[ Pour en finir avec … ]

On peut pas aimer tous les gens…



lundi 7 janvier 2008


Pour en finir avec… George Lucas
posté par Professor Ludovico

Cette chronique traînait depuis longtemps dans un coin de mon cerveau, mais la sixième revoyure de Star Wars a finit par m’en convaincre : oui, il faut en finir avec George Lucas !

Débarrassons-nous tout de suite des indéniables qualités du garçon : oui, avec Star Wars, George Lucas a complètement modifié le business à Hollywood. Après Star Wars, l’usine à rêves n’aura jamais autant mérité son nom. Concrétisant un phénomène déjà lancé par les Dents de la Mer, Star Wars a changé à jamais le visage de cette industrie. Sur 3 plans :

    1/ Le public visé :

pour la première fois en dehors des dessins animés et autres « Coccinelle à Monte Carlo », on visait le public des enfants, qui allaient faire le triomphe de Star Wars, car avides de voir le film, mais surtout de le revoir, encore et encore.

    2/ le marketing des films :

dès le départ, George Lucas eu cette intuition géniale : le film étant hors budget, il renonça à une partie de son salaire, mais demanda à conserver les droits dérivés. On lui rit au nez, mais… la Fox accepta ! Sachez que depuis, notre George a gagné 9 milliards de dollars uniquement avec ça…

    3/ la façon de faire des films :

on ne compte plus les révolutions technologique que George Lucas a amené au travers de Star Wars : caméra pilotée par informatique, effets spéciaux, son THX, film numérique, George Lucas est le grand magicien, le Méliès de la fin du XX° Siècle.

Que lui reprocher alors ? Fan de science fiction, je ne le cache pas, j’ai mangé mon chapeau en voyant la première trilogie en 1977. Doublement. D’une part, de voir qu’une histoire aussi simpliste était portée à l’écran (le space opera n’est pas le genre le plus chic de la SF), mais aussi de comptabiliser les emprunts faits à droite et à gauche pour bâtir « son » univers : nombreux emprunts chez Dune, les Flash Gordon des années 30, etc.

Bien sûr, si Star Wars a eu et continue d’avoir le succès que l’on sait, c’est que si Lucas n’est pas un formidable créateur, c’est un grand synthétiseur d’histoires, qui sait nous jouer l’histoire éternelle qui habite tous les contes : le Parcours du Héros (avec ses épreuves, ses quêtes, sa nemesis), qui sous-tend les histoires de Siegfried à Beowulf, en passant par toute la mythologie grecque.

Non, là où George Lucas est minable, c’est en tant que scénariste et que metteur en scène. Il suffit pour ça de voir tout simplement la Trilogie. Le premier Star Wars, écrit, produit et réalisé par George Lucas, est tout simplement consternant. Les dialogues par exemple, avec les réplqiues de Luke, vantant à tout bout de champ tel ou tel vaisseau X-19 ou T-16, sont à gerber ; les personnages sont inexistants, ou ridicules. Heureusement, Han Solo vient apporter un peu d’air au bout d’une demi-heure.
Mais il suffit de passer à la suite, L’Empire Contre Attaque : pour constater la différence. George Lucas n’est plus qu’ Executive Producer, et c’est dejà beaucoup ! Le scénario est confié à une écrivaine réputée dans le milieu, Leigh Brackett, et un scénariste doué, Lawrence Kasdan, qui réalisera ensuite trois petits chef d’œuvre (La Fièvre au Corps, Silverado et Grand Canyon). A la réalisation, un vétéran, Irvin Kershner. Il en sera de même pour Le Retour du Jedi, réalisé par Richard Marquand.

