vendredi 28 septembre 2007


Control
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Tu connais Joy Division ? Devant mon air interloqué ce matin-là de 1984, Eric revint quelque jours plus tard avec deux cassettes audio : l’œuvre entière de Joy Division : Unknown Pleasures, Closer et Still. Je tentais en vain d’écouter cette musique lente, funèbre, impossible à définir : je rangeais ces K7 sur une étagère.

Cinq ans plus tard, ayant passablement changé de goûts musicaux, je compris enfin l’importance quintessencielle de Joy Division. Pour paraphraser ce qui a été dit sur le Velvet Underground : « Il n’y a pas beaucoup de gens qui ont acheté un album de Joy Division. Mais tous ont monté un groupe. » Joy Division a une place à part dans l’histoire du rock : trop de talent, trop original, mort trop vite. U2, Moby, Red Hot Chili Peppers, The Cure paient leur dette tous les jours. Love Will tear Us Apart a eu un beau succès l’an dernier en France, repris en bossa. Il y a des chansons de Joy Division dans des films récents : Heat, The Crow. Pas mal pour un groupe qui a enregistré deux albums et en a vendu seulement une poignée…

Faire un biopic sur la vie de Ian Curtis, pour autant, n’est pas une sinécure. L’histoire néanmoins, fait – sur le papier – un beau scénario : un jeune homme de la banlieue de Manchester, décide de devenir chanteur. Deux ans plus tard, au moment où le succès frappe à sa porte, mais dépassé par ce succès, tiraillé entre son mariage précoce et un nouvel amour, ravagé par des crises d’épilepsie, Ian Curtis se pend dans sa cuisine. Il venait d’être père d’une petite fille et avait 23 ans.

Anton Corbjin n’est pas un cinéaste. C’est un immense photographe (U2, Depeche Mode) et un clipeur doué. Il fut l’un des premiers à photographier Joy Division. Mais Control est un film de commande. Corbjin, en effet, voulait parler d’autre chose pour son premier film, et rompre ainsi avec une adolescence prolongée de 50 ans, vécue essentiellement dans l’orbite des groupes de rock, des tournées et des groupies. Mais comme la musique insidieuse de Joy Division, le projet a fini par le rattraper.

Ce qui aurait pu être un cadeau empoisonné se révèle un film exceptionnel, formidable de retenue, et de modestie. Le cinéaste s’efface tout simplement derrière l’histoire et la musique. Evite tous les poncifs. Ne cherche pas d’explication sociale ou psychologique au drame qui couve. Au contraire, il peint par petites touches cette histoire dans toute sa banalité : l’amour perdu, le temps qui passe, les responsabilités qui nous dépassent. Et réussit à faire un film en noir et blanc esthétique sans être esthétisant. C’est un film de comédiens : ils sont quasi débutants et pourtant remarquables, et drôles aussi.

Mercredi, je suis donc allé voir Control à la deuxième séance, avec Eric. Nous étions comme deux vieux amis à l’enterrement d’un troisième, perdu de vue depuis longtemps.

Repose en paix, Ian Curtis : nous avons aimé tous les deux.




mercredi 19 septembre 2007


Le Nouvel Hollywood / Sexe, Mensonges et Hollywood
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Connaissez vous Peter Biskind ? Ancien rédacteur en chef de Premiere USA, il est l’auteur de deux livres tout à fait passionnants sur le cinéma US : Easy Riders, Raging Bulls (Le Nouvel Hollywood), et Down and Dirty Pictures (Sexe, Mensonges et Hollywood)*. J’ai lu le premier, je suis entrain de finir le deuxième. Le premier, comme son nom l’indique, raconte la prise du pouvoir à Hollywood par Scorcese, Coppola, Spielberg et Lucas dans les années 70 ; c’est très certainement le meilleur, car très orienté sur les réalisateurs et les tournages. Toute la magie du cinéma y est. On y apprend, entres autres, que la Paramount ne voulait pas d’acteurs italiens dans le Parrain, que George Lucas est malheureux comme une pierre depuis le succès de Star Wars (il aurait voulu faire « autre chose »), que Steven Spielberg est le seul sa génération à s’en être sorti à peu près indemne (en écrasant gentiment tout le monde)…

