On devrait toujours faire confiance à son instinct de CineFaster. Quand La Nuit du 12 est sorti, ça faisait pas envie. Et puis voilà, quelques mois plus tard, on est pris par la hype. Le film gagne tout aux Césars, il est élu Meilleur Film Français de l’Année par les auditeurs de France Inter. Comme le dit le Rupélien, « malgré ses récompenses officielles, c’est un très bon film ».
Dominique Moll intervient d’ailleurs très justement au Masque et la Plume, et invoque les deux David : Fincher (Zodiac) et de Lynch (Twin Peaks). En réalité, il faut se méfier des gars qui parlent bien de cinéma, les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs. Et on est payés pour le savoir, ici, à CineFast.
Mais on se fait prendre comme un bleu, on a soudain envie de cette Nuit du 12. Ça tombe bien, ça passe sur Canal. Et ça commence, en effet, comme dans Twin Peaks : une jeune femme assassinée, les flics qui débarquent, qui doivent annoncer la nouvelle aux parents effondrés, tandis que la communauté apprend la nouvelle. Mais le début de La Nuit est plat, ennuyeux, irréaliste…
Qu’on soit clair, on a bien compris l’intention : Moll ne veut pas faire un thriller à la Fincher, ni un mélo à la Lynch. Le réalisateur d’Harry, un Ami qui vous veut du Bien est dans une veine naturaliste, qui vise la sobriété. Mais la sobriété n’est pas l’ennemi de la subtilité. Pourquoi ces dialogues à l’emporte-pièce ? Pourquoi ces personnages taillés à la serpe ?
Moll a un message à faire passer, très bien… Les femmes sont tuées par les hommes et ce sont majoritairement des hommes qui enquêtent sur ces hommes qui tuent des femmes. C’est un message intéressant, et légitime, sur les féminicides. Mais est-ce que ça ne peut pas être dit plus subtilement que par un personnage qui débarque et prononce exactement ces mots ?
Tout est possible au cinéma, mais il faut travailler. Si ces personnages sont servis par d’excellents comédiens (Bastien Bouillon, Bouli Lanners…), ils sont seulement esquissés (le vieux flic en colère, parce que sa femme le trompe, le jeune flic solitaire, qui prend cette enquête particulièrement à cœur, etc. Tout cela existe probablement dans la réalité ; mais Dominique Moll n’arrive pas à incarner ces idées. Pour cela, il lui faudrait développer ces personnages, en faire autre chose que des figurines de plomb qu’on dépose dans ce décor. Leur donner des dialogues vivants, pas des slogans…
C’est tout le talent des vingt premières minutes de Twin Peaks où, en quelques gestes, une réplique, une paire de chaussures, la série installe son univers et ses personnages.
Il ne suffit pas d’invoquer Lynch et Fincher. Il faut un peu s’en inspirer.
posté par Professor Ludovico
A Spy Among Friends tente quelque chose d’extrêmement risqué : le biopic sur un sujet qui passionne le Professore Ludovico ; l’affaire Philby. Rappelons les faits : en 1951, on découvre que Burgess et McLean, deux espions britanniques sont en fait des agents doubles, qui s’enfuient aussitôt pour l’URSS. Leur ami Philby est accusé d’avoir laissé faire, voire pire : les avoir prévenus. Il se défend. Philby est isolé, placardisé, mais innocenté. Il quitte le MI6, devient journaliste à Beyrouth, mais la CIA ne le lâche pas. En 63, sous la pression, il rejoint lui aussi l’URSS. De la même manière, un de ses meilleurs amis, Nicolas Elliott, est accusé de l’avoir laissé partir.
A Spy Among Friends commence là, en suivant Elliott – le toujours très bon Damian Lewis* – et presque accessoirement, Philby (Guy Pearce**).
