[ Pour en finir avec … ]

On peut pas aimer tous les gens…



mardi 30 mai 2023


Héritage de Succession
posté par Professor Ludovico

Peut-on enfin mesurer l’incroyable succès artistique que représente Succession, désormais un des 8000 télévisuels après cette season finale d’exception ? Là où il n’y a plus beaucoup d’oxygène pour les series faiblardes, mais en bonne place à côté des autres Everest que représentent Sur Ecoute, Mad Men ou Les Soprano ? C’est-à-dire une série parfaite de bout en bout, sans accroc, ni failles ?

Sur le papier, pourtant, Succession accumulait les tares. Une série sur le monde de l’entreprise, très rarement filmé correctement par nos amis du Monde Merveilleux de la Scène et du Spectacle. Au cinéma, le travail est souvent ridiculisé. Les cadres sont stupides, les ouvriers opprimés… Succession a évité ce premier écueil en proposant des personnages tous aussi horribles les uns que les autres, évoluant dans un cadre réel : un conglomérat de la presse et de l’entertainment. Ce qu’ils font n’est pas idiot, ils constituent des empires, les défont, les revendent : en un mot, ils travaillent.

Le deuxième récif était de faire un Biopic. On ne peut s’empêcher en effet de penser aux Maxwell, aux Murdoch*, et aux Lagardère. Mais en choisissant justement de ne pas traiter un sujet en particulier – faiblesse du Biopic – Succession devient universel en passant du particulier au général. Et fait œuvre.

Troisième point d’achoppement possible : la description du luxe. Si Hollywood, pour des raisons évidentes, est plus à l’aise sur le sujet, il fallait néanmoins soigner le réalisme de chaque détail, à l’aune desquels la série serait jugée**. Yacht, hélico, montres de luxe, vins fins, niveau de langage : tout sonne juste dans Succession.

Après, la série a les qualités habituelles des grandes œuvres : un propos fort, et des personnages solides extrêmement bien joués, sans fausse note aucune. Aussi bien le Front Row (le père et ses quatre enfants, Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin, Alan Ruck, Sarah Snook) que les personnages annexes, Tom et Greg (Matthew Macfadyen, Nicholas Braun), le CODIR Waystar (Peter Friedman, Dagmara Domińczyk, David Rasche) et les vautours qui les survolent (Arian Moayed, et le toujours génial Alexander Skarsgård). Casting parfait, qualité HBO : à simple titre d’exemple, on notera la présence de J. Smith-Cameron, une habituée HBO, dans le rôle de la directrice des affaires juridiques. Elle incarnait quelques années auparavant, une white trash louisianaise dans True Blood.

Dernier succès et non le moindre, avoir su tirer une histoire d’un ensemble de rebondissements répétitifs. Chez ces Atrides de new-yorkais, on s’aime, on s’allie, on se trompe et on se trahit… Pourtant le spectateur n’a jamais l’impression que la série se répète, tant elle est capable de renouveler ces jeux d’alliance (le frère et la sœur, le père et le frère, l’ami et le traitre, etc.), tout en dévoilant petit à petit les fractures intimes des personnages. Roman Roy, interprété par le fabuleux Kieran Culkin, en est le plus vibrant exemple.  

Il y a enfin la capacité du showrunner à bâtir, à partir de ces intérêts particuliers, un propos plus vaste. Comme cette saison 4, où les déchirures familiales peuvent potentiellement amener à l’élection d’un clone de Trump.

