Il y a deux sortes de séries signées David Simon. Les séries au long cours, comme The Wire, ou Treme, où Simon déploie ses talents de romancier russe, ses quarante personnages dont on ne connait pas le nom et leurs intrigues enchevêtrées. Et puis il y a la version courte, Generation Kill ou Show me a Hero. Simon y est moins à l’aise, parce qu’il a toujours trente personnages, mais seulement six heures pour déployer ses ailes.
De fait, ces séries apparaissaient de prime abord un feu fades (rappelons que The Wire décollait à la troisième heure, ce qui explique le peu d’aficionados lors de sa diffusion).
Et puis, traditionnellement, elles ne se révèlent que dans le dernier épisode ou dans la dernière scène. C’est le cas de Show me a Hero : une série compliquée sur un programme immobilier social dans le Yonkers des années 80. On a connu plus vendeur, plus fun.
Mais le simonien fidèle sait être patient. Il se laisse exposer la galerie de personnages sur fond de Springsteen, et l’intrigue se déployer lentement. Peu importe si on ne comprend rien à ces histoires de zoning, de ballot vote et de majority leader, on sait qu’on aura tout compris à la fin.
Il y a des logements sociaux à construire à Yonkers, dans la banlieue de New York, pour loger la population noire qui s’entassée dans des tours de moins en moins salubres et gangrenées par le trafic de drogue. Ces logements sociaux doivent être dézonés, c’est à dire construits là où il n’y en a pas : chez les blancs. Qui n’en veulent pas, évidemment. NIMBY, not in my back yard. Toute ressemblance avec une situation française serait purement fortuite.
Il y a un procès en cours. Un jeune homme, Nick Wasicsko (Oscar Isaac, qui devient de film en film notre Al Pacino millenial), s’est fait élire contre ce programme de logements. Pas de chance, la ville perd le procès et menace d’être ruinée par les amendes.
Wasicsko prend ses responsabilités, et, contre sa base électorale, applique la sentence. Montre-moi un héros, je t’écrirais une tragédie, disait Fitzgerald. David Simon, avec Paul Haggis à la réalisation, déploient, au travers de ces vies minuscules (une junkie, une mère de famille, une retraitée) ou majuscules (le maire, ses adversaires, ses alliés), l’histoire en marche. L’histoire marche lentement, mais elle est implacable et tragique.
Aidé d’un casting énorme, connu (Catherine Keener, Alfred Molina, Bob Balaban, Jon Bernthal, James Belushi) ou inconnu (Ilfenesh Hadera, Carla Quevedo), Simon déplace sa montagne. Très lentement. Mais force est de constater, au dernier épisode, que c’est lui le plus fort.
posté par Professor Ludovico
La Fox, pour les 40 ans du Rocky Horror Picture Show, a eu la bonne idée de faire un remake télé du vénérable film culte. Ceux qui suivent le Professore sur Instagram ont pu voir comment cette idée l’enthousiasmait, notamment le casting d’un vrai transsexuel, LaVerne Cox, dans le rôle du Professeur Frank’n’Furter. Et ceux qui ont pu voir l’abattage de Mrs Cox dans Orange is the New Black ne pouvaient qu’être réjouis.
C’est donc hier soir que les fidèles (la Professorina, la Duchesse de Suède, et A .G. « Riff Raff » Beresford) se sont réunis pour partager un brownie chocolat blanc framboise et célébrer, une fois de plus, la Passion selon Saint Frank.
Le bilan est mitigé. C’est très bien fait, chanté, dansé. Probablement mieux que le cast d’origine. Mais ce qu’on gagne en technique, on le perd en sincérité. Tim Curry est plus flamboyant, Riff Raff plus inquiétant, Magenta et Columbia plus sexies, plus « présentes » dans la version originelle. Ceux qui s’en tirent le mieux aujourd’hui sont probablement les Brad and Janet, toujours aussi coinçouilles.
