[ Le Professor a toujours quelque chose à dire… ]

Le Professor vous apprend des choses utiles que vous ne connaissez pas sur le cinéma



mercredi 8 juin 2022


Rafael Nadal
posté par Professor Ludovico

Ce week-end, le Professore Ludovico était à la Feria de Nîmes, pour vérifier de visu ses souvenirs cinefasto-tauromachiques (Pandora, Luis Mariano, Carmen, « un œil noir te regarde », et tutti quanti.)

Bon, la corrida c’est pas si bien que ça. Oui c’est beau, mais la vérité oblige à dire que le spectacle de la mort dégage peu de fun. D’autant qu’il y a quelque chose de moins sanglant – mais beaucoup cruel – sur France 2 : Roland Garros.

Jeune taureau fringant, Casper Rudd était venu faire sa novillada à Roland, et voir au passage son idole toréer. Il n’a pas été déçu. 2 banderilles (6-3, 6-3) et une estocade (6-0), le norvégien est reparti en steak haché.

Car Rafael Nadal n’est pas un torero de la dernière pluie. Depuis 2005, le majorquin écume l’arène de la Porte d’Auteuil. Vingt ans plus tard, il perd ses cheveux, son pied est génétiquement abimé, et il sort de blessure. Ça ne l’a pas empêché, une fois de plus, de récolter les oreilles et la queue de tout ce qui passait devant son coup droit lifté. Il a dégoûté la ganaderia canadienne (Félix Auger-Aliassime), gentiment brisé le moral du bovin serbe (Novak Djokovic) et détruit les pattes du novillo allemand (Alexander Zverev).

Car ce sport est totalement mental. Tous ces gars-là sont les meilleurs de leur catégorie, mais face au mental Nadal, c’est la Divine Comédie : « Toi qui entres ici, abandonne tout espoir ».

Comme à la Corrida, le taureau sort du couloir en pensant qu’il a une chance. Mais Rafael Nadal, lui, sait que le taureau va mourir.




mercredi 18 mai 2022


Twin Peaks, pilote : démons et merveilles
posté par Professor Ludovico

Dès qu’on peut, on revient à Twin Peaks, manger une tarte aux cerises, boire un petit café et se promener au milieu des pins Douglas. On avait un quart d’heure, on a regardé le pilote. LE Pilote, le chef-d’œuvre de pilote, qui devrait servir de manuel dans toutes les écoles de télévision, ce qui est probablement le cas.

Premier plan : une très belle femme, eurasienne, qui se maquille dans son miroir. Rêveuse et triste. Triste parce que ça se voit, triste parce que résonne déjà le Laura Palmer’s Theme. La suite mélodramatique d’Angelo Badalamenti irriguera désormais la série, et nos cerveaux. Cette femme, c’est Josie Packard. Son rôle est mineur, mais en dix secondes, elle incarne l’ambiance Twin Peaks : amour, beauté, tristesse.

Plan suivant, moins glamour : un retraité embrasse sa femme et part à la pêche. Il a l’air concon, elle fait la gueule. Elle, c’est Catherine Martell ; en un plan on a découvert le bon gars et sa salope de femme.

Trente secondes plus tard, le bon gars découvre une fille dans un sac plastique et court appeler la police. « Elle est morte », dit-il, ce qui n’est pas innocent. D’aucuns auraient dit : il y a une femme morte dans un sac plastique. Mais en utilisant précisément ces mots, Lynch et Frost jettent le doute, et insinuent que Pete Martell, le bon gars, sait déjà qui est dans ce sac. Les showrunners lancent alors un rodéo qui va durer deux ans et changer la télévision pour toujours : qui a tué Laura Palmer ?

Le téléphone sonne au Commissariat deux minutes plus tard et brise déjà l’ambiance dramatique. La standardiste explique au shérif Truman – longuement, très longuement – quel téléphone il faut décrocher. Bing, un gag. Ce brutal changement de température va se retrouver de nombreuses fois, parfois à l’intérieur de la même scène, et va même devenir la signature du show. Dans Twin Peaks, on rit et on pleure, on s’émerveille et on est terrifiés.

On découvre alors le visage – une image qui va devenir iconique – et l’identité de la morte. Le spectateur comprend que Laura Palmer est une personne connue, et aimée de cette communauté. Mais Lynch va prendre le temps de l’expliquer. C’est La Grande Scène.  