On constatera l’impact, au sens physique du terme, de ces décisions puériles sur la vie de ceux-là mêmes qui auront créé ce chaos…

* Inspiration originelle de Jesse Armstrong, qui voulait d’abord ne réaliser qu’un film…

** Un contre-exemple possible étant l’adaptation indie – donc fauchée – de l’American Psycho de Brett Easton Ellis par Mary Harron. Pour que le film marche, il fallait des restaurants luxueux, des appartements gigantesques, ce que la production ne pouvait s’offrir.




samedi 24 décembre 2022


Jackie Brown
posté par Professor Ludovico

On sait ce qu’on pense ici de la filmographie de Quentin Tarantino. On peut néanmoins la résumer en quelques mots, pour les newbies. Quentin Tarantino refait, pour des millions de dollars, des films qui en ont couté quelques centaines de milliers. QT est probablement le plus grand cinéphile de tous les temps, mais il ne fait que recopier, avec un immense talent, les films de série B. qu’il a aimés. Par ailleurs, son cinéma n’a rien à dire. Combien de fois faudra-t-il le répéter : une œuvre d’art est là pour dire quelque chose : même Flashdance, même Doctor Strange in the Multiverse of Madness, même La Grande Vadrouille… Au contraire, le cinéma de QT est creux, il ne dit rien d’autre que les rêves de gamin de Tarantino, Quentin : un cinéma fait par un enfant, avec ses jouets fétiches : voitures, Cowboys et Indiens, Gendarmes et Voleurs.

Mais de cette filmographie minimaliste émerge, un film, un seul : Jackie Brown. Comme par hasard, le seul film qui n’est pas un scénario original de QT. Le seul film tiré d’un livre (Punch Creole, d’Elmore Leonard). Un livre. Un livre, ce jouet des adultes.

La période des fêtes est souvent l’occasion de revoir les vieux films. Jackie Brown n’a pas vieilli, il a même embelli. D’abord, on a rarement vu autant d’amour projeté sur une actrice à l’écran. Quentin Tarantino est fou de Pam Grier, et ça se voit. Il colle littéralement à son visage, et ne se lasse jamais de la filmer. Cela pourrait être une embarrassante démarche voyeuriste à la Hitchcock, une pure pulsion sexuelle, mais Jackie Brown est beaucoup plus. C’est George Cukor qui filme Audrey Hepburn dans Sylvia Scarlett, Vadim qui filme Bardot, Carax qui filme Binoche. Pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Tarantino a de l’empathie pour son personnage, et évidemment, ça en crée pour le spectateur. Pas pour n’importe qui, pas pour une blonde aux jambes de 2,50 m qu’il affectionne (Uma Thurman, Margot Robbie …) Non, pour une femme fatiguée, humiliée, qui sait que le meilleur est derrière elle. Cette femme c’est Jackie Brown, mais c’est aussi Pam Grier. En 1997, Grier a quarante-huit ans, elle sort d’un cancer, et n’a tourné que des navets mettant en avant sa poitrine. Elle est au bout de sa – toute petite – carrière. Ça tombe bien, Jackie Brown aussi. Elle a déjà fait de la prison pour son ex-mari et travaille comme hôtesse de l’air sur une compagnie merdique. Elle est harcelée par deux flics débiles (dont Michael Keaton, génial) qui se servent d’elle pour faire tomber un marchand d’armes minable, Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). Ordell est un idiot, mais un idiot dangereux ; il vient de tuer de sang-froid un type qui pouvait le balancer. Comment va-t-elle sortir ? Comment va-t-elle embobiner tout le monde, flics et voyous ?

Arrive l’autre personnage attachant du film, interprété par Robert Forster dans son plus grand rôle : Max Cherry, chargé de caution quinqua à la ramasse, mais avec un sens inné de la décence et de la justice. Max tombe instantanément fou d’elle, comme le spectateur : au cinéma, ça s’appelle un point de vue.

C’est dans Jackie Brown qu’on voit à quel point le talent de Quentin Tarantino est gâché dans ses autres films. Il a ici un personnage de femme forte. Et c’est ce qu’il filme, précisément. Il ne filmera jamais la plastique, pourtant spectaculaire, de Grier, mais uniquement son visage, son sourire mystérieux, son profil de pharaonne. Il filme le cerveau d’une reine…

Il a un propos : qu’est-ce que la vie nous fait ? Et en particulier, qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que les hommes, font aux femmes ? Et Tarantino va tenir ça pendant 2h27 dans un polar crispé, alors que trois malheureux coups de feu seront tirés, on ne verra même pas de sang. La tension dramatique est uniquement transmise par ses fantastiques acteurs, ses dialogues brillants, ce qui, reconnaissons-le, est toujours formidable chez Tarantino. Samuel L. Jackson, tendu comme jamais, De Niro à contre-emploi en nounours pataud, Bridget Fonda en surfeuse blonde énervante dans tous les sens du terme…

Et Tarantino se permet même un fin douce-amère, une rareté chez lui. Une histoire d’amour qui finit mal entre Jackie et Max, dans une dernière scène sublime.