Et si la Prélogie est aussi mauvaise, c’est qu’elle reproduit le même schéma : écrite, produite et réalisée par George Lucas. Donc, George, on t’en supplie, on n’a rien contre toi !! Tu est un grand producteur (Indiana Jones, Star Wars), tu as même été un excellent réalisateur sur les films que tu n’as pas produit toi-même (American Graffiti, THX1138), alors je t’en prie, ne mélange plus les genres…




mercredi 25 janvier 2006


Bon anniversaire !
posté par FrameKeeper

Pour en finir avec la Tonton-mania

10 ans déjà… 10 ans que le héros d’une aventure commencée le 10 mai 1981 n’est plus. Bon on va pas vous faire le coup de « Tonton reviens ils sont devenus fous » ni celui de « Ah Mittrand .. oui je me souviens.. l’attentat de l’observatoire … et l’envoi des premières troupes en Algérie » … Cinéfast n’est pas un blog politique et n’ambitionne pas de l’être.. A Dieu ne plaise.. Du Cinéma rien que du Cinéma mais tout le Cinéma.

Simplement, force est de constater que, par comparaison, au hasard, avec la révolution bolchévique, la période mittérandienne n’aura pas inspiré au 7ème art les mêmes chefs-d’oeuvres.. question d’époque surement…

Je m’en tiendrais à deux exemples, qui symboliquement et commodément ont immortalisé le début et la fin du règne… Etat d’âmes donc pour la génèse de l’épopée et Le promeneur du Champ de Mars pour le chant crépusculaire..

Etat d’âmes, pour ne rien vous cacher, je ne l’ai pas vu depuis un moment et ma mémoire peut me trahir… mais c’est déjà une scène d’anthologie: le départ de Giscard qui effectivement, malgré sa cruauté qui lui vaudrait surement aujourd’hui une interdiction au moins de 16 ans (à côté Irréversible c’est un peu « l’enfance de Candy »), vaut son pesant de Curly.. c’est aussi une présentation « choralistique » avant la lettre de toute une génération de jeunes premiers bien sous tous rapports… Cluzet, Deluc, Renucci, Karyo et JP Bacri.. nobody’s perfect..

Il faudra un jour que le Cinéma français reconnaisse sa responsabilité dans le massacre de tant de jeunes talents.. et que l’on dresse un monument à ces Xavier D., Mevil P. , J. Bonnaffé et autres Nicolas Duvauchelle… Tchéky.. t’as bien fait de te barrer… Bacri.. tu peux dire merci à ta gonzesse..

Quant au « promeneur », il vaut.. par la performance de Michel BOUQUET of course (à côté Raging Bull c’est un peu « Fantomas en Ecosse ») et puis par..

Bon on est pas là non plus pour dire que du mal et puis sincèrement, tout le monde peut se louper (enfin là c’est quand même chaque plan, chaque prise, chaque cadrage.. à ce point là.. même en faisant exprès .. c’était pas gagné.. même dans le Coeur des Hommes y’a un ou deux plans … enfin au moins un, si je me souviens bien y’a une vue du sacré coeur qu’est pas mal du tout.. )

Plutôt que d’être bêtement négatif à la Libé ou à la Le Monde, je vous propose une expérience de physique amusante…

Réunissez-vous entre bons potes.. un soir … essayez un peu d’équilibrer entre les tontons maniacs, les pas trop, les amoureux de Cartier Bresson, ceux de David Hamilton, servez un peu d’alcool .. et lancez l’un des deux DVD… commencez quand même par le « Promeneur ».

Logiquement, après 5 mn de politesse (ce film est quand même classé dans le top ten des lecteurs de Télérama), y’en a bien un qui va remarquer que le cadrage ferait vomir un assistant des Frères Dardenne .. un autre, qui par exemple en hommage à Jean Yann, est en train de relire tout Peguy dans la Pléiade, va bien pouffer en entendant Mittrand s’extasier sur cet auteur injustement banni de nos bibliothèques.. un troisième, versé dans l’actor studio, va bien remarquer que Jalil Lesperts a décidemment tous les talents et qu’il pourrait parfaitement jouer le mur dans le Songe d’une nuit d’été.. (y’a photo avec Nicolas D.) on n’y verrait que du feu..

