The Island est probablement le blockbuster le plus paradoxal de ces dix dernières années. Il réussit en effet la gageure d’être à la fois une charge politique et philosophique très forte, un film d’action raté, un relatif succès critique, et un retentissant flop US.
Un flop …
Remettons tout d’abord le personnage à sa vraie place : Michael Bay , jeune poulain* de l’écurie Simpson/Bruckheimer, n’est pas n’importe que qui, c’est l’homme aux doigts d’or : il a déjà rapporté à ses tuteurs la modique somme de 736 M$ : Bad Boys (65 M$), The Rock (134 M$) , Armageddon (201 M$), (Pearl Harbor (198 M$), Bad Boys II (138 M$).
En coupant le cordon, et en produisant lui-même The Island, la chute est à la hauteur de ces enjeux, et le flop du film est devenu si emblématique qu’il sert de blague d’introduction aux talks shows US : (35M$ : « où est le spectateur qui est allé voir The Island ? »)
Mais une critique positive…
En même temps Le film reçoit en France une critique relativement chaude pour ce genre de film (Libé, Le Figaro, Le Nel Obs)…
Pourtant le film est raté, tant le plan du scénario que des pures scènes d’action. Raté, oui, cher Framekeeper, car on est à des kilomètres des lumineuses chorégraphies Ong Bakiennes ou Matrixiennes. Au contraire, Bay est tombé dans le piège du système qu’il à lui même contribué à créer dès Armageddon, à savoir le plan qui-ne-dure-pas-plus-d’une seconde. Résultat : des poursuites illisibles (où vont nos héros ? que risquent ils en passant par là ?), où les meilleures idées sont gâchées : la scène des bogies de trains est formidable, parce qu’on s’attarde un peu sur les plans, mais la poursuite à moto, confuse, ne fait peur à personne…
Il faudra un jour s’interroger (Michel Vaillant, peut être) sur l’intérêt de cette nouvelle mode pour les combats et les poursuites filmées caméra à l’épaule et hachées en petit morceaux ? Est-ce vraiment une volonté du public que ça aille vite ? Où est-ce plutôt une facilité, étant beaucoup plus facile à filmer et à monter ?
The Island est aussi un échec sur le plan du scénario pur. Les personnages sont caricaturaux, ce qui est un peu la marque de fabrique Bayène**.
Plus étonnant dans un film américain, des pistes sont lancées et aussitôt oubliées : Le président des USA : simple vanne ou complot militaro industriel ? Où est passé la chaussure qui manque ? Pourquoi ne s’intéresse–t-on pas à la « cliente » de Scarlett Johannsson ?? Pourquoi l’ex du GIGN découvre seulement à la fin, après 2 motos explosées, quelque hélicos en ruine, et une bonne dizaine de bagnoles à la casse, qu’il fait un boulot dégueulasse ? Etc., etc. Ces approximations scénaristiques plombent le film et nous font décrocher au bout de la première heure.
Et même sur le plan de la mise en scène, des imperfections impardonnables à ce niveau de la compétition : La scéne finale, qui voit la destruction de la turbine, la mort du méchant et la révélation finale, est filmé n’importe comment : trop rapide, mal timée, on a l’impression qu’il n’y a plus de sous… sans parler du dernier plan trop court sur le bateau, copié/collé à la va-vite. Non vraiment tout cela est bâclé…
Pourtant…
Il reste derrière cela un film formidable, émouvant, et complètement bluffant pour ce genre de cinéma. Sortant de l’ornière habituellement pédagogique de ce genre de thématique, Bay réussit le tour de force de parodier Cosmos 1999, tout en introduisant le venin dans l’histoire : certes, tout le monde est en pyjama blanc, mais il y a un plein de choses qui clochent : on se touche, on se vanne, on perd une chaussure… Mais surtout, il y a dans The Island une vraie volonté philosophique et pédagogie sur la chirurgie esthétique, le clonage, les fécondations in vitro…
Car voilà une œuvre, extrêmement grand public, qui s’adresse clairement à l’américain moyen, tout en dénonçant dénonce sans fard la recherche vaine (et pourtant si hollywoodienne) de la jeunesse éternelle. Jusqu’où peut-on aller pour réparer un homme ? Jusqu’où peut-on jouer à Dieu ? C’est à la limite du complot anti-américain…
Est-ce un film chrétien ? je laisse au Révérend Framekeeper l’exégèse christique de la phrase –bizarrement répétée trois fois- « Jesus Loves You ». C’est en tout cas un film qui attaque de front un sujet compliqué. Rien que pour ça, ça mérite le détour.
* je dis ça parce qu’il a mon âge : double allusion
** on retrouve d’ailleurs les archétypes d’Armageddon : Buscemi à peu près dans le même roel de mécano sympa-obsédé sexuel-fan de Harley, Scarlett en Liv Tyler héroïne pure aux grands sentiments, et l’empire du Mal, incarné comme toujnours par Washington, l’armée, les grands patrons, et l’élite new yorkaise mince et sophistiquée (ici les clients de la société Merrick)