Une pure merveille, une démonstration cinématographique, sans esbrouffe. Des couloirs vides. Des champs/contrechamps. Tout le dispositif mise sur les comédiens, jeunes mais extraordinaires. Bobby, le boyfriend infidèle et donc suspect. Donna, la meilleure amie. James, le motard rebelle. La prof, qui retient ses larmes, car l’information n’est pas encore annoncée. La jolie fille, qui sourit méchamment – on aura indiqué son statut de Teen Bitch par un simple changement de chaussures. Une anonyme, qui court en hurlant, annonçant la catastrophe.

Lynch revient alors au verbal : le discours du directeur, – mi dramatique, mi involontairement comique, à l’image du ton qui s’installe – vient dire, avec des mots, ce que les mots sont incapables de dire : la perte immense que représente une adolescente assassinée, et ce que représente Laura Palmer pour Twin Peaks.

Pour appuyer son propos, Lynch termine son premier travelling dans les couloirs vides sur une deuxième image iconique : la photo de Laura Palmer en Reine du Collège, parfaite incarnation du Rêve Américain.

Avant que la suite ne nous en fasse découvrir les atroces et ténébreux souterrains…




mardi 26 avril 2022


Et Moi, et Moix, Emois… part deux, le(s) séquel(les)
posté par Professor Ludovico

Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.

Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.

Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau –  l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.

Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****. 

C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…

Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…

*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines

** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».

*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »

**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…  

*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.




mercredi 30 mars 2022


Citizen Kane/Massacre à la Tronçonneuse
posté par Professor Ludovico

La cinéphilie, c’est l’art du rapprochement. Qui a tourné avec qui ? Qui a produit le film dont X était le réalisateur ? Voir un film, puis en voir un autre, et leur trouver des points communs. Revoir Citizen Kane pour éduquer la jeunesse, et, le lendemain, voir pour la première fois Massacre à la Tronçonneuse. Le point commun ? Quel point commun ? Deux classiques du genre, en fait. Ou plutôt, un classique, LE Classique, le Classique des Classiques, et la Première Pierre du Slasher. Mais dans les deux cas, ces films ont mal vieilli.

Citizen Kane

Le premier visionnage, au début des années 80, nous avait émerveillé. Mais nous étions probablement hypés par Claude Jean-Philippe, qui présentait le Ciné-Club d’Antenne2, tous les vendredis soir : Orson Welles, le cinéaste maudit, Orson Welles, seul contre Hollywood, Orson Welles, le premier à filmer des plafonds, à faire des travellings inexplicables à travers le néon du night-club, à cadrer d’improbables doubles focales, etc., etc. Ce n’est pas pour rien que Citizen Kane est considéré comme le plus grand film de l’histoire du cinéma.

Mais aujourd’hui, le film est bizarrement vide. On pense, sans totalement oser, au cinéma esthétisant à la manière de Jeunet/Scott/Jimenez. Un cinéma formellement impressionnant mais qui ne s’occupe guère de ses personnages. Avec une différence majeure, évidemment : Citizen Kane a quelque chose à dire sur l’Amérique, sur l’argent qui détruit, sur l’idéalisme qui se dissout dans la corruption du pouvoir.  

Si le film de Welles reste très efficace, en déroulant l’histoire de son protagoniste dans un immense flashback (très cut pour l’époque), le film peine aujourd’hui à nous émouvoir. A l’instar de son protagoniste, Charles Foster Kane (Orson Welles), un type brillant, balançant punchline sur punchline. Les témoignages extérieurs (son épouse, son meilleur ami (Joseph Cotten*)) contrebalancent malignement ce portrait hagiographique, mais il faut arriver à la toute fin du film pour toucher du doigt la détresse du personnage. Et saluer au passage la métamorphose incroyable de Welles en Kane âgé – il n’a que vingt-cinq ans au moment du tournage. On commence enfin à ressentir quelque chose. Charles Foster Kane avait tout, mais il lui manquait l’essentiel, ce qui n’existe plus : l’enfance, une luge, Rosebud.