A partir de là, ne faites plus rien… lâchez vous …. c’est parti pour 1h50 de rire absolu et si ça n’est pas assez, regardez le bonus.. l’interview vérité de Guédiguian, qui ferait un Jean Schultès tout à fait crédible, c’est que du bonheur.. pour vous dire.. nous on n’a pas tenu jusqu’à la fin.. trop dangereux.. on était au bord du malaise… et puis faire venir SOS médecin en banlieue à minuit…

Allez essayez.. vous nous remercierez plus tard..

Biz




lundi 11 juillet 2005


Ken LOACH et sa morale à 30 cts d’euro
posté par FrameKeeper

Pour en finir avec Ken LOACH, il suffit de pitcher Raining Stones…

Bob est chômeur et nécessité faisant loi, vit d’expédients.
Mais il en vit mal: il n’arrive pas à voler des moutons, se fait arnaquer par l’évêché qui lui fait déboucher les égouts gratos, puis se fait virer d’une boite de nuit parce que lui, Bob, il leur dit merde aux dealers… Et il se fait même piquer sa camionnette, ah vraiment, il a pas de bol le Bob.

Et pourtant, il est catho le Bob ! Même qu’il va acheter la plus jolie aube pour la communion de sa fille. Ah mais ! Pauvreté n’est pas vice. Et sa fille sera la plus belle pour aller communier.. Même s’il doit s’endetter pour cela, il est comme cela Bob… Sauf que, pas de bol, sa dette de communion, il ne peut pas la rembourser et que, pas de bol décidemment, son usurier cède la dette à un méchant truand qui ne rigole pas avec les délais et que patatras, les méchants viennent tout casser chez lui pour qu’il rembourse.

Alors forcément, Bob se dit « c’est pas juste » et il va lui dire au grand méchant ce qu’il en pense de ses méthodes de voyou et que c’est pas bien que tous les pauvres du monde ne se donnent pas la main et que certains en profitent pour exploiter les plus pauvres… Mais le grand méchant, il a pas lu Marx, alors il s’énerve de pas avoir son pognon et Bob aussi parce qu’il l’a pas le pognon et pas de bol, Bob le tue ce fils de pute d’usurier…

Alors Bob, qui est vraiment un bon chrétien, il va voir le prêtre pour tout lui confesser avant de se rendre à la police. Mais le prêtre c’est vraiment un mec bien aussi, pas un pourri d’evêque pédophile et il lui dit à Bob:  » c’est pas juste, ce mec était vraiment une ordure, toi t’es un mec bien puisque t’es un pauvre chômeur honnête, y’a pas de raison, c’est pas normal, c’est pas juste alors tu rentres chez toi et tu fermes ta gueule ».

Alors Bob, il rentre chez lui mais la police, elle vient chez lui … les gentils seront décidemment toujours perdants ? Non, c’était une blague du scénariste, les policiers, y’venaient juste pour lui rendre sa camionnette qu’on lui avait piquée au début du film… Ah, un film qui finit bien de temps en temps, ça fait du bien !

Moralité 1: C’est vrai quoi, si les pauvres avaient le droit de buter un salaud de patron ou d’usurier de temps en temps et si les prêtres étaient un peu moins cons et acceptaient de les absoudre, (d’autant que souvent, c’est de leur faute aux riches et aux salauds si les pauvres sont dans la merde car sans la communion de la petite, Bob n’aurait tué personne), et bien le monde tournerait plus rond…

Moralité 2: les hommes n’ont pas toujours besoin de religion pour s’étriper et Land of freedom prouve qu’on y arrive très bien même entre copains. En revanche, on a toujours besoin d’une religion, quelle qu’elle soit, pour justifier son orgueil et ses crimes… Mais si in fine, il ne reste plus comme solution que d’accuser la religion d’être à l’origine du mal..