Là où la série fait très fort, c’est qu’elle ne s’intéresse pas à l’action mais bien aux souvenirs. Que s’est-il passé ces trente dernières années entre ces deux personnes ? A Spy Among Friends entremêle les flash-backs, de sorte qu’on ne sait plus où l’on est, ni quand l’on est. Interrogatoire à l’arrivée de Philby à Moscou (en 63), opérations en Autriche (en 38), dîner amical avec Angleton, futur patron de la CIA (en 41) : la série réussit l’exploit de nous faire entrer dans la tête des protagonistes, ce qui est la nature même de l’espionnage. Pas de coups de feu, pas d’échange sur un pont à Berlin, pas de parapluie empoisonné. A Spy Among Friends est un immense mindfuck.
Interprété avec une immense sensibilité, la minisérie révèle lentement sa grande intelligence, alors qu’elle peut paraître au début longue et confuse.
C’est la marque des grands.
vendredi 6 janvier 2023
Tokyo Vice
posté par Professor Ludovico
On peut tirer un très bon film (ou une bonne série) d’un assez mauvais livre. J’avais eu très envie de lire Tokyo Vice, la plongée du journaliste Jake Adelstein dans l’univers des yakusas, mais le livre avait laissé un goût d’inachevé et de confusion…
La série de J. T. Rogers, dramaturge américain qui fait ici ses premiers pas à Hollywood, réussit au contraire à construire une véritable histoire en repartant directement du narrateur. Le jeune Jake (fabuleux Ansel Elgort) a quitté pour des raisons mystérieuses son Missouri natal pour le Japon, avec un objectif : devenir journaliste. Ceux qui connaissent un peu l’Archipel savent à quel point il est difficile de s’intégrer, a fortiori d’y travailler. On suivra donc les pérégrinations, les erreurs, les rebuffades, les incompréhensions de Jake Adelstein dans les univers très ritualisés de la Presse, de la Police ou des yakusas, faits d’échanges d’information, de cadeaux qu’il faut – ou pas – accepter, de respect et d’auto-contrition. On y croisera des yakuzas tordus, et d‘autres respectueux de la tradition, des flics incorruptibles et des flics corruptibles, des journalistes consciencieux et d’autres beaucoup moins.
Ce qui fait le charme de Tokyo Vice, c’est ce qui fait le charme de Tokyo : cette proximité trompeuse avec l’Occident (même ville, mêmes voitures, même niveau de vie) et en même temps, le décalage absolu de l’âme japonaise. Tokyo Vice sent le Ramen et le Shabu-shabu à chaque plan.
Scénaristiquement, le show tient la route, avec sa galerie de personnages attachants (l’hôtesse de bar américaine (Rachel Keller), le flic à principe (Ken Watanabe), le jeune yakusa rétif (Shō Kasamatsu)), mais on retiendra la révélation Ansel Elgort*, acteur principal et producteur de Tokyo Vice, dont le visage, à la fois solaire et tourmenté, illumine la série.
* vu ailleurs, mais pas par nous : Divergente, Baby Driver, et le West Side Story de Spielberg
mardi 27 décembre 2022
The White Lotus
posté par Professor Ludovico
Si on cherche un point de vue inratable sur la décadence de l’Occident en général, et celle de l’Amérique en particulier, il suffit de se plonger dans l’eau à 25°C des plages hawaïennes de White Lotus, le nouveau home run que nous a concocté HBO. Six heures bien serrées, thèse/antithèse/synthèse via le parti-pris – pour le moins étonnant – d’une tranche de vie de touristes friqués dans un hôtel de luxe hawaïen : The White Lotus.
On y suit, un peu comme dans Downton Abbey, les riches (les clients) et les pauvres, (le personnel)… Pas un pour rattraper l’autre ! La plus belle brochette de connards que l’industrie hôtelière du Pacifique Est ait jamais connue…
Venez découvrir les déboires d’une famille complètement dysfonctionnelle, pilotée par notre chouchoute MILF Connie Britton (dans peut-être le rôle le plus méchant de sa carrière*), en CEO de la tech/Mère absente d’un foyer complètement déjanté. Dans le sens strict du terme : roulant sur la jante. Mais aussi un couple de jeunes mariés en voyage de noces, qui selon la célèbre formule du Dr Guigui, « sont déjà malheureux mais ne le savent pas encore » …) et enfin une sexagénaire foldingue (Jennifer Coolidge**), pétée de fric, venue disperser les cendres de sa mère, mais surtout se disperser elle-même.