Massacre à la Tronçonneuse

Le film de Tobe Hoper, 33 ans après Citizen Kane, n’est évidemment pas sur le même registre, mais c’est également une référence : le premier des slashers. Au contraire de Citizen Kane, ce Massacre peine à décoller : une bande de jeunes se balade au fin fond du Texas dans un Combi Volkswagen. Ils prennent en stop un type étrange, à moitié fou, avant de s’arrêter à cause d’une panne d’essence. Les voilà obligés de dormir dans une maison abandonnée. Les ennuis commencent… au bout de quarante-cinq minutes !

On voit bien l’installation du scénario-type du slasher (des crétins insouciants se font trucider par des rednecks revanchards) mais voilà, The Texas Chainsaw Massacre est le premier à l’exposer. Idem pour les séminales scènes gore : sculptures en os, masque en chair, giclées de sang et cadavres momifiés ont laissé une empreinte indélébile qu’on retrouve encore, cinquante ans plus tard, du Silence des Agneaux à True Detective.

Mais le film reste assez long et ennuyeux, et surtout pas drôle. Aujourd’hui, le slasher essaie souvent de produire une terreur de second degré (Scream, ou les remakes d’Alexandre Aja (La Colline a des Yeux, Piranhas)…

Pourquoi, alors, juxtaposer ces deux films ? Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des moules qui ont produit de brillantes copies. Mais si on le découvre aujourd’hui, le plaisir originel a disparu. Un peu d’admiration, mais beaucoup d’ennui. Il faut expliquer ce que ça représente dans l’histoire du cinéma, car c’est la seule trace qui reste. Des films moins formellement innovants comme Les Enfants du Paradis ou Seul les Anges ont des Ailes produisent encore de l’émotion : ces films sont toujours vivants. Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des films morts. Ils n’en sont pas moins passionnants..

*Malencontreusement confondu avec William Holden par un stagiaire, dans une version précédente de cet article. Merci le Rupelien !




lundi 14 mars 2022


William Hurt
posté par Professor Ludovico

On a du mal à imaginer, si l’on n’est pas une femme de cinquante ans, ce que représentait William Hurt dans les eighties. En un film, Le Baiser de la Femme Araignée – où il incarnait paradoxalement un homosexuel – il avait brisé le cœur des cinefasteuses. Pour notre part, on l’avait découvert en avocat amoureux de Kathleen Turner, pris dans le piège floridien de La Fièvre au Corps. Il était aussitôt devenu un argument pour aller voir en salle ses autres films : Au-delà du Réel, Les Copains d’Abord, Voyageur Malgré Lui…

Mais cet acteur fin, capable de jouer les salauds comme les héros, a eu une carrière de bimbo hollywoodienne. Ce qui arrive tout le temps aux femmes – et rarement aux hommes – lui tomba dessus : ses grands rôles étaient liés à sa beauté. Celle-ci, une fois éclipsée, le cantonna dans des seconds rôles, même si ce fut de beaux seconds rôles (Smoke, ou le fabuleux Dark City d’Alex Proyas).

Et comme ses collègues féminines, il réapparut dans sa cinquantaine, au tournant des années 2000, souvent dans des rôles de méchants : A.I., Le Village, A History of Violence, Raisons d’État, Into the Wild, ou Avengers. Il eut aussi des rôles remarquables à la télé : le Duc Leto Atréides dans l’horrible série Dune, mais aussi Damages, Goliath, Condor

Il y promenait toujours sa grande carcasse, sa coolitude absolue, ses cheveux blonds et fins sur une calvitie précoce, mais surtout ce regard – doux ou cinglé, c’était selon.

Adieu Monsieur Hurt.




samedi 5 février 2022


Friday Night Lights, revu et corrigé
posté par Professor Ludovico

À la revoyure, la série de Peter Berg et Brian Grazer s’impose de plus en plus comme un The Wire positif et optimiste.

A chaque fois où l’on revoit une série, la connaissance holistique des intrigues permet souvent de réévaluer les saisons décevantes. C’est le cas de FNL : on réévalue la saison 2 – pourtant ratée à plein d’égards -, et on dévalue la quatrième, un peu lente, et pas si émouvante que ça.