Il faut voir Pam Grier, au bord des larmes, chantonnant du bout des lèvres Across 110th street…. Puis esquissant, quand même, parce que la vie continue, ce léger sourire en coin… 

Been down so long, getting up didn’t cross my mind
But I knew there was a better way of life, and I was just trying to find…




mardi 4 octobre 2022


Athena
posté par Professor Ludovico

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Il en va de même pour le cinéma. Athena, de Romain Gavras, fait partie de ces films-là. Le cinéaste s’y enivre de sa propre virtuosité, sans réaliser que son œuvre a oublié son âme au passage.   

Au début, le film semble très clair : après la mort d’Idir – un jeune maghrébin tué, paraît-il, par des policiers –, ses trois frères réagissent différemment alors que la colère gronde dans la cité Athena. Abdel, militaire de carrière, tente de ramener le calme, alors que Karim, son cadet, dirige la révolte. Le troisième, Mokhtar, est un gangster et espère tirer les marrons du feu.

Le propos, lui aussi, est limpide : la misère des banlieues additionné au complotisme d’extrême droite mène tout droit à la guerre civile. C’est très clairement dit, on ne peut le nier*. Mais plus le film se développe – via des plans séquences étourdissants, comme on en a sincèrement jamais vus au cinéma -, plus Romain Gavras oublie l’essentiel, c’est à dire l’image qu’il renvoie de la banlieue : des jeunes sauvageons, à qui seul la colère anti-flic est accessible. Des familles apeurées, qui fuient leur propre cité sans réagir. Des CRS qui n’ont d’autre solution que mener l’assaut, façon siège médiéval.

Si le film était fun (on pense souvent à un film de zombies), tout cela serait très excitant. Mais Athena se veut un film politique sérieux. Sa description « réaliste » de la banlieue produit l’effet inverse : on est terrifiés par les « héros » d’Athena, et on ne souhaite, comme l’extrême droite, que leur éradication pure et simple. Ce qu’accomplit le film, dans l’explosion finale de l’immeuble.**

Filmer cela sans y réfléchir, c’est grave. Et pour une fois le Professore Ludovico est d’accord avec la critique de la Sainte Trinité, unanime :

« Ce tour de force technique, si impressionnant dans la forme, se révèle particulièrement embarrassant sur le fond »
Télérama

« Romain Gavras assomme le spectateur avec une désinvolture politique qui force l’irrespect »
Libération

« Faux brûlot d’un vrai fétichiste de violences urbaines » 
Les Inrocks

« Déluge de violence stylisée, personnages inexistants », « Romain Gavras assomme le spectateur avec une désinvolture politique qui force l’irrespect »
Libération

Sans parler de l’avis – définitif – du Professorino : « Romain Gavras n’arrive pas à se résoudre à l’idée qu’il n’est qu’un blanc privilégié et petit-bourgeois. »

C’est bien le problème d’Athena.

* Dans le making of disponible sur YouTube, le cinéaste parle de la Cité d’Athènes, de la poésie, de la violence, etc. Ce n’est pas interdit, d’autres l’ont fait. Apocalypse Now, La Ligne Rouge se sont aussi enivrés eux aussi de la beauté de la guerre. Mais ces films n’oublient jamais leur but.

** Par un ancien islamiste revenu de Syrie : cherry on the cake  




jeudi 15 septembre 2022


God save The Crown
posté par Professor Ludovico

Il se passe en ce moment quelque chose de très étonnant. Une très vieille dame, très honorable au demeurant, vient de mourir. Les hommages affluent, ce qui est normal. Ce qui l’est moins, c’est la béatification. Elisabeth aurait paraît-il sauvé l’Empire Britannique, unifié son peuple, renforcé le Commonwealth, etc.