Vous avez déjà rencontré, dans la vraie vie, ce genre de personnes, véritables trous noirs d’égocentrisme. Des gens dont l’ego est tellement dense, tellement lourd, qu’ils cherchent à attirer vers eux toute la lumière environnante. Quiconque s’en approche est immédiatement détruit. Et bien évidemment rien ne sort de ce puits sans fond. Mais le coup de génie de The White Lotus est de faire une série avec uniquement des protagonistes-trous noirs…
On ne sait pas très bien d’où viennent les créateurs de The White Lotus***, mais en tout cas il ne faut pas rater cette charge destroy sur l’Amérique (et qui vaut pour l’Europe, dans une moindre mesure), ses boomers égocentriques dépassés et ses millenials wokistes à géométrie variable.
« Devant la férocité de ce spectacle, le peuple en resta à la fois satisfait, et stupéfait », comme aurait dit l’auteur du Prince.
* Spin City, The West Wing, Friday Night Lights, 24, American Horror Story, American Crime Story, relire Cinefast, please…
** Inventeure du terme MILF, dans American Pie (information courtesy Professorinette)
*** Mike White est le scénariste du Monde secret des Emojis et de Pitch Perfect 3 : WTF ?
mardi 6 décembre 2022
Magnum
posté par Professor Ludovico
Voilà… Trente ans après, je sais enfin la fin de Magnum. Et la vérité sur le mystérieux Robin Masters ! Occasion aussi de constater ce que trois décennies font à la cinéphilie…
Magnum était dans les années 80 une série moderne, rapide et comique. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le charme des acteurs est toujours là, en particulier Magnum/Higgins et leurs doubleurs français… L’action a pris un énorme coup de vieux, puisque l’on est habitué à des chorégraphies pyrotechnique bien plus spectaculaires. Mais surtout, la série semble aujourd’hui pesamment moralisatrice. Les intrigues ne tiennent pas très bien la route et les rebondissements sont un peu forcés (mais ne serait-ce pas le lot des séries mainstream façon The Closer/NCIS ?)
Pourquoi est-il plus facile de regarder un film des années 50 ? Probablement justement, grâce à la qualité de l’écriture, qui seule, peut survivre au temps.
dimanche 13 novembre 2022
The end
posté par Professor Ludovico
John Ford disait qu’il mettait tout son budget dans le début et la fin ; le début pour installer les spectateurs dans le film, et la fin pour les faire revenir au cinéma. Si c’est assez évident pour le grand écran– il n’y a pas de grands films sans fin mémorable –, c’est moins vrai pour les séries.
On a pourtant déjà évoqué ici l’idée qu’une grande série, c’était avant tout une grande fin. Si elles offrent souvent plusieurs saisons éclatantes, cela se termine souvent en eau de boudin, pour de basses raisons de business model : les audiences ont baissé, la chaîne s’est désintéressée du show, et les créateurs sont déjà partis faire autre chose. Les acteurs ont la tête ailleurs, et la deuxième équipe tente de finir le travail…
Les séries chefs-d’œuvre racontent tout le contraire : le showrunner est toujours là, il écrit le dernier épisode, voire le dirige. Il a la volonté de conclure son œuvre en beauté. Les grandes séries ont toujours un dernier épisode (ou simplement une dernière scène) qui résume totalement le show. C’est le cas de Sharp Objects, dans sa dernière phrase, ou de Six Feet Under qui n’a pas toujours été bonne – loin de là -, dans sa dernière scène. Game of Thrones, elle, finit une saison 8 décevante par un dernier épisode méta si décrié, concluant pourtant en beauté tous ses arcs, et donnant une leçon de storytelling au spectateur…
Voici donc pour le Professore Ludovico 17 fins étincelantes, et donc 17 séries chef d’œuvre…
The Wire
The Sopranos
Twin Peaks (saison2, évidemment)
Mad Men
Battlestar Galactica
Seinfeld
Friday Night Lights
The Prisoner
Justified
The West Wing
Six Feet Under
Game Of Thrones
Sharp Objects
Generation Kill
Godless
vendredi 21 octobre 2022
Rings of Power/House of the Dragon
posté par Professor Ludovico
Pour qui s’intéresse à la fantasy, il est intéressant de regarder en même temps Lord of the Rings: Rings of Power, et House of the Dragon. Le Professore Ludovico ne le souhaitait pas, mais le Professorino l’y a obligé. Si la génération Millenials se fout un peu de ce qui sort au cinéma, il est hors de question d’être en retard à Game of Thrones.