Car si c’était n’était pas le projet au départ, Friday Night Lights est devenu au cours du temps une série ambitieuse. La première saison était centrée sur le football, mais les saisons suivantes vont proposer moins de matches, moins d’entrainement, moins de pep talk, et plus de sujets de société (handicap, légitime défense, pauvreté, racisme, foot business, avortement…) ou de sujets familiaux (parentalité, deuil, grand âge…)

Autre point remarquable, au-delà de ce foisonnement thématique : la défense du collectif face à une certaine pensée individualiste. Paradoxe total en Amérique ! Contrairement, par exemple, au cinéma d’un Clint Eastwood, où le héros (Sully, Walter Kowalski, le Pale Rider) lutte seul contre l’injustice ou le gouvernement, la leçon de FNL est claire : seul, on perd. Que l’on soit une grande gueule douée (Smash Williams), un fils à papa talentueux (J.D. McCoy) ou un sportif abandonné du ghetto (Vince Howard), les aventures personnelles n’aboutiront à rien. La métaphore du sport collectif joue à plein : il faut être le meilleur, mais sans l’équipe, on perd. Dans Friday Night Lights, chacun est mis face à ses responsabilités par les figures d’autorité (le Coach Taylor, ou sa conseillère d’éducation de femme.) Mais quand il y a un problème, c’est toujours vers le collectif qu’on se tourne, toutes structures sociales confondues : le couple, la famille, l’entreprise, l’équipe.

Et c’est résolvant cette contradiction : rêve personnel (devenir joueur pro) contre aboutissement collectif (gagner le championnat) que se bâtit en 76 épisodes la cathédrale de Dillon. Chaque personnage semble s’évertuer dans sa propre direction, proche du cliché : la cagole qui file droit vers le striptease (Tyra Collette), la cheerleader sainte nitouche (Lila Garrity), la cocotte-minute white trash Matt Sarracen, ou le rebel without a cause Tim Riggins, le proto-gangster Vince Howard. Mais chacun finira, grâce au collectif, à s’aboutir. Comme dans l’avant-dernière scène où Tim Riggins, revenu de tout, bâtit sa Maison sur la Colline* avec l’aide son frère et le soutien de ses amis…

Car – génie des séries – FNL a eu tout le temps de développer ses personnages. Et si elle l’a fait parfois de façon chaotique, leurs arcs narratifs seront parfaits, tenu par un cast exceptionnel, qui s’est depuis taillé une place dans la TV américaine.

C’est pour cela que nous sommes tombés amoureux de ces personnages, et que nous le sommes toujours, dix ans après…

*The House on the Hill, l’un des trois mythes fondateurs des Etats-Unis, avec la Frontière et la Destinée Manifeste




lundi 17 janvier 2022


Une intuition… sur le film à message
posté par Professor Ludovico

En conversant il y a quelques mois avec le Framekeeper (oui, le Professore Ludovico est lent à la détente), nous nous posions la même question. Pourquoi tant de films « à message » ? Les migrants, la question du genre, la situation au Proche-Orient, le terrorisme, le monde paysan, les banlieues, … pourquoi ces films sont à la mode, pourquoi se font-ils et pourquoi rencontrent-t-ils (au moins) un petit succès ?

La Bande Dessinée est frappée du même syndrome : la théorie quantique, la bombe H, la Guerre d’Espagne, la vie d’Olympe de Gouges… tout ce qui est abusivement requalifié de roman graphique, et qui n’a de roman que le nom. Comme si ces deux arts populaires s’étaient mis soudainement au docudrama.

Eh bien, notre intuition cinefastienne, c’est qu’il s’agit de la même chose : du prêt-à-penser à peu de frais. Car se renseigner sur ces sujets est complexe : lire un livre de 400 pages sur le Franquisme : huit heures de travail. Lire un BD ou regarder un film sur le Franquisme : 2 heures. J’ai lu une bédé sur la Bombe H, je peux en parler. J’ai vu un film sur les migrants, je peux en parler.

Car la fonction principale de loisirs, c’est de tisser des liens avec nos semblables. Le PMU, le cinéma, la belote, le foot, la littérature, tout cela n’est que prétexte pour discuter avec un autre homo sapiens. En soi, on pourrait même dire que les loisirs n’existent pas réellement. Ils ne sont là que pour nous permettre de trouver des gens à qui parler, d’affirmer nos valeurs, et de garantir une certaine appartenance sociale*.