Un simple coup d’œil à votre journal favori suffira à vous indiquer le contraire. Brexit, enfoncement de l’Angleterre dans une insularité dangereuse, Commonwealth qui part en morceaux, sans parler des dominions (Ecosse, Irlande du Nord) qui veulent la quitter. Et que dire de sa famille, du divorce de la Princesse Anne, à la couleur supposée du bébé du Prince Harry, en passant par Andrew/Epstein ou Diana Spencer, qui fournit depuis soixante-dix ans un feuilleton à rebondissements.

C’est justement le point qui permet à ce fait divers de se retrouver dans CineFast. Ce que vend la monarchie britannique (comme d’ailleurs la plupart des monarchies occidentales), c’est un feuilleton. Les Sex Pistols l’avaient compris : « notre figure de proue n’est pas ce que l’on croit* ». La reine, la royauté sont des produits touristiques qui font affluer les touristes par millions, en particulier ceux qui se sont débarrassés le plus violemment de l’aristocratie. La Monarchie Britannique est un musée, une exposition à ciel ouvert sur notre passé, tout comme Versailles, ou Chambord. Nous oublions, l’espace d’un instant, que dans ce monde-là, nous étions dans les champs, et pas en train de lire CineFast.  

Quand le Professore Ludovico tient ce discours oralement, il est symptomatique de constater que la plupart du temps, on lui cite The Crown. « En voyant la série, j’ai compris ce qu’avait vécu cette femme, ce qu’elle avait fait ! » Une fiction, voilà notre référence historique. Et c’est normal, on voit toujours plus de films qu’on ne lit de livres d’histoire. Pour ma part, j’ai adoré The Crown parce que ses créateurs avaient créé de formidables personnages. Aucune vérité historique là-dedans, même si Peter « Based on a True Story » Morgan prétend contraire. Si l’Angleterre a remonté la pente d’après-guerre, c’est qu’elle avait un gouvernement, une administration, un peuple. Si le Commonwealth a perduré, c’est parce que ces pays y voyaient un intérêt, pas parce que la reine saluait de sa petite main gantée le peuple australien. Si le peuple est uni, c’est parce qu’il croit que Britannia will rule again. S’il ne l’est pas, c’est qu’il n’y croit plus.

À titre de comparaison, Anne Hidalgo ou Valérie Pécresse ont plus fait pour l’humanité qu’Elisabeth. Qui n’a jamais rien fait, rien dit, tout simplement parce que c’était son rôle.

*God save the queen
The fascist regime
They made you a moron
A potential H bomb

God save the queen
She’s not a human being
And There’s no future
And England’s dreaming

Don’t be told what you want
Don’t be told what you need
There’s no future
No future
No future for you

God save the queen
We mean it man
We love our queen
God saves

God save the queen
‘Cause tourists are money
And our figurehead
Is not what she seems

Oh God save history
God save your mad parade
h Lord God have mercy
All crimes are paid

Oh when there’s no future
How can there be sin
We’re the flowers
In the dustbin

We’re the poison
In your human machine
We’re the future
Your future

God save the queen
We mean it man
We love our queen
God saves
God saves the queen




mercredi 24 août 2022


Wolfgang Petersen
posté par Professor Ludovico

C’est la tragédie classique d’Hollywood, qui – telle Kali – dévore les petits enfants. C’est l’histoire d’un cinéaste qui réussit brillamment dans son pays : L’Échiquier de la Passion (un beau téléfilm sur les échecs avec Bruno Ganz) et bien sûr, son chef d’œuvre, Das Boot, (Le Bateau, aka le plus grand film de sous-marin jamais réalisé*) ou L’Histoire sans Fin (joli conte pour enfants capable de tirer une larme aux adultes…)

