Horreur ! Malheur ! Même Jerry Bruckheimer n’est pas fiable ! Disons le tout net : Déjà Vu postule déjà au titre de Nanard CineFast de l’Année 2006. Pourtant tout n’est pas à jeter !
Mais pitchons, puisque je doute que vous perdiez quelque chose à connaître l’histoire : la scène se passe au bord du Mississipi, sur le ferry qui relie Algiers à La Nouvelle Orléans. Des militaires embarquent pour traverser le fleuve. Des enfants d’une école, des couples… Et boum, explosion. L’attentat tue 543 victimes. Très vite, un agent sympa (Denzel Washington, sympa ?) de l’ATF (les Douanes US) mène sa propre enquête, car on a retrouvé une victime de l’explosion avant l’explosion (Mmmh, se dit Denzel, c’est louche). Il est repéré par Val Kilmer et son équipe qui lui propose de mener l’enquête de manière révolutionnaire : le Gouvernement a conçu une machine qui permet de voir 4 jours dans le passé. Pas 3, pas 2, non : 4 jours. Une sorte de Google Earth en 3D spatiotemporel. Enfin, en super 3D puisqu’on peut carrément suivre une nana sous la douche ! La nana, ce n’est pas n’importe qui, c’est la future victime du tueur, qui, forcément est le terroriste qui a posé la bombe, vous me suivez ? Denzel en convainc Val Kilmer. Et c’est là qu’il réalise que ces salopards lui ont menti : c’est pas une machine à voir dans le passé, c’est une machine qui replie l’espace grâce au tunnel machin et la loi truc, et qui permet de voir le passé, en direct. Alors Denzel, il pète un câble : il casse même un écran LCD à 1299 $. Faut dire que ça fait déjà une bonne heure qu’on s’ennuie dans le labo avec les trois ingénieurs et leurs blagues vaseuses ! Alors ils décident d’envoyer un message à un coéquipier de Denzel. Pas de bol, il se fait écrémer par le tueur. Très en colère, Denzel sort une caméra spéciale qui permet de replier l’espace aussi et se met à poursuivre dans le présent – accrochez vous, ça se complique – le terroriste pour le filmer dans le passé. Ca donne une course-poursuite totalement ridicule avec une quinzaine de bagnoles fracassées plus tard (c’est pas pratique de regarder le passé d’un œil et de conduire de l’autre, surtout sur une autoroute à contresens) mais bref, on arrête le meurtrier. Fin du film. Eh non, parce que Denzel, il a la haine, il veut sauver la petite (on sent qu’il la kiffe un peu, surtout qu’elle a vingt ans de moins que lui). Alors il monte dans la machine a replier l’espace -si, si-, et là, il retourne dans le passé. En deux temps trois mouvements, il la sauve, lui raconte son histoire, elle le croit pas, puis si elle le croit, et puis évidemment ils arrivent à temps pour éviter que la bombe explose. The end.
Evidemment, on ressort assez abattu de ce genre de film. Pourtant il subsiste une drôle d’impression. Le début du film (avant l’attentat) est parfaitement réussi. La fin, très film d’action, aussi. La confrontation avec le terroriste* (et le toujours excellent Jim Caviezel) est un grand moment. Mais surtout, pendant tout le film, on ne peut s’empêcher de penser au 11 septembre.
Depuis l’attentat du World Trade Center, où sont passé les grosses conneries américaines ? Où sont les Maisons Blanches qui explosent, comme dans Independance Day ? Où est le New York détruit sous les météorites d’Armageddon ? Où est passé le cinéma de Jerry Bruckheimer ? Ce cinéma, bien évidemment, a disparu…
Quel peut être sa place aujourd’hui, ou celle d’un Roland Emmerich ? L’un s’est reconverti dans un cinéma plus familial (Pirates des Caraibes, ou la série Les Experts), l’autre est resté dans le film catastrophe, mais écologique (Le Jour d’Après).
Déjà Vu est raté parce que c’est probablement une tentative avortée de retourner vers ce cinéma d’action, avec explosions, voitures qui volent, etc. Mais le World Trade Center est passé par là. Et on ne peut pas s’y attaquer au comme ça. Ca fait trop mal. Il faudrait le faire sérieusement, et Jerry Bruckheimer ne sait pas faire. Donc, on tourne autour du pot, on passe par de la science-fiction, par un terroriste d’extrême droite plutôt que de parler de ce monde extérieur qui nous fait tant de mal, et puis l’action ne se passe pas à New York, ou à Los Angeles… Non, ça se passe à Nouvelle Orleans, ville doublement meurtrie par Katrina, et par l’incompétence de Washington à agir vite et bien. Le film est d’ailleurs dédié à la ville, et la scène de l’arrestation du terroriste se passe dans ses vraies ruines.
Et puis Déjà Vu est raté aussi parce qu’il y aussi cette optimisme, cette volonté de faire bien, si profondément américaines, cette confiance aveugle dans la technologie qui les hante et qui hante et leurs films… Cet optimisme, cette confiance, sont tellement anachroniques au moment où les milliards et la technologie de l’armée américaine ne parviennent pas à rétablir la paix dans un pays de 24 millions d’habitants…
« Et si on pouvait éviter ce drame, si on avait une machine qui replie l’espace, on voyagerait dans le temps et on empêcherait Mohammed Atta d’aller jeter ces avions sur nos tours … »
Comment ne pas penser que cette idée les hante toujours ?
*Un moment très Bruckheimerien, d’ailleurs. Caviezel joue l’un de ces terroristes d’extrême droite, qui sont, comme toujours, bien traités dans les films de ce producteur. C’est d’autant plus étonnant que les productions Bruckheimer se caractérisent aussi par une forte sympathie avec la communauté et la culture noire. Ils ont été les premiers à confier à un noir la tête d’un blockbuster (Le Flic de Beverly Hills), ont parsemé la bande-son de leurs films de musique noire (alors que les hits parades aux Etats Unis sont encore très marqués noir, blanc, ou latino). Cependant, les méchants Bruckheimeriens sont souvent des fachos, mais il est difficile de ne pas sympathiser avec eux au final. Il suffit de se rappeler le colonel rebelle de The Rock (Ed Harris) , ou le commandant borné de USS Alabama (Gene Hackman). Ce sont toujours des soldats perdus, qui se battent pour une bonne cause (lutter pour la liberté, contre la tyrannie de Washington) mais avec de mauvais moyens.