Down and Dirty Pictures narre pour sa part la naissance et la chute du cinéma indépendant, au travers, tout particulièrement de Miramax et du festival Sundance. On y découvre plutôt les coulisses business du cinéma : acquisitions de films, post-production, doublage, montage, contrats, distribution. Mais c’est tout aussi passionnant : On y découvre ainsi Harvey Weinstein en Tony Soprano du cinéma indépendant menaçant de mort à peu près tout le monde, Redford en star de la procrastination, refusant de déléguer quoique ce soit à Sundance, mais jamais là pour prendre une décision, Steven Soderbergh triste de recevoir une Palme d’Or, et le jeune Quentin T., qui passe instantanément du vidéo-club aux neiges éternelles d’Hollywood. Et on y découvre surtout l’incroyable paradoxe Miramax, produisant à la fois Scream et Sexe mensonges et Video, Kids de Larry Clak et Scary Movie, Shakespeare in Love et Clerks… Une maison qui attire les cinéastes en leur offrant le final cut mais en« améliorant » sans vergogne les films à la post-production, une maison passionnée de cinéma, amoureuse des artistes mais refusant à les payer, même après 100 M$ de recettes…

Le génie tout américain de Biskind est de faire des livres à la fois sérieux et pas chiants. Sérieux parce qu’il analyse, avec force détail, citations et chiffres à l’appui, l’évolution d’une industrie. Pas chiant parce que c’est raconté avec style, mêlant analyse, anecdotes et portraits.

Une plongée en enfer à lire deux fois avant d’intégrer le « merveilleux métier de la scène et du spectacle…  »

si vous êtes fluent in english, je ne saurais trop vous conseiller de les lire en VO. En effet, First amendment oblige, Biskind n’a pas été censuré contrairement à la France. Il peut ainsi écrire des phrases du type « Jack Nicholson se shootait toute la journée », sans risquer un procès…




mardi 11 septembre 2007


Lost… in translation
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Séries TV ]

Hier, un événement majeur est passé totalement inaperçu des médias. Libération s’est excusé. Oui, relisez bien, le quotidien leader du marché sur la dictature du bon goût a reconnu son erreur. C’est incroyable mais vrai, c’est en page 37 dudit quotidien daté du lundi 10 septembre. C’est écrit petit, mais je cite : « Encore une faute professionnelle. Cet été nous écrivions que Lost était un tantinet essoufflé tandis que Heroes, youpi. Erreur , alors que Heroes se révélait de plus en plus barbant, Lost nous scotchait tout l’été devant TF1 »

L’erreur est humaine, et, il faut le reconnaître, le Professore lui-même n’était pas très chaud il y a deux ans devant le premier épisode du hamburger de monsieur Abrams. Mais patatras, la seconde saison se révélait addictogène, et cette saison 3 est tous simplement stratosphérique, un véritable rêve éveillé qui viole tous les principes dramaturgiques. Pire : elle en joue !

Ainsi, tandis que la série lambda (Heroes, pour ne pas la nommer) ânonne enjeux/résolutions d’enjeux, intrigues secondaires, metaplot et tutti quanti, Lost ridiculise ces efforts scolaires en se réinventant chaque semaine : vous vous posez des questions ? Vous voulez des réponses ? Vous aurez d’autres questions à la place ! Vous essayer de relier au moins quelques pièces du puzzle ? Un grand coup de vent vient tout emporter. Vous chercher au moins où sont les bons et les méchants ? Chaque personnage franchit allégrement la ligne rouge (l’enfer, c’est les Autres !!) A chaque fois qu’une situation semble apporter un début de réponse, le scénario fait coïtus interromptus : « Ah non, pas maintenant ! » ou mieux « Je vous dirais bien tout ce que je sais, mais ensuite vous me tueriez »… Le spectateur, est mis dans la position de nos héros, effleurant sans arrêt le Secret, sans jamais obtenir de réponse. Terrible frustration !

A cet égard, le final d’hier soir – que je ne dévoilerais pas par respect pour ceux qui peinent encore sur les DVD de la deuxième saison – propose l’un des plus formidables retournements de situation qu’il m’ait été donné de voir !

…Et dire que c’est reparti pour un an d’attente !




lundi 3 septembre 2007


Armageddon, part II
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Ce blockbuster, vous le savez, fut à l’origine d’un papier séminal du Professor. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Mais à la revoyure récente dudit film, on peut suggérer quelques compléments d’analyse que nous vous livrons ici, en bloc.

Armageddon, ou la lutte contre la Tyrannie
Je vous rassure, Armageddon n’est pas marxiste. Mais il appelle pourtant, sournoisement, à la rébellion. Rébellion contre qui ? Contre la tyrannie. Vous croyiez que Bruce Willis et ses working class heroes combattaient le météorite censé détruire la terre ? Il n’en est rien. Ils combattent un ennemi beaucoup plus sournois, souterrain : l’ennemi intérieur, la technocratie, la bureaucratie, Washington et la NASA. En un mot, la Tyrannie.