Moralité 3: je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me dit que finalement, la culpabilité judéo-chrétienne, depuis le gardiennage de son frère jusqu’au soleil qui brille pour les bons et les méchants, ça n’a peut-être pas que des mauvais cotés…. mais bon ce que j’en dis..
Ken LOACH lui a eu un prix à Cannes et un hommâge ému de Télérama qui a salué sa délicatesse dans l’exposition de la scène de racket au domicile de Bob.. c’est vrai quoi n’importe quel cinéaste aurait cherché à exploiter la peur pour l’enfant… aurait montré les voyous frappant la mère devant la fille, ou l’inverse… Pas Ken, non il ne mange pas de ce pain là… mais son pain n’est pas pour autant nécessairement plus frais.. ni plus comestible…




jeudi 23 juin 2005


Jeunet : Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
posté par Professor Ludovico

Ce qui est bien avec Jeunet, c’est comme chez Mc Do, on sait à l’avance ce qu’on va manger. Au menu, des personnages sympas, style BD : le méchant boucher, les enfants perdus, le jeune amoureux transi, etc. Des belles images, avec plein de couleurs dedans… Des fantastiques mouvements de caméra (et tout ça sans payer plus cher qu’un film ouzbek en Super8 !). Jusque là, cette méthode a relativement bien collé au propos ludique de Jeunet : la farce cannibale (Delicatessen), le conte enfantin steampunk ( La Cité Des Enfants Perdus), la belle histoire d’amour (Amélie Poulain).

Mais voilà, Jean-Pierre vieillit, il pense avoir mûri et décide de se colleter aux Grands Sujets : avec Un Long Dimanche de Fiançailles, c’est la Grande Guerre. Sujet casse-gueule, car déjà filmé, et pas par des stagiaires de l’IDHEC : Les Sentiers de la Gloire, Les Croix De Bois. C’est aussi un sujet de littérature abondante, et un sujet très documenté.

Mais Jean-Pierre, il s’en fiche, lui il est contre la guerre (position courageuse) et puis il sait tout ça, les mutineries de 17, Pétain, les pauv’ gars envoyés à l’abattoir, etc. Il a lu un très beau livre là-dessus, signé Japrisot, et c’est parti mon kiki. En plus, ce livre, c’est un peu « Amélie Poulain Fait Le Chemin Des Dames », puisque l’équivalent littéraire du style de Jean-Pierre.

Alors on se lance, fort de son bon droit. Car Jean-Pierre, les années 10-20, il connaît ! Dans sa cave, il collectionne plein de vieux téléphones bizarres, des costumes d’époques, des trains électriques, sans parler d’une collection de cartes postales défiant toute concurrence. Alors autant que ça serve ! Car comme Ridley Scott, Jean-Pierre est un formidable décorateur. Il sait filmer les objets, leur texture : le vieux bois… la boue de la tranchée… le sang qui gicle… la belle mousse verte sur le calvaire breton… l’étron de l’âne corse… Tout fait vrai, tout sonne juste, sauf les sentiments…

A force de filmer des objets et de reconstituer le palais du Trocadéro en 3D, Jean-Pierre a oublié qu’il y a avait un truc, là, au premier plan, qu’on appelle des personnages. Aussi se contente-t-il de filmer des faciès, des expressions : la Colère, l’Indignation, le Désespoir, la Tristesse, illustrant ainsi l’évolution de son héroïne, et espérant retrouver ces émotions chez le spectateur.

Tout ça a peu d’importance puisque de toutes façons, ces « personnages » ne sont là que pour permettre à l’histoire d’avancer, et cette histoire, elle est déjà torpillée dès le début : Mathilde doit retrouver l’amour de sa vie. Pourtant, le jeune Manech est officiellement mort. (Pas d’inquiétude, cher spectateur, on ne craint pas une seconde : a) qu’elle ne le retrouve pas, b) qu’il soit mort).

