La littérature américaine de science-fiction a l’étrange capacité à inventer de mystérieux et passionnants enjeux pour se retrouver ensuite dans l’incapacité de les résoudre. C’est le cas de romans récents comme Silo, de Hugh Howey, ou Spin, de Robert Charles Wilson. Des livres très bien écrits, avec de jolis personnages, mais qui se terminent en queue de poisson.
Il y a quelques années, le Professore Ludovico avait décidé, après avoir vu le plutôt bon Da Vinci Code de Ron Howard, de s’atteler au très mauvais roman de Dan Brown. Mais surtout, de lire en même temps sa source d’inspiration, L’Énigme Sacrée, de Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln.
Ce dernier livre, type L’Aventure Mystérieuse – couverture rouge, démontrait une problématique bien connue de la dramaturgie : s’il est facile de poser des questions (et donc des enjeux : le christ a-t-il été marié ?), il est difficile d’y répondre. Le livre accumulait ainsi des suspenses (étranges manuscrits qui disparaissaient, tout aussi mystérieusement), mais l’inexplicable restait inexpliqué, ou ridicule (L’Eglise Catholique, prête à tout pour cacher ce « secret »)
C’est le cas de Silo, le livre comme le film. Mais pour aller plus loin, il faut spoiler.
Après une apocalypse, probablement nucléaire, l’humanité s’est réfugiée dans un immense silo. Tout y est bien ordonné, à commencer par la natalité (qui nécessite une autorisation), jusqu’aux classes sociales, bien ordonnées entre les riches et les pauvres, les mécaniciens qui vivent dans les profondeurs, les informaticiens au milieu, et l’élite, évidemment tout en haut. Et comme il n’y a qu’un escalier de 144 étages, vous voyez la suite…
Juliette – très bien interprétée par Rebecca Ferguson -, accepte de devenir shérif. Elle va être amenée à découvrir pourquoi l’humanité est enfermée dans le silo… Qu’y a-t-il à l’extérieur ? Tout en haut, à la cafétéria, une immense baie vitrée donne à voir un paysage désolé, comme un avertissement : obéissez ici, car dehors c’est l’enfer. La punition ultime est d’ailleurs d’exiler les condamnés à l’extérieur et de contempler leur agonie sous les radiations.
Mais voilà, on suit dès les premiers épisodes quelques condamnés et on découvre que l’extérieur n’est pas radioactif, qu’il est au contraire peuplé d’arbres et d’oiseaux. Pour autant, les pauvres hères meurent quand même, sans explication.
Tout cela devient diablement passionnant. L’amateur de SF pense à un des meilleurs livres de Philip K. Dick, La Vérité Avant Dernière, où l’on cache à l’humanité que la Troisième Guerre Mondiale n’a pas eu lieu.
Quelques épisodes plus loin, un piratage informatique permet enfin de montrer aux citoyens du Silo la vérité. Très bien, enjeu résolu. Ou pas ?
C’est là que ça commence à se gâter. L’héroïne, qui se doute de quelque chose et complote pour sortir, se retrouve trahie et condamnée… à sortir. Pourquoi pleure-telle ? Pourquoi n’accepte-t-elle pas ? Mystère.
Le spectateur est désormais perdu. D’autant qu’elle finit dehors et découvre, bon sang de bonsoir ! qu’on a menti deux fois au spectateur. L’illusion qui cachait les arbres et les petits oiseaux cache elle-même la réalité qui est… que la terre est polluée !!??
Fin de la saison 1. Cliffhanger putassier pour donner envie d’une saison 2. On n’est pas trop sûr que la résolution de ce double mystère va avoir du sens. A force d’appâter le spectateur, ça ressemble pas mal à une lostienne fuite en avant.
Dans le métier, on appelle ça une JJ Abrams.
posté par Professor Ludovico
Il y a des gens qui croient encore dans le cinéma : Steven Zaillian en fait partie. Adapter Ripley, le livre de Patricia Highsmith, c’est prendre le risque de la comparaison avec un grand film, Plein Soleil, avec Delon et Ronet au sommet de leur forme. Le projet Netflix ne fait pas dans la dentelle, huit heures d’un noir et blanc somptueux, avec des acteurs peu connus (Andrew Scott (Fleabag), Johnny Flynn (Stardust), Dakota Fanning (The Runaways)). Pourtant, c’est une réussite indiscutable.
C’est comme si Steven Zaillian avait décidé d’appliquer le programme d’Alfred Hitchcock dans son intégralité.