Au mitan du film, le président des USA, qu’on voit toujours à la Maison Blanche, dans l’ombre (la Conspiration !), suit les conseils de son général en chef, qui n’a plus confiance dans Bruce Willis pour sauver le monde. Plus confiance dans Bruce Willis ??? Mais il est fou, celui-là ! Il n’a pas vu Piège De Cristal ???

Le Président ordonne donc de passer au Plan B. Immédiatement, des militaires des Forces Spéciales investissent la NASA et en prennent le contrôle. La scène est filmée comme un coup d’état. Et c’en est un… Leur objectif : faire sauter directement la bombe à la surface du météore, puisque Bruce Willis n’y arrive pas ! Mais en agissant ainsi, ils condamnent l’humanité, puisqu’il faudrait normalement déposer cette bombe à 250 m de profondeur, sinon le météore ne sera pas détourné de sa trajectoire meurtrière…

Cela n’arrête pas le Président, incompétent, mal conseillé, bref… Tyrannique !

Cette scène fait écho à d’autres productions Simpson/Bruckheimer : USS Alabama, par exemple, suit le même modus operandi. Denzel Washington lutte contre un autre Tyran, Gene Hackmann. Celui-ci est prêt à tout (risquer la vie de ses hommes, déclencher le feu nucléaire) dans le seul but d’appliquer les consignes. Phrase culte : « Nous sommes ici pour défendre la démocratie, pas pour l’appliquer !»… A la fin, nos deux personnages sont réconciliés, et jugés tous les deux fautifs par le tribunal militaire, mais… pardonnés : les deux personnages ne sont rien d’autre que les deux faces de cette même nation, l’Amérique, capable d’être la plus grande des démocraties comme de sombrer dans la plus noire des tyrannies.

Cette tension, on le retrouve aussi dans un face à face récent signé toujours Bruckheimer : Déjà vu, opposant le terroriste d’extrême droite au flic intègre (Denzel Washington, toujours).

Armageddon ou la lutte des classes
Armageddon, c’est aussi l’histoire de lutte des classes. Quelles sont ses forces en présence ? D’un côté, les héros, qui sont, sans exception des « damnés de la terre » : un obèse mangeur de donuts (Ken Hudson Campbell), un père abandonneur de famille (Will Patton), un cowboy paumé (Owen Wilson), un biker noir (Michael Clarke Duncan), un obsédé sexuel (Steve Buscemi). Le type même des losers white trash rejettés par Uncle Sam. Sans parler du monde entier : pauvres chinois dans leurs jonques, foules en extase religieuses devant le Taj mahal, français mangeurs de baguettes… et astronaute russe sans le sou, dérivant en orbite géostationnaire !

Dans le camp d’en face, les prototypes de la technocratie bien pensante, mangeurs de yaourt au bifidus, au profil tout aussi viril qu’indifférencié : ingénieurs à la NASA, dépenseurs d’impôts du contribuable, militaires obtus, ingénieurs loin des réalités du peuple. Heureusement, les working class heroes, aidé du seul mec bien de la NASA (Billy Bob Thornton, moche et handicapé) sauveront le monde de ces technocrates. Pour seul paiement, que réclament-ils ? De l’argent ? Des honneurs ? De la reconnaissance ? Non. Ils veulent des demandes simples, comme seul le peuple a la liberté de la faire : « Je veux que mes contraventions soient effacées, je veux savoir qui a tué Kennedy et surtout, ne plus payer d’impôts !!»

Armageddon ou la Guerre des Sexes
Armageddon est aussi un film sexuel, voire freudien : Bruce Willis veut mettre sa foreuse bien profond, au cœur du météore, tout en sauvegardant la virginité de sa fille (on est au XXI° siècle, Bruce, réveille-toi !), virginité sous la menace par des appétits sexuels de son meilleur foreur (Ben Affleck), qu’il considère pourtant – ou justement – comme son fils. « Occupe toi de de ma fille ! » Tel est le dernier message adressé par le Père au Fils. On ne fait pas dans la finesse, mais n’est-ce pas le charme des productions Simpson/Bruckheimer ?




lundi 3 septembre 2007


Le Fils de l’Epicier
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Vous pouvez vous pincer : oui, j’ai vu Le Fils de l’Epicier, et oui, j’ai trouvé ça bien ! Petite chronique sur la désertification des campagnes et la complexité des rapports père/fils, ça sentait le film français dans toute sa splendeur mais non, c’est une oeuvre sympathique, subtile, pas très bien interprétée, mais à voir quand même.




lundi 3 septembre 2007


Transformers
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Au moment où les hybrides (les voitures), s’installent à Los Angeles, un autre hybride, filmique, a envahi nos écrans cet été : il s’agit de Transformers. Loin de moi, a priori, l’idée d’aller voir la mise en images (de synthèse) d’un dessin animé pour enfants, fut-ce par le talentueux Michael Bay, auteur, comme chacun sait de chefs d’œuvres insondables comme Armageddon, The Rock ou Bad Boys I&II.