La question donc se pose ainsi : Pourquoi l’amoureux de Mathilde ne serait pas mort ? La réponse étant : « ON S’EN FOUT ! » Une réponse qui n’est pas de moi, mais d’Alfred Hitchcock, un obscur cinéaste londonien. Lequel ayant théorisé en son temps (dans les années 20, justement), que le spectateur se fout du pourquoi, mais qu’il préfère s’identifier aux personnages, même dans des situations rocambolesques. « la question, disait-il en substance, n’est pas de savoir pourquoi bon dieu ces gens ne vont pas prévenir la police ? ? ? Mais plutôt, comment faire pour le spectateur soit avec Jimmy Stewart, qu’il vibre avec lui, qu’il s’inquiète pour lui ? »

Mathilde va-t-elle réussir à la retrouver ? On s’en fiche pour deux raisons. D’abord parce qu’il est difficile de vibrer avec un faciès. Audrey Tautou est belle, mignonne, attendrissante. Mais on ne sait rien d’elle. Il faudrait un vrai personnage, pour qu’on s’identifie un peu. Ensuite, on n’est pas très inquiet, parce qu’elle n’a pas beaucoup d’opposition, la Mathilde ! Elle reçoit des courriers, en envoie, prend le train, visite les halles, visite l’Opéra, etc. Mais aucune force du Destin, aucun opposant ne risque d’empêcher la vérité d’éclater…

Bon vous me direz, c’est pas Usual Suspects non plus. Mais dans le mélo, il y a aussi besoin d’opposition : le sens moral de Meryl Streep dans La Route de Madison par exemple, ou la pression sociale sur Richard Gere dans Pretty Woman.

C’est peut-être un film de guerre, après tout ? C’est là que sa se gâte. Ca aurait pu être un film de guerre. Ou un film contre la guerre. Tout occupé qu’il est à sa reconstitution (pas un bouton de guêtre, pas une tache de boue qui manque), Jean-Pierre fait de l’histoire avec un petit h et des stéréotypes à majuscule partout : les Généraux Incompétents, les Courageux Soldats Insoumis, le Boche Qu’est Comme Nous, etc. De sa collection, Jean-Pierre nous ressort un vieux livre des années 30 : « La Grande Guerre Expliquée aux Enfants » : il était une fois, un guerre voulue par de méchants généraux, faite par de pauvres bougres qui n’aspiraient qu’à boire de la bière et courir la gueuse ou faire partie du mouvement ouvrier, et qu’on a envoyé, comme ça, lâchement, à l’abattoir. Sur place, ne voyant pas d’issue, ils décident de se mutiler pour éviter les tranchées, mais de méchants généraux (je vous aide, ça commence par un P.) les condamnent odieusement au peloton d’exécution.

Je me permets de fournir quelques fiches de lecture pour le petit Jean-Pierre, afin de l’aider à approfondir la question :

  • « Si c’était si chiant à faire, la guerre, on trouverait pas autant de mecs pour la faire. » (Francis Ford Coppola). Relire à ce sujet Orages D’acier, Voyage Au Bout De La Nuit, Les Croix De Bois, La Peur, Ceux de 14… Plein de gens sont partis avec l’envie de tuer du boche, avec un réel sentiment nationaliste, et le plaisir animal de se battre.
  • « On ne fait pas la guerre (ni du cinéma) avec de bons sentiments » : Pétain a condamné pour l’exemple des mutins, souvent innocents. Mais en même temps, il a amélioré l’ordinaire du soldat, organisé les relèves automatiques sur le front, et très probablement gagné la guerre.
  • « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confié à des réalisateurs de clip » (Clémenceau, de mémoire)

Car le problème fondamental de Jeunet est là, il est dans tous ses films et il est particulièrement criant sur un sujet sérieux. La guerre a beau le dégoûter le Jean-Pierre, il aime quand même drôlement bien la filmer. Y’a pas à dire, une explosion ; c’est beau, ça fait un beau son THX. Les tranchées, c’est idéal pour faire des travellings arrières et de zolis effets de Louma.