Le Seigneur des Anneaux / Game of Thrones, c’est en effet la différence entre high fantasy et low fantasy. En gros, beaucoup de magie dans Le Seigneur des Anneaux, et juste un petit peu dans Le Trône de Fer.
Mais ce qui est intéressant ici, c’est qu’il s’agit de deux prequels. La Maison du Dragon se déroule 200 ans avant GoT, Rings of Power des milliers d’années avant. Les deux séries seront évidemment regardées à l’aune de leurs glorieux ancêtres. L’une vient de se terminer (GoT), l’autre accuse ses vingt ans d’âge. Revue de paquetage…
Pas la peine de lambiner, tout le monde le dit, The Winner Is… House of the Dragon. Malgré des décors plutôt moches bourrés de CGI, la saga de la famille Targaryen est musclée, character-driven, et, on oserait dire : au-dessus de son ainée ! Mais il est vrai que l’on compare 8 épisodes à 73. Centrée sur une seule intrigue, l’éternelle problématique de la succession médiévale, HoD a tout compris du Moyen Âge, de ses enjeux et de ses passions, et des drames intimes qui s’y nouent autour du trône maudit.
Les Anneaux de Pouvoir, eux, déçoivent : beaucoup plus longs, beaucoup plus kitsch, et malheureusement, beaucoup plus cons ! Si au départ, la série s’attache elle aussi à créer des enjeux (une héroïne rebelle, un couple interracial, une amitié en péril…), elle le fait d’une manière si conventionnelle, si grossière, si clichetoneuse, que le jeu est de terminer les dialogues à la place des acteurs… Seul point positif : quelques moments fugaces rappellent la magie spécifique de cet univers (l’Aube, l’Automne, la Lumière…).
Pour le reste, c’est d’un intense mauvais goût. Là où Game of Thrones a toujours su plonger son inspiration dans les racines réelles du Moyen Age (décors et formidables acteurs européens*), Rings of Power s’inscrit elle dans cette odieuse esthétique US, à coup d’elfes manucurés Avlon et d’hobbits zadistes. Dommage…
*dont la performance hallucinante de Paddy Considine, jamais vu à ce niveau…
mercredi 28 septembre 2022
Rings of Power: Apocalypse Now
posté par Professor Ludovico
Parfois les scénaristes, les cinéastes, aiment glisser de petites allusions à leur propre panthéon cinématographique. Ça peut être lourdingue : les citations d’Apocalypse Now dans le Dune de Villeneuve (le Baron essuyant son crâne luisant de sueur comme Marlon Brando), ou plus fin : citer le même film dans Lord of the Rings: Rings of Power, épisode 4*, quand Adar demande à son prisonnier Elfe où il est né :
– Where were you born, soldier ? By the mouth of the river? I went down that river once, when I was young… I remember the banks were covered in sage blossoms…
A comparer avec la scène ou Willard, lui aussi prisonnier répond aux questions du Colonel Kurtz :
– Where are you from, Willard?
– I’m from Ohio, sir.
– Were you born there?
– Yes, sir.
– Whereabouts?
– Toledo, sir.
– How far are you from the river?
– The Ohio River, sir? About 200 miles.
– I went down that river once when I was a kid. There’s a place in that river – I can’t remember – must have been a gardenia plantation at one time. It’s all wild and overgrown now, but about five miles, you’d think that heaven just fell on the earth in the form of gardenias.
* Scénario de Stephany Folsom, John D. Payne, Patrick McKay