Et puis là, c’est le drame, Wolfgang Petersen fonce à Hollywood et réalise des nanars : Enemy, Troubles, Alerte !, Poséidon… C’est le triste destin de nombreux artistes étrangers, mangés par l’Usine à Rêves, et recrachés comme ouvriers consciencieux et disciplinés. Si quelques fortes têtes ont réussi (Billy Wilder, Fritz Lang, Paul Verhoeven, Michel Gondry…), d’autres sont devenus de simples techniciens (Renny Harlin, Mathieu Kassovitz, …) ou finirent broyés par Hollywood (Erich von Stroheim)

Dans le cas Petersen, surnagent néanmoins une GCA (Air Force One), un bon thriller (Dans la Ligne de Mire) et un péplum honorable (qui vaut surtout grâce à Brad Pitt, Troie). C’est peu et c’est beaucoup, car rien que pour Das Boot, Wolfgang Petersen est la preuve que Dieu existe.

*et le Professore Ludovico en connait un rayon…




jeudi 28 juillet 2022


RIP Michel Schneider
posté par Professor Ludovico

Michel Schneider est mort, et nous sommes tristes. L’homme est surtout connu pour son livre sur Marilyn*, qui lui fit gagner l’Interallié. Mais pour le Professore, Michel Schneider est l’homme d’une émission, Apostrophes, et d’un livre, La Comédie de la Culture. Venu dans la première promouvoir le second, il lutta, seul contre tous, pendant près d’une heure contre les thuriféraires de Jack Lang et Pierre Boulez. Une heure qui changea à jamais Ludovico, qui courut acheter le livre et, douze ans plus tard, partit fonder CineFast.

Son brûlot dénonçait l’imposture d’un ministère de la Culture mécène plutôt que passeur. Un monde que connaissait bien Michel Schneider, lui qui avait été, sous Jack Lang, Directeur de la Musique et de la Danse.

Sa thèse était simple, et, malheureusement, toujours d’actualité. Dans l’Ancien Régime, les artistes vivaient au gré du goût (bon ou mauvais) du Prince. Si les Médicis aimaient les statues, on faisait des statues. Si Louis XV aimait la peinture, on peignait. C’était le goût d’un homme. Mais dans une démocratie, l’Etat est une communauté, il n’a pas de goût. Et il n’a pas à en avoir. Le rôle des fonctionnaires n’est pas de choisir les artistes, mais d’assurer leur diffusion : salles de spectacles, médiathèques, salles de cours et de répétition. C’est évidemment l’inverse que constate, de 1988 à 1991, Michel Schneider. La Comédie de la Culture s’attaque en fait à deux vaches sacrées : Jack Lang, ultra charismatique et indéboulonnable Ministre de la Culture, et Pierre Boulez. Le musicien contemporain a certes du talent, mais vit depuis Georges Pompidou de la commande publique : Éclat/Multiples, …Explosante-fixe…, Répons sont des œuvres payées par les deniers de l’état. Comment puis-je, explique Schneider, moi l’énarque formé à la Cour des Comptes, savoir ce qu’est de la bonne musique ? Sur quels critères dois-je décider de subventionner, ou non, Pierre Boulez ?

En 1993, Boulez est le pape de la Musique Contemporaine en France ; il a la mainmise sur un orchestre spécialisée (l’Ensemble Inter Contemporain), un centre de recherche (l’IRCAM) et bientôt une salle de spectacle (la Cité de la Musique). Ce quasi-monopole empêche la diffusion d’autres musiciens contemporains qui n’ont pas l’heur de lui plaire (Steve Reich, Philip Glass, John Adams). Et ce monopole absorbe une grande partie des ressources (900 millions de francs à l’époque) soit l’équivalent du budget de la Danse en France, ou celui de toutes les bibliothèques.

