec toi pour descendre en flammes gladiator) … Une nouvelle fois tu as la dent dure et la critique un peu facile … J’attends toujours une critique positive et raisonnable de ta part …
26 novembre 2007 à 14 h 47
J’irais donc voir ce bandit américain pour me faire une idée. mais je soutiens (pour le moment, donc) toujours l’idée que, contrairement à Cameron, Scott est avant tout un décorateur, un enlumineur, et pas un raconteur d’histoires. Il va superbement reconstituer une époque (le Rome de Gladiator, l’espagne de 1492), mais se fout des personnages. Il fait des beaux films, pas des bons films.
30 juin 2008 à 20 h 14
[…] Et là, polémique : le film, il va le retravailler combien de fois, le père Ridley ? Car résumons-nous : après la version originale (avec voix off), le Director’s Cut (sans voix off, mais avec le plan de la licorne qui change tout le sens du film (théorie développée tout à la fin de cette chronique), puis le Director’s Cut définitif (l’année dernière), jusqu’où ira-t-on dans le révisionnisme cinématographique ? […]
14 novembre 2008 à 21 h 38
[…] que je suis, et malgré les tombereaux d’insultes que je déverse sur lui, je suis allé voir le Ridley Scott, Mensonges d’Etat. Car il a un don, Papy Ridley, […]
14 novembre 2008 à 21 h 49
[…] que je suis, et malgré les tombereaux d’insultes que je déverse sur lui, je suis allé voir le Ridley Scott, Mensonges d’état. Car il a un don, Papy Ridley, […]
15 janvier 2009 à 22 h 27
[…] Tout est dans Blade Runner, qui inspire aujourd’hui jusqu’aux urbanistes*. Tout ça est l’œuvre de Scott, ancien chef déco dans la pub, sous influence Métal Hurlant (Moebius, Bilal), que Scott a déj amené sur Alien, et qu’il […]
17 juin 2012 à 19 h 49
[…] c’est Ridley Scott, pas n’importe qui, même si nous avions déjà essayé de l’abattre dès les débuts de CineFast. Mais la bête bouge encore ! Il nous manque une Ripley pour lui faire un sort au lance flammes, […]