1. Tu ne feras pas d’une star un méchant : en castant Andrew Scott, acteur peu connu, gentil prêtre de Fleabag, mais aussi Moriarty de Sherlock, il a trouvé un acteur en apparence gentil, qui engendre dès le départ de l’empathie, mais dont le moindre sourire de psychopathe vous glace le sang
5. Tu créeras des décors qui auront l’air vrais : la reconstitution de l’Italie des années 60, les vêtements, les tickets de train, les journaux, tout sonne juste…
6. Tu ne confondras pas surprise et suspense : Pendant huit heures, Steven Zaillian ménage quelques surprises (d’une rare violence) mais il instaure surtout un suspens continu. Le protagoniste accumule des traces qui viennent contredire ses alibis, et Zaillian les filme consciencieusement : le cendrier, les reçus de trains, les registres d’hôtel, etc. Avec tout ça, il devrait se faire prendre. Mais cela mène à un paradoxe bien connu du cinéma : moralement, le spectateur veut que Ripley se fasse arrêter, mais il craint sans arrêt qu’il ne le soit.
9. Tu supprimeras les dialogues, souvent inutiles : Il y a une grande économie de moyens de ce côté-là dans Ripley. Ceux qui parlent énoncent souvent des bêtises sans le savoir (le père, le privé…) ; Greenleaf, riche dilettante, reste emmuré dans son personnage qui croit maitriser le prolo Ripley, et Marge, tellement convaincue d’avoir été rejetée, finit par croire Ripley quelle soupçonne pourtant depuis le début. Tout passe par des silences, des regards, bref, du cinéma…
Dans ce huis clos qui accumule les labyrinthes (escaliers, ruelles, …), où l’Océan n’est qu’un lieu sinistre où se noue le drame, le spectateur est amener à contempler le haut et le bas et de la pyramide, comme en témoigne les multiples plongées-contre plongées*. Comme une démonstration visuelle de l’angoisse sourde qui noue du Sisyphe-Ripley, qui espère atteindre l’Olympe mais craint en permanence de retomber aux enfers…
* copyright Maître Belphegues
vendredi 26 juillet 2024
Dark Winds
posté par Professor Ludovico
C’est avec une grande surprise que nous avons découvert que Dark Winds, l’adaptation des livres de Tony Hillerman, débarquait sur Canal+ . Nous avions découvert le polar à sauce Navajo en visitant le pays natal, entre Kayenta et Shiprock. Un pays magnifique, gorgé de soleil, qui invoque forcément chez le cinéphile les mânes de John Ford.
Dans le haut de la pile des polars régionalistes, Hillerman s’était pris de passion pour les Diné (le vrai nom des navajo) et avait créé deux héros dans la Navajo Tribal Police, Joe Leaphorn, vieux flic moderne, et Jim Chee, son jeune adjoint traditionaliste. Ces personnage à front renversé enquêtent différemment, s’opposent, puis collaborera, sur des meurtres en territoire Navarro. Meurtres qui, souvent, ont des explications au-delà du rationnel.
Ici, on adapte un des meilleurs, Femme qui Ecoute, polar autour d’un meurtre lié à un braquage qui fait remonter à la surface de veilles histoires, comme de bien entendu. C’est plutôt réussi. Tourné sur place, avec des scénaristes et des comédiens locaux. Il manque un petit rien pour que ce soit vraiment bien. D’abord, lèse-majesté, ils ont inversé les deux flics, ce qui perd son sel, et le final est très conventionnel.
A voir ce que donne la saison 2.
vendredi 28 juin 2024
Band of Brothers, troisième
posté par Professor Ludovico
On devrait toujours revoir les œuvres. Le snobisme naturel du Professore avait boudé Frères d’Armes à sa sortie : trop américain, trop do-gooder. Revu un peu à l’arrache il y a quelques années, on y consacre cette fois-ci – pour de sombres raisons rôlistiques – plus d’attention.
Eh bien la bête tient non seulement le choc, mais révèle la face sombre que tout le monde avait vu, sauf le Ludovico…
Band of Brothers c’est noir, en effet. On y voit, comme dans le Soldat Ryan, des Américains tuer de sang-froid des prisonniers allemands (dont la fameuse scène des cigarettes). Mais aussi la connerie autoritaire du capitaine instructeur Sobel (formidable David Schwimmer), la lâcheté du Lieutenant Dike (Peter O’Meara), ou la fraternité relative. Dans l’épisode « La Dernière Patrouille » (s01e08), le soldat Webster (Eion Bailey), qui a sauté sur Sainte-Mère Eglise et fait Market Garden, est battu froid par ses frères d’armes parce qu’il revient de trois mois d’hôpital. Trois mois, c’est une éternité pour les gars qui ont fait Bastogne ; il faut avoir au moins perdu une jambe pour compter dans la Easy company.