Quel rapport avec le cinéma ? Même si le fonctionnement est différent (c’est le cinéma américain, taxé, qui finance le cinéma français), la même thèse s’applique. Pour faire un film, il faut souvent passer par les fourches caudines de l’Etat (le CNC), qui juge ce qui est bien ou pas. Et déclenche ensuite les financements télé. C’est-à-dire un droit de vie ou de mort sur les films qui ne sont pas de grosses productions populaires…   

Depuis, Schneider a fait des émules dans la musique (Requiem pour une Avant-Garde, Benoit Duteurtre) ou au cinéma (la charge assassine Vincent Maraval en 2012).

Qu’il en soit remercié.

« Il y a en France un ministère de la Culture, singularité dans une démocratie. Depuis 1981, ses interventions se multiplient : événements, marchandises, consommations, la culture semble diverse et vivante. N’est-ce pas l’inverse ? La fièvre indique un malaise. Au-delà d’une critique de la culture de cour, avec ses mœurs, grimaces, travers et ridicules, il faut analyser les tensions qui toujours existent entre art et politique, culture et pouvoir. Car, menée par la gauche ou la droite, la politique culturelle recèle des risques. Les arts ont peut-être le ministère qu’ils méritent, et le ministère les artistes qui le justifient. Que l’art divorce d’avec le sens, la forme, le beau, qu’il ne dise plus rien à personne, qu’il n’y ait plus d’œuvres ni de public, qu’importe, du moment qu’il y a encore des artistes et des politiques, et qu’ils continuent de se soutenir : une subvention contre une signature au bas d’un manifeste électoral. Le rideau tombe, il faut juger la pièce. Ministère de la Culture ? Non, gouvernement des artistes. Mais on ne gouverne pas la culture, et elle n’est pas un moyen de gouvernement. Rien n’est pire qu’un prince qui se prend pour un artiste, si ce n’est un artiste qui se prend pour un prince. »




mardi 26 avril 2022


Et Moi, et Moix, Emois… part deux, le(s) séquel(les)
posté par Professor Ludovico

Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.

Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.

Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau –  l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.

Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****. 

C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…

Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…

*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines

** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».

*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »

**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…  

*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.




vendredi 14 janvier 2022


Les Tontons Flingueurs
posté par Professor Ludovico

Dire du mal des Tontons Flingueurs ? Difficile exercice… Le film de Georges Lautner dialogué par Audiard est l’œuvre patrimoniale s’il en est, vénérée de génération en génération. Pour autant, il faut en finir avec l’idée que ces Tontons sont un chef-d’œuvre du 7ème art. Bourré de répliques culte, certes, mais un film très mal fait.

On ne passera pas trop de temps sur le côté totalement anachronique des Tontons Flingueurs. Les colères de Fernand Naudin (Lino Ventura) nous semblent totalement incompréhensibles aujourd’hui, et surtout, totalement surjouées. Idem sur les dialogues connus par cœur, mais qui ont définitivement popularisé des mots aujourd’hui familiers : canner, défourailler, plombe, valoche, came, vioque

Mais côté cinéma, c’est autre chose. La construction du film est bancale et manque de rythme. Le film est long, très long, et très très lent. Les scènes d’action sont cheap, et le plus souvent ridicules, ce qui n’est pas toujours volontaire.

Mais c’est dans les détails que les Tontons pèchent. Si l’on admet l’idée générale de l’ancien gangster, fidèle au Mexicain au point de s’occuper de sa nièce, il y a beaucoup d’incohérences dans les détails. Par exemple, on a du mal à suivre le personnage de Tomate, dont on finit par comprendre qu’il fait partie des bouilleurs de cru. Sur le mode viril-mais-correct, Ventura donne des ordres à tout le monde, mais est prêt à conduire lui-même le camion de son ennemi (chargé de pastis frelaté) plutôt que de le confier à un sous-fifre. Les Volfoni sont présenté comme une grande famille du jeu, qui « œuvre à Vegas », mais en réalité ce sont deux branques dans une péniche. Etc., etc.

