Il faut toujours écouter le Snake, même très en retard… The Snake, c’est le gars qui vous a signalé Girls dès le début, mais qu’on a mis quatre ans à regarder*. Là, il nous bassine aussi avec Justified, la série Southern Gothic de Graham Yost qui date déjà de 2010.
On fait la bêtise de regarder ça cinq minutes, et c’est le choc, love at first sight, avec peut-être la meilleure intro de tous les temps : Raylan Givens, shérif à belle gueule (en l’occurrence un Marshall, en l’occurrence Timothy Olyphant**), Stetson sur le crâne, colt à la ceinture, boots, costard-cravate débarque… à Miami, de nos jours ! Au bout de trois minutes de cet oxymore intégral, Givens a déjà parlé comme un cowboy, et s’est déjà comporté comme un cowboy. Voilà donc notre héros muté d’office dans le Kentucky, le seul endroit où il ne voulait pas aller, tout simplement parce qu’il en vient. Condamné à retrouver son ex-femme, son père, et son ami d’enfance (l’incroyable Boyd Crowder, interprété par le génial Walton Goggins***), trois personnes que Raylan Givens a fuit à toutes jambes, pour des raisons variées…
L’incroyable surprise, c’est que Justified, c’est le retour du show unitaire avec à chaque épisode une enquête résolue à la fin, façon NYPD et autres NCIS/Experts/Law & Order. Quoi ! Le Professore Ludovico serait-il passé mainstream, façon ABC, NBC, TF1 ou FRANCE3 ? Meurtres à la Rochelle, Joséphine Ange Gardien et Alice Nevers : le Juge est une Femme ?
Que nenni. Justified est certes une série grand public avec un personnage de flic régionaliste, qui résout des enquêtes tout en réglant des problèmes avec sa femme, son père et ses supérieurs… mais ce sont les seuls points communs que l’on pourra trouver.
Où est son génie, alors ? Justified est tout simplement incroyablement écrit. Les intrigues de chaque épisode sont très originales, et les dialogues sont remplis de punchlines, façon Jack Reacher. A la base, il y a certes le matériau originel (une nouvelle d’Elmore Leonard, Fire in the Hole), mais on parle ici de 78 épisodes.
Alors que la série évolue dans une forme d’artificialité congénitale (beaucoup de scènes tournées en studio, et le Kentucky reconstitué au nord de Los Angeles), Graham Yost**** démarre à partir de gros clichés, comme pour mieux les dégrossir. On a l’habitude, malheureusement, de ces personnages mainstream taillés à la serpe : l’épouse bombasse remariée à un riche agent immobilier, le copain Aryan Brotherhood, le patron irascible et la sidekick black futée… Mais ces clichés sont à chaque fois redéfinis par des idées dynamiques qui virevoltent d’épisode en épisode, les retournent, montrent une nouvelle facette des personnages, et les fait évoluer. Un délice pour le cast, composé d’acteurs peu connus mais très talentueux (Timothy Olyphant, Nick Searcy, Joelle Carter, Erica Tazel, Natalie Zea, Walton Goggins…)*****
Justified, de ce point de vue, est plus brillante, plus méritante qu’une série A-List type Sopranos ou Friday Night Lights, car elle dépasse de très loin son ambition originelle de pur entertainment.
Elle fait œuvre, alors que personne ne lui a demandé.
* Bon, il a aussi conseillé The Green Knight, donc ça ne veut pas dire qu’il ait toujours raison, mais bref…
**Acteur très beau, très fin, et sous-employé au cinéma, mais déjà interprète de trois personnages culte de la télé américaine : Deadwood, Fargo et Justified…
***Déjà vu partout dans plein de seconds rôles mais aussi The Shield, Les Huit Salopards, Django Unchained, Machete Kills, Lincoln, Miracle à Santa Anna, Predators.
**** A très gros palmarès également : Speed, Broken Arrow, De la Terre à La Lune, Band of Brothers, Boomtown, The Pacific…
*****Justified est aussi bourrée d’idées de cinéma. Ainsi, une femme signifiera son adultère en enlevant délicatement son alliance, puis en la remettant, toujours sans mot dire, annonçant – show, don’t tell – la fin de ce bref coup de canif au contrat.
posté par Professor Ludovico
À la revoyure, la série de Peter Berg et Brian Grazer s’impose de plus en plus comme un The Wire positif et optimiste.
