Suite à une remarque sur le cinéma français, j’ai soudain eu la révélation du paradoxe suivant : l’Amérique n’a pas de complexe avec l’argent, mais renâcle à le montrer au cinéma, tandis que notre cinéma hexagonal propose à l’écran des héros bourgeois, dans un pays où, pourtant, il est tabou de dire combien l’on gagne.
Je n’ai pas d’explication particulière à ce phénomène, il s’agit surtout d’une constatation. Chez nous, il n’y pas de honte d’être médecin, avocat, prof… On se moque parfois des riches, comme dans Le Dîner de Cons, mais ça reste anecdotique.
Dans le cinéma américain, le méchant est souvent très riche ; le héros systématiquement middle class. Un bon exemple, c’est Colombo, le brave type qui propose son bon sens et sa bagnole pourrie (et française) face aux riches de Beverly Hills qui opposent eux, crimes, mensonges et trahisons…
Dans les GCA, le méchant est toujours très riche et fomente un complot visant à l’être plus encore… Les profs, et en général ceux qui représentent l’autorité, font souvent problème : ridiculisés (comme dans Ferris Bueller), les patrons sont souvent imbus d’eux-mêmes et chantres du mauvais goût (Heroes, Les Sopranos. Un autre exemple, c’est Batman : très riche, (mais philanthrope !), il apparaît coincé quand il est en costume de riche, mais à l’aise en super héros : l’habit ferait il le moine ?
L’avantage de Canal+, c’est de revoir des films à la volée, dans un délai assez court après leur sortie en salles, mais suffisamment loin du buzz et des critiques de la sortie. Flightplan n’est pas un grand film, loin de là, mais à la revoyure, il offre une intéressante leçon de cinéma, notamment en matière de Point de Vue et de Casting.
Tout est effectivement affaire de point de vue dans Flightplan. Jodie Foster, veuve et mère de famille, est-elle réellement montée à bord de cet avion en compagnie de sa fille ? N’est-elle pas au contraire en pleine bouffée délirante, liée à son deuil récent ? Pendant la première moitié du film, on est avec l’héroïne, son deuil, son retour aux USA, sa fille. Lorsque celle-ci disparaît, on est toujours avec elle, dans l’inquiétude d’une mère qui pourrait être confrontée immédiatement à un second deuil.
Mais lors d’une séquence formidablement maîtrisée, le réalisateur inverse notre point de vue : et si Jodie Foster était folle ? Et si le commandant de bord, suspect au début, n’était pas finalement le good guy ? Et cet US Marshall, à bord de l’avion, qui pose les bonnes questions : Pourquoi personne n’a vu votre fille ? Pourquoi n’est-elle pas sur le manifeste de l’avion ?
En quelques minutes, le spectateur est plongé dans le doute… Lorsque soudain, sur la base d’un indice irréfutable, il rebascule dans la Réalité, la vraie, que je ne révélerai pas ici. Tout est minutieusement agencé dans cette mise en scène : choix de la bande-son, où par exemple le ronronnement des réacteurs s’efface pendant que Jodie Foster assène sa démonstration, puis revient lorsque le commandant de bord accède à sa requête….regards croisés des seconds rôles, qui autorisent toutes les interprétations aux spectateurs… intrigues secondaires (terroristes arabes, psys manipulateurs, américain trop sympa pour être honnête…) qui perdent le spectateur (et lui offrent aussi la jouissance de bâtir) plusieurs histoires possibles…
Il y aussi un autre génie dans Flightplan, c’est celui du casting, cet art souvent ignoré du grand public, mais pourtant art fondamental du cinéma. Car quoi qu’on en dise, tout le monde ne peut pas tout jouer ; un acteur a l’écran dispose d’un a priori (positif ou négatif) au départ, et tout l’art du film est d’utiliser cet a priori pour conforter – ou égarer – le spectateur.
Cet égarement est à l’œuvre dans Flightplan. D’abord le choix de Jodie Foster. La petite fiancée de l’Amérique est parfaitement à son affaire dans ce film-là : elle qui collectionne depuis le début les rôles de victimes (Taxi Driver, Les Accusées) mais aussi les rôles de Mère Courage (Panic Room, Le Silence des Agneaux), joint ici les deux : Victime et Mère Courage. On l’a vu plus haut, on hésite même un moment entre les deux : elle sera les deux, finalement.
En face, tout se joue sur l’ambiguïté des protagonistes : Sean Bean, star grand public depuis son rôle dans Le Seigneur des Anneaux (Boromir, le traître malgré lui), a collectionné depuis les rôles de méchant : Benjamin Gates, Troy, The Island. Il est donc parfait en commandant de bord, dont on suppute pendant tout le film le rôle trouble dans l’affaire. On peut même dire que c’est sa prestation dans le rôle qui fait basculer un banal Boeing en piège de métal. Jusqu’à son apparition, l’avion est un endroit normal, quotidien. Lorsqu’il parait, on sait que Foster est en mauvaise posture. Et tout à coup, l’équipage, les hôtesses de l’air se transforment en créatures maléfiques, tandis que le mise en scène lorgne vers les codes des films d’horreurs (éclairs, flou sur l’arrière plan puis brusque mise au point, etc.)
Au contraire, Peter Sarsgaard, l’US Marshall, peu connu du grand public (il a surtout joué dans des films indépendants), offre sa voix douce et son visage lisse à toutes les interprétations : good guy ? Bad guy ? je vous le laisse découvrir à la fin de Flightplan…
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