Un exemple : en allant voir Welcome, le film de Philippe Lioret sur le drame des migrants**, on envoie toute une série de messages à son interlocuteur. On n’est pas du peuple, parce qu’on n’est pas allé voir Avengers ou Les Tuche***. On est cultivé, puisqu’on suit les recommandations de l’élite, qui signale le côté « éducatif » du film (voir ci-dessous)****. On a du cœur, puisqu’on se préoccupe des migrants. On est capable, à la sortie, de formuler à une théorie sur la question : les errements de l’Europe, l’inaction des gouvernements. Voilà déjà de quoi lancer une conversation.

L’autre option est difficile, et compliquée à mettre en œuvre : elle suppose avoir lu des articles (si possible contradictoires) sur le sujet : Le Monde, Libération, Le Figaro, tous les jours, de les avoir digérés et analysés. Peut-être même avoir lu un livre ou deux sur le sujet.

Ici, tout est réglé en deux heures, quoi de plus simple ? Il n’y a pas de mal à cela, tant qu’on n’en tire pas une posture définitive : j’ai vu Welcome et j’ai compris le problème des migrants*****…

*Pour se faire une idée du phénomène, rien de mieux que d’écouter Le Masque et la Plume, où s’affronte le cinéma tradi de papa (Eric Neuhoff), l’école Hollywoodienne (Michel Ciment) et le cinéma Normale Sup-néo godardien (Jean-Marc Lalanne). On peut non seulement déduire les valeurs – et donc les opinions politiques de chacun -, et se sentir plus ou moins proche de l’un ou de l’autre. Mais aussi, on y entend souvent dire « je ne savais pas que la situation des femmes en … était à ce point compliquée… », « je ne connaissais pas la persécution des … » « je n’avais jamais envisagé le handicap sous cet angle… » etc., etc.

** « Pour impressionner et reconquérir sa femme, Simon, maître-nageur à la piscine de Calais, prend le risque d’aider en secret un jeune réfugié kurde qui veut traverser la Manche à la nage. » (source Allociné)

*** On envoie d’ailleurs le même type de messages en faisant le contraire. « Je suis allé voir Avengers » = j’ai moins de soixante ans, « Je suis allé voir Les Tuche » = je suis du peuple.

****20 Minutes, par Caroline Vié : Le calvaire de migrants clandestins est décrit avec minutie, sensibilité et réalisme dans une histoire d’amitié pudique. (…)

Elle, par Florence Ben Sadoun : (…) C’est la force de Philippe Lioret: rendre visible l’invisible, sans surligner, tout en réussissant à imbriquer le tragique d’une séparation au drame de l’émigration.

Marianne, par Clara Dupont-Monod : Un chef-d’oeuvre engagé, politique, dérangeant, (…) En un mot : indispensable !

Télé 7 Jours, par Julien Barcilon : (…) bien plus qu’un drame intime doublé d’un manifeste humaniste bouleversant : le plus beau film du moment.

Le Parisien, par Hubert Lizé : (…) Tout, ici, sonne vrai.

***** Pour l’anecdote, le Professore a conseillé Stateless, et qui traite du même sujet. Il n’a pas eu beaucoup de succès. Les raisons, probablement : trop long (6h), pas prestigieux (Netflix), hors sol (Australie), sans acteurs français (mais avec l’excellente Yvonne Strahovski)




jeudi 6 janvier 2022


Léa Seydoux (défense et illustration)
posté par Professor Ludovico

La France aime se tirer dans le pied. Qu’a fait Léa Seydoux pour mériter un tel mépris ? De la part des cinéphiles (« J’irais bien, même s’il y a la Seydoux »), et de la critique (« Y’a-t-il un film sans Léa Seydoux ? »*)

Mais que lui reproche-t-on exactement ? Elle est jeune et belle, mais d’une beauté particulière, masculine. Premier défaut. Elle n’a pas le charme rassurant, maternel, d’une Deneuve, ou d’une Efira. Au contraire, c’est ce regard perçant, intimidant, qui fait peur aux hommes et énerve les femmes, qui la met plutôt du côté d’Isabelle Adjani.