Mais ce remake n’apporte rien. Ça pourrait être, tout simplement, le Rocky qu’on verrait sur scène, à Broadway ou dans le West End. Il aurait fallu, pour que ce soit intéressant, apporter quelque chose de neuf. Le moderniser, ou le transposer dans un autre univers… Il y a quelques bonnes idées, mais elles ne sont pas exploitées : l’hommage aux fans qui font le Rocky depuis quarante ans est anecdotique, comme ce personnage de l’Usherette qui ne sert qu’au début et qu’à la fin. Pourtant, elle donne le ton de ce qu’est profondément le Rocky, quelque chose de transgressif, de punk avant l’heure. La scène rock intégré au film est aussi une bonne idée, mais également sous exploitée. Seul Rocky, interprété façon Créature de Frankenstein, amène une relecture intéressante.
Il est tout à fait symptomatique de voir comment l’occident a régressé, contrairement à ce que l’on pense – et que l’on dit – sur le plan des mœurs. Alors que le sujet du film est évidemment provocateur, son traitement télé est amoindri, bien que quarante ans aient passé ! « Mindfuck » est censuré, les scènes du lit (en ombres chinoises bleues et rouges) avec F’n’F et notre couple de WASP, est filmé en pleine lumière et donc édulcoré, les statues de nus ont été ôtées, tout comme l’inceste potentiel entre Riff Raff et Magenta.
Le fan du RHPS pourra voir cette version sans déplaisir, et le débutant y jeter un œil. Mais le « Virgin » devra absolument s’en abstenir, sous peine d’excommunication.
Le Professorino, d’ailleurs, était cantonné dans sa chambre hier soir.
samedi 21 janvier 2017
The War Room
posté par Professor Ludovico
A regarder en ces temps difficiles pour l’Amérique, la campagne de Clinton de 1992 vue de l’intérieur par un très grand documentariste, DA Pennebaker. Coups bas, intrigues, motivations des troupes, tout est dans The War Room. Un Primary Colors en vrai.
Et on y découvre l’excellent James Carville, l’excellent protagoniste de K Street, la série de Soderbergh sur les lobbys de Washington.
dimanche 15 janvier 2017
The Walking Dead, saison 2
posté par Professor Ludovico
Les acteurs français sont souvent comparés – défavorablement – avec les acteurs américains ; notamment dans ces colonnes. Pourtant, il est un endroit où l’on peut admirer de très mauvais acteurs américains : The Walking Dead. C’est criant dans ce début de saison deux, un véritable étalage de contre-performances. Tellement étonnant de voir Jon Bernthal (qui joue à la fois dans The Walking Dead et Show me a Hero), mauvais comme cochon dans l’un, et très bon dans l’autre*.
C’est tout bête, un acteur, c’est un violon : il faut un bon archet (le réalisateur) et une bonne partition (les dialogues) pour produire une mélodie harmonieuse. Bernthal est ici très mal servi par les discours à l’emporte-pièce sur la vie et la mort. Ce qui, en soit, est une excellente adaptation de la BD de Robert Kirkman et Charlie Adlard. Elle aussi, ne faisait pas la fine bouche sur une phrase sentencieuse ou sur un bon cliché philosophico-métaphysique.
La série, parait-il, ne cesse de s’améliorer. Faut-il la regarder jusqu’à la saison 7 pour se faire un autre avis ?
* ou dans Fury, Le Loup de Wall Street ou Sicario…
dimanche 1 janvier 2017
The Affair, saison 3
posté par Professor Ludovico
On se demandait comment The Affair allait pouvoir adapter sa formula – très contraignante – sur plusieurs saisons. On sait que c’est désormais chose faite. Non seulement les auteurs (Hagai Levi, Sarah Treem) jouent avec, en alternant pas forcement deux personnages qui se croisent dans les deux parties d’un épisode. Mieux, ils se permettent avec talent de sortir du simple contexte de cette affair, cet adultère qui tourne au drame, pour en tirer les conséquences, sur des années s’il le faut.
Pourquoi ça marche ? Parce que les personnages sont très solidement construits, et encore plus solidement interprètes. Au delà des personnages principaux, on prendra pour exemple Jennifer Esposito, qui joue la sœur de Noah. Cette actrice, qu’on avait vu jusque-là plutôt dans Rescue Me ou NCIS – pas forcément les parangons d’un acting raffiné -, prend de l’ampleur dans cette saison trois. Le peu qu’elle avait dans la saison deux est suffisant pour construire une relation frère/sœur complexe, et c’est tout naturellement l’un des arguments de cette nouvelle saison. Et on pourrait multiplier les exemples avec la femme de Noah, ses fils, etc.