A chaque fois où l’on revoit une série, la connaissance holistique des intrigues permet souvent de réévaluer les saisons décevantes. C’est le cas de FNL : on réévalue la saison 2 – pourtant ratée à plein d’égards -, et on dévalue la quatrième, un peu lente, et pas si émouvante que ça.
Car si c’était n’était pas le projet au départ, Friday Night Lights est devenu au cours du temps une série ambitieuse. La première saison était centrée sur le football, mais les saisons suivantes vont proposer moins de matches, moins d’entrainement, moins de pep talk, et plus de sujets de société (handicap, légitime défense, pauvreté, racisme, foot business, avortement…) ou de sujets familiaux (parentalité, deuil, grand âge…)
Autre point remarquable, au-delà de ce foisonnement thématique : la défense du collectif face à une certaine pensée individualiste. Paradoxe total en Amérique ! Contrairement, par exemple, au cinéma d’un Clint Eastwood, où le héros (Sully, Walter Kowalski, le Pale Rider) lutte seul contre l’injustice ou le gouvernement, la leçon de FNL est claire : seul, on perd. Que l’on soit une grande gueule douée (Smash Williams), un fils à papa talentueux (J.D. McCoy) ou un sportif abandonné du ghetto (Vince Howard), les aventures personnelles n’aboutiront à rien. La métaphore du sport collectif joue à plein : il faut être le meilleur, mais sans l’équipe, on perd. Dans Friday Night Lights, chacun est mis face à ses responsabilités par les figures d’autorité (le Coach Taylor, ou sa conseillère d’éducation de femme.) Mais quand il y a un problème, c’est toujours vers le collectif qu’on se tourne, toutes structures sociales confondues : le couple, la famille, l’entreprise, l’équipe.
Et c’est résolvant cette contradiction : rêve personnel (devenir joueur pro) contre aboutissement collectif (gagner le championnat) que se bâtit en 76 épisodes la cathédrale de Dillon. Chaque personnage semble s’évertuer dans sa propre direction, proche du cliché : la cagole qui file droit vers le striptease (Tyra Collette), la cheerleader sainte nitouche (Lila Garrity), la cocotte-minute white trash Matt Sarracen, ou le rebel without a cause Tim Riggins, le proto-gangster Vince Howard. Mais chacun finira, grâce au collectif, à s’aboutir. Comme dans l’avant-dernière scène où Tim Riggins, revenu de tout, bâtit sa Maison sur la Colline* avec l’aide son frère et le soutien de ses amis…
Car – génie des séries – FNL a eu tout le temps de développer ses personnages. Et si elle l’a fait parfois de façon chaotique, leurs arcs narratifs seront parfaits, tenu par un cast exceptionnel, qui s’est depuis taillé une place dans la TV américaine.
C’est pour cela que nous sommes tombés amoureux de ces personnages, et que nous le sommes toujours, dix ans après…
*The House on the Hill, l’un des trois mythes fondateurs des Etats-Unis, avec la Frontière et la Destinée Manifeste
mercredi 19 janvier 2022
Too Old to Die Young
posté par Professor Ludovico
Nicolas Winding Refn est un punk. Quand tout le monde accélère le mouvement, caméra portée, plan d’un quart de seconde, montage et musique à fond, le Danois rétrograde en seconde et pose sa caméra.
À l’instar du premier plan de Too Old to Die Young, un interminable panoramique, droite/gauche, gauche/droite, alternant entre une voiture, garée sur l’une des anonymes artères de Los Angeles, et une voiture de police, garée en face. Ennuyeux ? Oui et non. Car ce plan est magnifique, tout coloré de néon comme l’aime notre Nicolas dernière période, tellement beau en HD que le pauvre Prime Video a du mal à suivre ! Ça va continuer pendant 750 mn, images folles de beauté, dialogues hiératiques (3 à 4 secondes entre chaque réplique…), et mouvements de caméra d’une incroyable beauté plastique…
Mais si tout est beau à l’image, c’est que – comme d’habitude – Nicolas filme l’Ordure. De Pusher à Neon Demon, NWR filme les salopards en action. Ici, un jeune flic mutique et corrompu du LAPD (l’excellent Miles Teller de Whiplash). On en verra d’autres : le très bel héritier d’un cartel mexicain (Augusto Aguilera), et une pléthore de femmes fatales, tout aussi belles et terrifiantes que formidablement interprétées (Cristina Rodlo, Jena Malone, Callie Hernandez, Nell Tiger Free…).