Et si les effets spéciaux ont pris un coup de vieux, la réalisation est toujours formidable, totalement adaptée au propos : camera au point pour les scènes d’actions, long travelling quand il faut de l’émotion, etc.
Band of Brothers n’a pas vieilli d’un pouce.
mardi 4 juin 2024
Love & Death
posté par Professor Ludovico
Pendant un moment – la moitié de la série en fait – on a cru que David E. Kelley (Ally McBeal, The Practice, Big Little Lies) avait perdu la main, avec cette description caricaturale de bondieusards Texans des seventies. Ça sentait trop la reconstitution disco et le mépris de classe new-yorkais.
Et puis voilà, épisode 4, au mitan de la série, c’est la métamorphose splendide de l’héroïne, miraculeusement interprétée par Elizabeth Olsen, qui va devenir, c’est certain, une des plus grandes actrices américaines
Oui, la description caricaturale de ces hypocrites, god-loving texans avait du sens, pour faire contraste avec la suite : adultère, orgasme, et coups de haches.
Comment passe-t-on en effet d’une bonne chrétienne à une massacreuse de voisine ? David E. Kelley a l’élégance de ne pas répondre franchement à cette question. Il fait quelque part ce qu’il sait mieux faire : un film de procès. Nous ne sommes ni Texan, ni bondieusard, ni mère au foyer des 70s. Pourtant, nous comprenons cette femme (ces femmes et ces hommes) coincés dans le puritanisme et les exigences de leur micro-société. Le mensonge, l’adultère, l’obsession de paraître, d’être une bonne personne : David E. Kelley s’attaque, comme dans Big Little Lies – mais dans un autre milieu social – aux hypocrisies de l’Amérique. En cela, il offre à Olsen une incroyable palette de sentiments à incarner (la bêtise, le mensonge, la colère, la peur, etc.) et l’oppose, coup de génie, au menhir Jesse Plemons. L’acteur sait faire bien d‘autre choses, nous le savons, depuis que Coach Taylor lui a demandé de taper ce kick pour les Panthers**… Lui aussi l’incarne cet enfermement dans les valeurs sociales, la famille, la foi, le couple, jusqu’à l’absurde et à la tragédie. Il va ainsi, dans une scène destinée à devenir culte, répondre NON une dizaine de fois à l’avocat qui l’interroge, avec ce regard buté qui est sa signature. Ça a l’air simple, mais pourtant, dans les yeux de Jesse Plemons, il y a le résumé de toute cette tragédie sociale.
*Martha Marcy May Marlène, Godzilla, Wind River, Wandavision…
**Une carrière tout aussi impressionante au cinema (Battleship, The Master, The Program, Le Pont des Espions, Hostiles, Pentagon Papers, The Irishman, Killers of the Flower Moon…) qu’à la télé (Friday Night Lights, Fargo, Breaking Bad, Black Mirror…)
jeudi 16 mai 2024
Le Problème à Trois Corps
posté par Professor Ludovico
Comme on dit, il n’y a pas de gens, il y a juste des systèmes. D’un côté, le système HBO, qui avec Weiss et Benioff* produit le coup de génie Game of Thrones, au niveau de qualité inégalé, tant sur le plan du scénario, des décors, et de la mise en scène, de la maturité générale du propos.
On prend les mêmes chez Netflix, et ça sort Le Problème à Trois Corps. Tout le contraire, en fait : immature, bizarrement adapté – paraît-il -du roman d’origine, et bourré d’erreurs à tous les étages. Erreurs de casting en veux tu en voilà (une actrice très jeune et très jolie en spécialiste des nanofibres absolument pas crédible, un acteur aimé et apprécié de Game of Thrones (John Bradley « Samwell Tarly ») dont on se débarrasse après trois épisodes), des astuces scénaristiques digne d’un film pour ado dans un film prétendument mature, des décors en CGI qui piquent les yeux alors que chaque épisode coûte 20M$…
Au milieu de tout ça, une ou deux fulgurances, deux ou trois acteurs impeccables (Liam Cunningham, Alex Sharp, Benedict Wong) et un personnage et demi (le scientifique malade, le flic bourru…)
Tout ça ne fait pas une série…
* Scénariste établi et respecté depuis longtemps aussi bien dans le blockbuster (Troie, Stay, X-Men Origins: Wolverine,) que dans le film sensible (La 25e Heure, Les Cerfs-Volants de Kaboul, Brothers)
vendredi 19 avril 2024
The Office
posté par Professor Ludovico
Le 28 janvier 1077, Henri IV, pas le nôtre, mais le futur souverain du Saint Empire Romain Germanique, se rendit à Canossa, pieds nus dans la neige pour se faire pardonner par le Pape.