A ce rythme-là, The Affair peut durer encore longtemps.
dimanche 18 décembre 2016
The People vs OJ Simpson : American Crime Story
posté par Professor Ludovico
On s’était trompé sur The People vs OJ Simpson. Même si certains défauts, envisagés au départ, se sont confirmés par la suite, comme cette volonté trop pédagogique de faire endosser au dialogue certaines explications nébuleuses, on ne peut cacher une incommensurable fascination pour la série, et l’envie – malgré la fatwa du Professore contre le binge watching – de la grignoter en un seul morceau.
Comment ne pas se passionner pour cette affaire ? Comment ne pas tomber amoureux devant la terrible frustration sexuelle de la procureure Marcia Clarke (Sarah Paulson) ? Ou de son amoureux transi Christopher Darden (Sterling K. Brown) ? Comment ne pas éclater de rire devant la prestation de Travolta en Shapiro ? Comment ne pas avoir envie de cogner sur OJ (Cuba Gooding Jr) et ses mensonges à répétition ?
La grande qualité de The People vs OJ Simpson, c’est de nous remettre totalement dans le contexte plombé du Los Angeles des années 90, post Rodney King et pré Affaire Rampart/Suge Knight. Une ville où la police est corrompue depuis toujours (relire James Ellroy) et où il ne fait pas bon être noir… ou pauvre. Ou comment le Procès du Siècle, le Procès qui ne Pouvait Etre Perdu, fut gâché parce qu’OJ était noir, parce que OJ était riche, et parce que la ville était au bord de l’implosion.
Ce que montre aussi The People, c’est comment cet évènement a bâti, ou portait pour le moins, les racines du monde actuel : l’infotainment 24 heures sur 24 (cette course-poursuite échevelée dans Los Angeles), l’affrontement des minorités transféré dans les médias, et le rapport douteux que nous entretenons avec la célébrité, quel que soit les délits dont les celebs se rendent coupables (Nabila, Polanski, etc.).
Et de rappeler qu’en Amérique ce ne sont pas les blancs qui gagnent, mais tout simplement les riches.
vendredi 2 décembre 2016
Narcos
posté par Professor Ludovico
On est censé, parait-il, s’extasier sur Narcos. C’est en tout cas le cas du Professorino qui apprécie – bien plus que son père – ce truc à base de drogue, de violence, et de Bolivie. C’est aussi l’avis d’AG Beresford, qui, en spécialiste de ces trois questions, a beaucoup apprécié l’aspect documentaire et réaliste de la série Netflix.
C’est justement ce qui ne va pas dans Narcos : c’est un documentaire. Un docudrama. Un très beau docudrama, même, fait avec beaucoup de talent et de budget*, mais un docudrama quand même.
Certes, on se passionne pour l’aspect historique, et comment le trafic de drogue a été instrumentalisé politiquement par les USA et le gouvernement colombien, tout à leurs obsessions anticommunistes, quitte à détruire la belle jeunesse floridienne. Ou comment la CIA préférait Pablo Escobar à n’importe quel militant communiste, jusqu’à ce que celui-là, tout à son hubris, finisse par faire exploser consciencieusement une bonne partie du personnel politique.
20/20 pour le côté docu donc, ses arrêts sur image avec commentaire en voix off, et ce mélange d’images réelles et de fiction.
Côté drama, c’est autre chose : on a beaucoup de mal à se passionner pour les personnages, que ce soit le jeune flic yankee qui veut se venger (c’est un peu court, jeune homme) ou en face, Pablo Escobar, l’homme qui voulait être roi. On est ni avec l’un ni avec l’autre, et comme dans Un Village Français, (ce n’est pas un compliment), les personnages sont obligés de nous expliquer ce qui se passe, puisque le réalisateur a renoncé à le faire. C’est dommage, parce que c’est bien joué, particulièrement Escobar.
Pour éduquer le Professorino, on a donc décidé de passer au vrai drama, c’est à dire au Scarface de De Palma, qui sur un sujet semblable, transforme (avec l’aide d’Oliver Stone), le film 1930 d’Howard Hawks en Richard III floridien. On y reviendra.
* On aperçoit quand même les limites budgétaires dans la reconstitution riquiqui du palais présidentiel, avec le président Gaviria qui se bat en duel avec un seul conseiller, deux tables et un canapé.