C’est la fille de son père ? Erreur commune. Le père travaille dans la hitech (il fabrique des drones). C’est son grand père, Jérôme, qui co-dirige Pathé. Pour autant, Léa Seydoux n’est pas la première fille à papa qui travaille dans le secteur. Le Professore peut en citer un paquet qui n’ont pas son talent (Lou Doillon, Marylou Berry, Nicolas Bedos), et, tout autant qui se débrouillent plutôt bien (Charlotte Gainsbourg, Eva Green, Louis Garrel…)

Mais pour juger, restons factuels. Qui a aujourd’hui la filmographie de la Seydoux, a fortiori à son âge (36 ans) ? Quelle actrice française a joué dans deux James Bond et un Mission Impossible ? Qui a travaillé pour Ridley Scott, Arnaud Desplechin, Abdellatif Kechiche, Wes Anderson, Quentin Tarantino, Woody Allen ? Qui a interprété des rôles aussi différents que Belle dans La Belle et la Bête, Karole de Grand Central,  Sidonie Laborde dans Les Adieux à la Reine, Tanya Kalekov dans Kursk, et Emma dans La Vie d’Adèle ?

Personne.

La France méprise le talent, et le vrai succès.

*Sempiternelle blague de Jérôme Garcin au Masque et la Plume




samedi 1 janvier 2022


Grichka Bogdanoff
posté par Professor Ludovico

C’est un temps (X) que les gens de vingt ans ne peuvent pas connaître : 1978, rien à la télé, à part les éternelles série policière des années 60 (Cannon, Mannix, L’Homme de Fer, Les Incorruptibles…) Et puis voilà, par un beau matin d’avril 1979, l’OVNI Temps X débarque sur TF1. En sortent deux beaux extraterrestres dans leurs combinaisons métalliques, qui nous invitent à monter à bord.

Au programme, plongée dans l’hyperespace, et initiation à tout ce qui fait la SF. Les jumeaux Bogdanoff nous racontent des séries bien plus excitantes (La Quatrième Dimension, Star Trek, Cosmos 1999, Au-delà du réel, Doctor Who, Les Envahisseurs…) qu’ils essaient de faire diffuser ou rediffuser*… mais aussi diffusion de making of de Dune, Shining, Alien, Star Wars

Ils initient ainsi à la science-fiction des centaines de milliers de gens, et qui découvrent le programme totalement par hasard, au beau milieu de CHIPS, Les Mystères de l’Ouest, Garcimore et Denis Fabre, et « le Kaléidoscope ou l’Image ». Et en même temps, les frères métalliques vulgarisent (à coup de fictions en super8) des grands concepts scientifiques comme l’intelligence artificielle, le Test de Turing, les trous noirs, les manipulations génétiques, la robotique, etc.

Alors on pourra dire tout ce qu’on veut : faux scientifiques perchés, addicts à la chirurgie esthétique, mythomanes égarés à la télé, mais on n’oubliera pas qu’Igor et Grichka Bogdanoff furent de sacrés passeurs**.

*Déja mythomanes, ils annoncent ainsi l’arrivée prochaine de Star Trek sur TF1. Ce sera Battlestar Galactica.

**Le Professore Ludovico en profite pour signaler leur extraordinaire biographie, signée Maud Guillaumin, Le Mystère Bogdanoff, sur fond de russes blancs, de grand-mère mythomane, de mère abandonnée puis absente…




dimanche 26 décembre 2021


Retour à Dillon
posté par Professor Ludovico

À l’heure où Canal+ a la bonne idée de combler cet immense vide culturel qu’était l’absence de Friday Night Lights sur les écrans français, et qu’on attribuera évidemment l’anti-américanisme et au mépris le plus crasse pour le Pays de la Démocratie, de la Libre Entreprise et de la Lutte contre le Communisme, il était temps de retourner à Dillon, Texas.

Pour voir la bête, au-delà de ce qui a déjà été dit, c’est-à-dire l’incroyable ambition de Peter Berg de traiter, dans le cadre étroit d’une petite série sur le football, rien de moins que Tout et Son Contraire : l’Amérique, terre de contrastes.

Ce point de vue holistique – traité comme une symphonie de caractères -, et un sens inné du mélodrame ont fait de FNL LE Drama définitif des années 2000. Et si à la relecture les péripéties sportives des Dillon Panthers, l’équipe high school football deviennent secondaires (on connait la fin du match), revoir Friday Night Lights, c’est aussi l’occasion de lui trouver d’autres qualités, d’autres thématiques.