Donc oui, il y a un patrimoine Tontons Flingueurs, éparpillé façon puzzle dans la culture française. Mais ceux qui viendront me dire que c’est un chef d’œuvre finiront au Terminus des Prétentieux…




jeudi 6 janvier 2022


Léa Seydoux (défense et illustration)
posté par Professor Ludovico

La France aime se tirer dans le pied. Qu’a fait Léa Seydoux pour mériter un tel mépris ? De la part des cinéphiles (« J’irais bien, même s’il y a la Seydoux »), et de la critique (« Y’a-t-il un film sans Léa Seydoux ? »*)

Mais que lui reproche-t-on exactement ? Elle est jeune et belle, mais d’une beauté particulière, masculine. Premier défaut. Elle n’a pas le charme rassurant, maternel, d’une Deneuve, ou d’une Efira. Au contraire, c’est ce regard perçant, intimidant, qui fait peur aux hommes et énerve les femmes, qui la met plutôt du côté d’Isabelle Adjani.

C’est la fille de son père ? Erreur commune. Le père travaille dans la hitech (il fabrique des drones). C’est son grand père, Jérôme, qui co-dirige Pathé. Pour autant, Léa Seydoux n’est pas la première fille à papa qui travaille dans le secteur. Le Professore peut en citer un paquet qui n’ont pas son talent (Lou Doillon, Marylou Berry, Nicolas Bedos), et, tout autant qui se débrouillent plutôt bien (Charlotte Gainsbourg, Eva Green, Louis Garrel…)

Mais pour juger, restons factuels. Qui a aujourd’hui la filmographie de la Seydoux, a fortiori à son âge (36 ans) ? Quelle actrice française a joué dans deux James Bond et un Mission Impossible ? Qui a travaillé pour Ridley Scott, Arnaud Desplechin, Abdellatif Kechiche, Wes Anderson, Quentin Tarantino, Woody Allen ? Qui a interprété des rôles aussi différents que Belle dans La Belle et la Bête, Karole de Grand Central,  Sidonie Laborde dans Les Adieux à la Reine, Tanya Kalekov dans Kursk, et Emma dans La Vie d’Adèle ?

Personne.

La France méprise le talent, et le vrai succès.

*Sempiternelle blague de Jérôme Garcin au Masque et la Plume




samedi 25 décembre 2021


On n’arrête pas l’Eco(nneries)
posté par Professor Ludovico

« Il va falloir sortir de cette économie de l’attention. Cette addiction, il faut nous dire comment on s’arrête. » C’était sur France Inter ce matin, dans On n’arrête pas l’Eco, l’émission a priori sérieuse d’Alexandra Bensaid.

On avait pris la phrase en cours ; on se disait donc qu’on parlait encore des effets désastreux des réseaux sociaux sur la jeunesse*.

Point du tout. On parlait de séries télévisées. Valérie Martin, qui a écrit un livre sur le sujet**, venait nous expliquer combien les séries étaient formatées par le marketing : on cocha donc toutes les cases habituelles du Bingo Bullshit : Addiction, Neuro Marketing, Showrunners dictatoriaux et scénaristes esclaves***…

On s’apprêtait à pleurer devant le niveau pathétique du débat, imaginant les mêmes, en 1844, vilipender Alexandre Dumas et son Monte Cristo trop addictif.

C’est alors qu’un grand éclat de rire nous sauva. La spécialiste des séries nous offrait une solution pour éviter cette terrible addiction : arrêter la lecture au milieu de l’épisode (sic), pour éviter le terrible Gliffhanger. (Resic)

Après le MEUPORG, le Gliffhanger est le nouveau symbole du niveau journalistique. AEn anglais, et, en l’occurrence, de la Dramaturgie.

Voilà nous rassura immédiatement sur le sérieux de l’émission.

C’était en direct de l’Esprit de Noël, Live sur CineFast.

* Il est d’ailleurs toujours plaisant de voir ces boomers s’inquiéter de ce sujet, eux-mêmes rivés sur leur compte Twitter ou Instagram…

** Valérie Martin Le charme discret des séries

*** Valérie Martin expliqua ainsi que Orange is the New Black était une idée sortie d’un focus group. Elle oublia que c’était avant tout l’adaptation de l’autobiographie de Piper Kerman.




novembre 2024
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