Mais une fois de plus, à quoi ça sert ? Avoir des moyens et les utiliser, ce n’est pas la même chose ! Un cinéaste, c’est un œil qui regarde, qui décide, parce qu’avant tout un cinéaste c’est un conteur : il maîtrise ses effets. JP Jeunet, c’est un chef-op. Il faut que le conteur lui dise où filmer, sinon il filme tout ce qui lui plait. Et comme il a un super jouet dans les mains (la Warner, le plus gros budget de l’histoire du cinéma français), il s’en sert : travellings, Louma, 3D, tout y passe, même si ça n’apporte rien à son histoire.

Deux exemples comparatifs :

  1. le plan séquence : dans tous les cas de figure un plan-séquence est très dur et coûteux à réaliser : c’est une performance. Dans Un Long Dimanche, JPJ en réalise un très beau dans les Halles de Paris. Pour quoi faire ? à la fin, Audrey Tautou rencontre Jodie Foster. Qu’a-t-on appris qu’on n’aurait pas appris d’un banal gros plan ? Rien. Aux Halles, en 1920, y’a de la viande et des choux fleurs.

    Dans Les Affranchis, un plan séquence suit Ray Liotta à l’intérieur d’une boîte de nuit. Il évite la file d’attente, et sans payer, se retrouve au premier rang, ce qui lui permet d’éblouir Lorraine Bracco. En un plan, on a compris : Ray Liotta connaît du monde, il connaît tout le monde, et on ne peut plus rien lui refuser. Ce plan clôture la première partie : il est devenu un wise guy.

  2. Plans aériens. Dans le film de Jeunet, toutes les 30 secondes, la caméra survole les tranchées, virevolte entre les crucifix et les cadavres. Le premier est superbe : on découvre en un plan l’horreur de 14, la boue, le sang, la mort. Mais au troisième on a compris et ça commence à fatiguer.

    Dans Titanic, Cameron fait la même chose : il filme de manière virtuose le bateau, la caméra tourne autour de cet indestructible oiseau des mers. Au milieu du film, au contraire, c’est un plan fixe, filmé de très loin, qui vient rappeler la fragilité du Titanic au milieu de l’immensité glacée. Et une fois coulé, la caméra de Cameron ne virevolte plus. Elle est fixe, dans l’eau, au milieu des naufragés : nous sommes avec eux. Pas de fioritures : ces gens sont en train de mourir. Le héros nous dit adieu. Cameron a les moyens de faire mieux, de faire plus. Il décide de ne pas le faire. Car il sait, parce que c’est un grand conteur, qu’il doit ménager ses effets.

A ce moment-là, Monsieur Jeunet, derrière l’extrême économie de moyens, il n’y a plus que l’émotion.




jeudi 23 juin 2005


Ridley Scott, ou le Cinéma de Décorateur
posté par Professor Ludovico

Ô amours défuntes ! Ô doux oiseaux de jeunesse ! Il fut un temps, pré-matrixien, où l’on ne pouvait vivre sans Ridley Scott. Un temps où les films de SF se comptait sur les doigts d’une main… Ridley fut notre seul prophète, notre espoir, le temps de deux films … Il joua si bien son coup que l’hypothèque, chez les quadras de ma génération, ne se lève que maintenant, après une bonne dizaine de déceptions.

Je ne vais pas vous la faire : pour moi, l’affaire était entendue depuis longtemps. Depuis 1987, pour être précis, le jour où notre barbu quitta la Kubrick League pour rejoindre la 2ème Division John Badham, celle des gentils faiseurs d’Hollywood. Ce jour-là s’appelle Someone to Watch Over Me, un polar poussif qui révéla au grand jour l’incompétence crasse de Ridley, et sa spécialisation désormais certaine dans ce que j’appellerai le film de Décorateur.