Revue d’effectifs…

Un film féministe au pays des cagoles

Dans l’environnement de FNL, la femme moderne n’est pas vraiment représentée : pom-pom girl, fêtarde imbécile, ou mère courage, les role-models sont limités. Mais comme le reste de FNL, cette description hâtive est une illusion. Nourrie de clichés qu’elle va très vite entreprendre de démolir consciensieusement, FNL affirme en fait que les rôles féminins sont les personnages les plus forts de la série.

Lila Garrity, la très jolie Cheerleader nunuche, fille du garagiste local et président des Panthers, amoureuse guimauve du Quarterback Jason Street en est l’exemple principal. Ce cliché sur pattes va rapidement se métamorphoser en papillon Drama.  Effondrée par l’accident de ce qu’elle envisageait comme son futur mari, Lila fait l’erreur de tomber dans les bras de son meilleur ami. Elle devient alors moins que rien, harcelée sur Internet (là où se déroule La Lettre Ecarlate de nos jours). Mais plutôt que se repentir, Lila Garrity se révolte (« I made ONE mistake !! ») contre ses amants, contre sa la famille, contre l’hypocrisie de la communauté toute entière…

Tyra Collette semble être son opposée : dropout absolue, entouré d’une mère battue et d’une sœur stripteaseuse, la white trash refuse de jouer le jeu de la vénération obligée pour l’équipe de foot, comme la moitié de la ville qui tourne autour. Mais dès la première saison, Peter Berg met en place un schéma binaire qui permettra à Tyra de montrer beaucoup mieux dans la suite de la série. Dans une scène culte de la saison un, Peter Berg file la métaphore mécanique. Tyra et sa mère tombent en panne : pneu crevé. Que faire dans la steppe texane, sans homme en vue ? Sa mère s’est toujours reposé sur les hommes justement, c’est ce qu’elle vient de raconter. Tyra explose alors « If we don’t change this tyre by ourselves right here, right now, we’re both doomed!* »

Quant à Tami Taylor, la femme du Coach, elle est d’abord présentée comme l’exemple à suivre, la femme parfaite : belle, intelligente, courageuse, bonne mère et bonne épouse. Mais vers la fin de la saison un, elle montrera ses fêlures. Si elle a consenti à de nombreux sacrifices personnels et professionnels, elle n’entend pas se contenter de vivre aux côtés de son gentil et parfois borné entraîneur de mari…  

Macho men ?

Car si, là aussi, si Friday Night Lights semble faire l’éloge de la virilité NFL poussé à son paroxysme**, la série se révèle en fait extrêmement critique de cette macho attitude. On y trouvera le premier personnage gay dans cet univers (ce qui déclenchera un scandale ridicule ; la NFL osant affirmer qu’il n’y aucun gay dans les millions de licenciés du foot américain(!)) Mais surtout, une critique de la violence endémique de ce sport, sur et au-delà du terrain, le hooliganisme, les privilèges sans fin laissés aux joueurs (notamment en matière de filles), le dopage de ces soi-disant surhommes, et les dégâts que tout cela engendre. Mais peut-être que Dillon est le pays…

… des pères déficients

Coach Taylor serait-il le père parfait que nous venons de voir ? Le mari aimant de Tami, le père attentionné de Julie ? On le verra assez vite, Eric Taylor aussi un homme borné, obsédé par le football, engoncé dans des principes qui laissent peu de place à la compassion et à l’analyse***. Mais c’est aussi le père de substitution de tous ces fils de Dillon, sans véritable père. Car il semble qu’il n’y ait que ça dans ce coin perdu du Texas : le père de Tim Riggins tente de profiter de lui, celui de Smash Williams est mort dans le ghetto, et celui de Jason Street entend profiter de l’accident de son fils. Quant au père de Matt Saracen, seul héros potentiel (il est en Irak, Support our Troops!), c’est probablement le pire d’entre eux. Faux héros au cœur de pierre, il est prêt à envoyer sa mère à l’hospice, n’encourage pas son fils qui gère seul la baraque depuis des mois, et se permet même de lui faire la leçon….

On le voit, dès la première saison, FNL est loin de l’Amérique triomphante que semble annoncer son packaging…

* « Si on ne change pas ce pneu nous-mêmes, ici et maintenant, alors c’en est fini de nous ! Nous serons maudites pour toujours… »

**Aux Etats-Unis, l’expression « Welcome to NFL » peut se traduire par « Bienvenue chez les hommes ! »

***C’est devenu proverbial là-bas : « Don’t coachtaylor me ! »




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