Le bellâtre mexicain rêve de baiser sa mère, le dealer cruel (Babs Olusanmokun, le Jamis de Dune) écoute du Two-Tone*, et le beau-père incestueux (William Baldwin) est prêt à coucher avec son gendre… Le polar est très simple, tout ce joli monde va gentiment s’entretuer, et tiendrait aisément en deux heures.
Est-ce que ça vaut le coup de le regarder en 10 × 75mn ? Si on aime le cinéma oui, cent fois. Parce que NWR a toujours eu le talent de raconter des histoires très simples, caricaturales, tout en créant de véritables personnages.
Quant à son éloge de la lenteur, ce geste artistique n’est pas une petite rébellion d’un type-qui-veut-faire-l’artiste : il donne à voir, tout simplement.
*Avec une BO incroyable, une fois de plus…
dimanche 9 janvier 2022
American Crime Story: Impeachment
posté par Professor Ludovico
Ryan Murphy est le plus fort. Une fois de plus, l’homme de Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Scream Queens, Feud, Hollywood, Ratched fait mouche avec sa troisième saison de American Crime Story, dédiée à l’affaire Clinton-Lewinsky.
Pourtant, il y a plein de raisons de renoncer. Clive Owen en Bill Clinton et Edie « Carmela Soprano » Falco en Hillary, vraiment ? Un gros nez en maquillage pour Bill et Paula Jones ? Une histoire qui ne touche pas forcément les Français ? Et le filmage très académique, la Murphy’s touch ?
Mais voilà, Ryan Murphy sait qu’une bonne histoire commence avec de bons personnages. Et ça, il sait faire. Au lieu du biopic traditionnel, (les-faits-rien-que-les-faits, puisqu’on vous dit que c’est-réellement-arrivé), Murphy commence par motiver ses personnages. Pourquoi Paula Jones dénonce-t-elle Clinton ? Parce qu’elle a un mari arriviste… Pourquoi Kenneth Starr s’entête sur le couple présidentiel ? Parce que les Républicains ne peuvent supporter ces jouisseurs de gauche au pouvoir… Pourquoi Linda Tripp, une employée du Pentagone décide de faire copine-copine avec une petite stagiaire rondouillette ? Pour se venger de sa carrière en pente douce…
Alors que le spectateur ne pense qu’à une petite robe bleue, le showrunner ne la sortira (et encore, furtivement) qu’à la cinquième heure… Parce que Ryan Murphy est un formidable conteur, qui aime ses personnages et veut vous les faire aimer… Et il les aime tellement qu’il prend toujours les mêmes acteurs, quel que soit la série, le genre, le rôle…
Mais au fait, où est Sarah Paulson, sa chérie, sa muse ? En fait elle est devant nous depuis quatre heures, métamorphosée en Linda Tripp, quinqua épaissie et gauche, et on ne l’a même pas reconnue ! L’immense Sarah Paulson, capable de tout jouer. Se pliant aux fantasmes de Murphy, elle a déjà incarné dans American Horror Story une journaliste, une sorcière, une freak bicéphale, une junkie, une actrice, une mère paranoïaque… Dans American Crime Story, la Procureure Marcia Clark, dans Ratched une infirmière folle…
Mais dans un Murphy, tout le monde est bon, car tout le monde a quelque chose à jouer… Il semble d’abord que ACS:I tourne autour de Tripp, mais à mi-parcours, Monica grandit, sort de son rôle de jewish american princess et devient l’héroïne, avant d’être supplantée par Hillary. Si tous ces personnages sont chargés (assoiffée de vengeance, nunuche sentimentale, cocue résignée), elles sont aussi mises en valeur (Tripp utilisée puis rejetée dans les poubelles de l’histoire, Lewinsky petit bout de femme capable de redresser la tête, Clinton lancée dans la course politique)…
Il en va de même pour tous les rôles annexes, de l’agent du FBI (Colin Hanks), à la journaliste ultra-droite Ann Coulter (Cobie Smulders), ou la mère de Monica (Mira Sorvino)… La véracité des personnages permet d’envisager tous les points de vue, tout en permettant à Murphy de soutenir le sien : la sexualité ne devrait rien avoir à faire avec la politique…
Continuez, Mr Murphy. On en redemande…