Qu’est-ce qu’un film de décorateur ? Il y a des films de réalisateur (c’est à dire qu’on s’y préoccupe surtout de travelling et de cadrage) et les films de décorateur, où, en plus, on s’occupe de faire beau : beau travelling, beau cadrage, mais aussi beau décor et beau costume. Comme par hasard, ça vient souvent de la pub : Russel Mulcahy, Jean-Jacques Beineix, Tony Scott.

Ridley Scott est un ancien publicitaire ; il sait l’importance du réalisme dans le décor, dans les costumes. Ce réalisme permet au spectateur une plus grande identification à l’univers du produit. Mais Ridley ignore l’importance d’un bon scénario, d’une bonne direction d’acteur et surtout, d’une véritable histoire à raconter. Il est d’ailleurs intéressant de comparer la carrières des frères Scott. Tous deux publicitaires, tout deux réalisateurs « décorateurs »… Pourtant, Tony a fini par surpasser Ridley. Car Ridley s’y croit, quand Tony admet n’être que l’employé de producteurs talentueux (Simpson/Bruckheimer, pour ne pas les nommer).

C’est là que le bât blesse. Ridley a la grosse tête. Brillamment entouré au début de sa carrière, piloté par des scénaristes/producteurs sérieux, c’est bien ce qui manque aujourd’hui. Mais reprenons depuis le début…

Ce fut le temps de deux chefs d’œuvre, évidemment : Alien et Blade Runner. (Les magnanimes ajouteront Duellistes). Deux œuvres séminales et fondatrices. Alien fut pour tous un choc, la traduction de visions entrevues dans la littérature SF : nos cauchemars d’un futur sordide et mercantile se concrétisaient enfin. Quelqu’un voyait comme nous !

A l’époque, le cinéma n’offrait que du space opera ridicule, en jupettes de cuir, tuniques blanches et sabres laser (je ferais un jour un sort à la prétendue « œuvre » de Georges Lucas). Il y avait aussi quelques films sombres (L’Age de Cristal, La Planète des Singes…), mais la déco faisait tellement défaut (et coûtait tellement cher) que ces films, à la revoyure, font encore rire aujourd’hui…

Quand Alien vint, on sut que plus rien ne serait pareil. L’espace n’était plus un lieu d’aventures extraordinaires dans des vaisseaux rutilants mais bien le reflet punk de notre époque. Les cargo spatiaux étaient sales, pleins de cambouis. Le motivations : sordides et mercantiles. La sexualité : refoulée et triste*.

Blade Runner fut une suite logique au formidable succès commercial d’Alien. Ridley Scott adapta dans son univers le roman de Philip K. Dick, transformant une Californie désertifiée en Los Angeles sous une pluie éternelle, en dé-castant Harrison Ford en anti-héros mature, et surtout en créant cet univers urbain encore pillé, vingt ans après, par la plus minable des séries B de M6. Personne, dans le milieu du cinéma, n’est sorti intact de Blade Runner, malgré son échec commercial**.

Legend annonça le déclin du cinéma scottien. Les images étaient toujours aussi belles (peut-être les plus belles qu’il ait tournées). Mais il n’y avait plus de scénario, plus de producteur, derrière les enluminures.

Pas une seconde, Ridley Scott ne se préoccupe de son histoire, tellement basique qu’elle en devient ridicule. Il passe visiblement peu de temps avec ses acteurs, et leurs personnages sont vides. Par contre, on l’imagine en studio, en train de reconstituer cette forêt magnifique, de choisir avec amour chaque pierre, chaque fougère… imitant en cela un certain… Stanley Kubrick. A Hollywood tout le monde respecte, envie et veut devenir Kubrick. Sa filmographie exceptionnelle, sa capacité unique à obtenir le final cut, le réalisme de ses productions : décors, costumes, accessoires… Je sens un frémissement dans l’assistance… Kubrick ferait-il partie de cette infâme caste des « décorateurs » ? Erreur, cher public, mais rassurez vous, vous n’êtes pas seuls…