C’est aujourd’hui le moment pour le Professore Ludovico, non pas d’aller à Canossa, au cœur de l’Emilie Romagne, mais chez Dunder Mifflin, Scranton, Pennsylvania, pour se faire pardonner de ses enfants qui lui serinent depuis des années les mérites de The Office.
Il est vrai qu’une série sur la vie de bureau avait peu d’attrait. En rentrant du travail, on a soif de Ver des sables et de Mafia du New Jersey, plutôt que de Steve Carell et de sa bande de joyeux papetiers.
La série avait donc été rejeté par le snobisme proverbial du Professore, qui ne goûtait guère la sitcom caméra portée, façon Arrested Development.
Mais voilà, on passe devant le pilote (visionné pour le 365ème fois par le Professorino), on tombe dans le pot de Nutella et on enchaîne les 201 épisodes, les 4000 minutes, les 66,66 heures de The Office. Et on trouve ça drôle, court, punchy.
Le monde du travail est mal représenté au cinéma. Le cinéma français ne connaît pas grand-chose à la vie des entreprises. Aux États-Unis, au contraire, on a souvent travaillé avant d’avoir eu la chance de percer à Hollywood. Et la documentation poussée fait partie du travail du scénariste… L’atout majeur de The Office, derrière sa dinguerie, c’est la pertinence de sa vision du travail. Ses chefs égocentriques et pas finauds, ses collaborateurs fainéants, déprimés ou un peu trop corporate.
Si la série a pâti du départ de Steve Carrell (se prenant les pieds dans le plat en virant à la rom-com feelgood), elle reste un immense monolithe cringe, une description réaliste et foldingue du secteur tertiaire au XXIème siècle.
The Office a fini par être ce qu’elle prétendait simuler : un documentaire.
mardi 16 avril 2024
Masters of the Air
posté par Professor Ludovico
Dans Multiplicity, un film de 1996, Michael Keaton se clonait pour être partout à la fois, mais à chaque clone, il devenait plus idiot. C’est ce qui est en train d’arriver à la série Spielberg/Hanks sur la Seconde Guerre mondiale, initiée par le succès du chef-d’œuvre Il faut Sauver le Soldat Ryan. Révolutionnant le genre, Band of Brothers était un spinoff inspiré, montrant notamment des Américains pas toujours gentils avec les nazis. The Pacific était déjà un ton en dessous, et Masters of the Air est, quant à lui, vraiment raté.
C’est lié intrinsèquement à son ADN « héroïsme/patriotisme/Si-Les-Ricains-N’étaient-Pas-Là-On-Vivrait-Tous-En-Germanie », mais c’est aussi dû au manque d’enjeu, inhérent à ce que ça raconte. Rien de plus répétitif que des missions de bombardiers. Band of Brothers faisait voyager ses héros à travers l’Europe, avec parachutage à Sainte Mère-Eglise, embuscade à Bastogne, et libération des camps… Ici, dans un parti-pris de réalisme, on ne voit rien. Les B-17 décollent, survolent gentiment la Manche, se font canarder par la Flak (ça secoue un peu, un coéquipier se fait plomber) et puis les chasseurs allemands arrivent et vous croisent à 400km/h. Et voilà, on a perdu Bill et Joe. Pas de rebondissements, ou des rebondissements téléphonés.
Et cette fois-ci, c’est plus gnangnan que d’habitude. Tous ces pilotes ne sont que des braves gars, qui souffrent le martyr pour libérer l’Europe. Pas un seul gars rendu fous par la guerre, pas un seul raciste quand les pilotes noirs débarquent, pas un gars un peu lourdingue avec les petites anglaises au pub… Il y a bien une petit prise de conscience sur les bombardements massifs, mais c’est un peu forcé. Aucune aspérité ne viendra créer le moindre enjeu ou engendrer une quelconque émotion.
Il reste néanmoins une découverte : Austin Butler, dont on n’avait pas vraiment pu apprécier les talents d’acteur dans Dune, et qui révèle ici, beau comme un dieu triste, sa moue Elvisienne et une tristesse inconsolable, qui n’a pas fini de nous fasciner.