Hybride, oui, car il s’agit là du résultat d’amours coupables entre Michael Bay, cinéaste bruckheimerien pur jus (Hélicos, Explosions, Mauvais Esprit Républicain) et Steven Spielberg producteur (Bons Sentiments Démocrates, Enfance, Banlieue Américaine).

Le résultat est le portait composite et inattendu de ses deux papas : l’énergie brute de Bay, le sentimentalisme spielbergien. L’innocence de l’enfance (la petite fille), l’esprit potache adolescent (les histoires de branlette). La violence vue comme un parc d’attraction (Bay), la violence de la guerre vue comme une extermination (Spielberg). Tout y est, en quelque sorte. Un film pour les petits et un film pour les grands, la parodie, l’humour premier degré, le film d’action, la romance…

Sur le fond, Transformers est une hymne à l’Amérique, à la Bagnole et à la Liberté. Comme toujours chez les bruckheimeriens, le héros défie l’autorité, et le Méchant Etat Centralisateur. Le héros doit non seulement affronter les robots qui veulent détruire l’humanité, mais aussi une bande pitoyable de Men In Black appartenant au Gouvernement des Etats-Unis, et menés par un tout aussi pitoyable John Turturro. Les méchants robots, comme par hasard, s’incarnent dans les symboles du pouvoir : une radio sur Air Force One, une voiture de flic, un hélicoptère de l’armée. Les bons robots, au contraire, s’incarnent dans les symboles de la liberté américaine : la Chevrolet Camarro, le Truck Américain… Côté Spielberg, la solution ne peut venir que de la Banlieue Américaine, seul réservoir possible en Héros Ordinaires…

Des nouvelles du côté obscur, aussi : quelques relents post-11 septembre traînent de ci, de là, à la hauteur du traumatisme : les forces américaines sont au Qatar au début du film, et le Mal y jaillit pour la première fois. Pas les gentils arabes, que les marines sont là pour protéger, bien sûr, et qui les aident en retour, mais bien un de ces méchants robots-scorpions qui détruisent tout sur leur passage, notamment des mosquées ! Au final, la guerre se déroulera bien en Amérique, à Los Angeles même (l’affiche du film montre pourtant New York).

Au cas où on n’aurait pas compris, un soldat le rappelle au héros, qui voudrait éviter le combat : « Maintenant, nous sommes tous des soldats ! »

Faut-il y voir quelque chose de rassurant, comme un rappel des Minutemen venant à la rescousse de la démocratie menacée par l’envahisseur, ou au contraire, le présage plus inquiétant d’une Amérique angoissée, et remilitarisée ?




lundi 3 septembre 2007


Michael Collins
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD ]

Il faut le reconnaître, c’est toujours un bonheur de voir les américains se planter comme nous ! Vieux réflexe de cour d’école j’imagine, quand le prof de sport se vautre lamentablement aux barres asymétriques…

C’est le cas ici de Michael Collins, biopic raplapla réalisé en 1996 par Neil Jordan (qu’on connu plus caustique), sur le célèbre révolutionnaire irlandais. Ce film pourrait aisément passer pour un téléfilm français, avec Victor Lanoux dans le rôle titre, et réalisé par la subtile et raffinée José Dayan.

Tous les poncifs sont là : enchaînement de moment-clés, mais sans progression dramaturgique, reconstitution soignée, mais au détriment d’un véritable scénario, casting de luxe (Liam Neeson, Alan Rickman, Julia Roberts), mais casting anachronique, essayant, dans un effort pitoyable, de prendre l’accent irlandais…

Le tout parfumée à une sauce moralement assez indigeste: les odieux militaires britanniques contre les gentils assassins de l’IRA… On aurait espéré un minimum de pédagogie ! Mais Michael Collins, c’est le reflet, une fois de plus, des comptes qui se règlent à distance entre l’Angleterre et son ancienne colonie.