Ils sont nombreux à avoir compris de travers les enseignements de Maître Stanley. Kubrick était mégalo, frustré, maniaco-dépressif : il se préoccupait de tout ! Bien sûr, il voulait savoir quel type de brosse à dent pouvait utiliser Barry Lindon, ou connaître le nombre exact de millimètres carrés des pubs pour Full Metal Jacket dans la presse thaïlandaise… Il voulait tout contrôler, et c’est pour ça qu’il a fait peu de films. Mais tout contrôler, c’est aussi polir pendant des années son scénario, ou tourner pendant un an avec Cruise/ Kidman pour Eyes Wide Shut. Et recommencer tant que ce n’est pas bon… Le scénario, les acteurs, ce ne sont pas des détails…

Après Legend, le cas Ridley ne fit que décliner. De succès en échec, rien n’y change : films de décorateur à succès, comme Gladiator, ou des films de décorateur à échec, comme Legend ou 1492. A chaque fois perce pourtant son unique motivation : l’envie de reconstituer, avec un talent certain, un univers qui le fascine : les appartements yuppies new-yorkais de Someone to Watch Over Me, le japon yakusa de Black Rain, l’Espagne de 1492, la Rome antique de Gladiator, et ce, jusqu’à la dernière fibule de centurion romain.

A chaque fois, ses projets sont très excitants sur le papier, il propose de véritables challenges au spectateur. On l’imagine aussi excellent pitcher à Hollywood, capable de vendre un projet clefs en mains : Depardieu en Colomb, Demi Moore rasée, etc. Des films qu’on a instantanément envie de voir. Mais une fois dans la salle, c’est une autre affaire…

Il reste le plus bel enlumineur du cinéma américain. C’est là sa constance, c’est là son honneur… Il fait partie de la longue liste des réalisateurs en qui nous avons espéré, le temps d’un ou plusieurs films. Tels des étoiles filantes, ils nous abasourdissent de leur chef d’œuvre instantané. Epoustouflé par tant de génie, nous ne savons pas entrevoir derrière eux le producteur discret ou le scénariste talentueux. Puis un jour, ce complice disparaît, et notre jeune espoir révèle sa vrai nature de tâcheron de seconde zone : j’aimerais citer Bryan Singer, George Lucas, Jean-Jacques Annaud, Ang Lee, Jean-Jacques Beineix***…

A l’instar de Ridley Scott, ils offrent souvent du régal pour les yeux, mais nos cœurs affamés d’un peu d’humanité restent sec…

P.S. J’ai volontairement laissé de côté Thelma et Louise, un film tellement stupide, abject et démago, qu’il mérite une critique à part entière.


*Alien, le plus grand porno de l’histoire du cinéma, transpercé -si j’ose dire- de pénétrations en tout genre, fellations, viols et orgasmes divers

**Avec, 10 ans après, le plus beau Director’s cut de l’histoire du cinéma : Comment, en UN SEUL PLAN, changer l’intégralité d’un film ? Je rappelle le principe. La version 1982 était ambiguë, on ne savait pas si Deckard était un flic ou un répliquant … Un plan inexpliqué montre un flic laisser un origami de licorne dans la chambre de Deckard. Dans son Director’s cut de 1992, Ridley Scott rajoute un rêve de Deckard : une licorne qui gambade dans la forêt. La boucle est bouclée : si le flic connaît les rêves de Deckard, c’est donc un répliquant. CQFD.)

***Message personnel à l’attention du Frame Keeper : j’ai longtemps intégré David Fincher à cette liste peu recommandable. Puis un soir de 2003, vers 3 heures du matin, lors d’un comité Cinefast, la lumière vint. David F. était bien un cinéaste chrétien, et ses films avait du sens. Une œuvre était en cours… To be continued.




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