Comme promis, la chronique complète promise depuis le 20 janvier…
John Ford disait toujours qu’un film, c’est un début et une fin. Et il ajoutait : « Mettez toujours 50% du budget dans le début et la fin, le début pour accrocher le spectateur, et la fin, c’est qu’il va retenir de vous… et qui le fera revenir au cinéma. »
Ben Affleck a retenu la leçon pour Gone Baby Gone : une intro qui n’a l’air de rien (images volées des quartiers pauvres de Boston), et à la fin, 10 dernières minutes qui valent allégrement le reste du film.
Parce que pour le reste, on est en terrain connu. Un couple de jeunes détectives privés (Casey Affleck et Michelle Monaghan) est engagé pour retrouver la petite Amanda, qui a disparu depuis trois jours. Ces détectives se retrouvent à travailler avec la Police de Boston, dirigée par Morgan Freeman, et un « vieux de la vieille », interprété par Ed Harris.
Comme de bien entendu, ça se passe mal, puis les rookies montrent que leur connaissance du quartier peut aider la police, en découvrant un lien avec un deal de drogue qui a mal tourné. Négociations secrètes avec les ravisseurs, embrouille, petite fille qui tombe à l’eau… La négociation tourne au scandale et force Morgan Freeman à démissionner. Jusque là, on est dans le thriller assez classique, voire faiblard. Faiblard parce que la réalisation, à la fois stylée et réaliste, impeccable en un seul mot, s’opposent aux dialogues qui oscillent entre le très bon et le très mauvais. Et puis l’histoire finit par ressembler à tous les Mystic River de la terre : enfance maltraitée, pédophiles bons à tuer, et bons sentiments mélo, par paquets de 5kg.
On est là à divaguer, regarder sa montre, et préparer sa petite critique CineFast, quand déboule la fin du film. Et là, paf ! Ben Affleck enchaîne les révélations. Le polar insignifiant se transforme en fable morale, fable qui devrait être projetée à tous les pieds nickelés de l’Arche de Zoé de la terre. Rien de moins qu’une réflexion sur l’appartenance à une communauté ou à la famille, l’amour parental, et la filiation.
Des révélations ? Quelles révélations ? Amanda est en fait bien vivante, enlevée par une « Conspiration des Justes », mêlant beau-frère alcooolo, flic ripoux, et super-flic en manque de paternité. Le tout dans le dos de la mère indigne (Amy Ryan).
Que faire alors ? Nos deux détectives héros face au dilemme de Salomon : dire la vérité et remettre la petite fille à sa mère, white trash qui ne s’en occupe pas bien, où mentir, et la laisser dans les bras d’une famille aimante, aisée, mais seulement adoptive ?
Le génie d’Affleck, ce n’est pas de poser le débat, mais contrairement au film américain moyen, de prendre tout son temps pour étudier ces deux propositions. S’il a choisi son camp (la vérité plutôt que le mensonge), Ben Affleck laisse le beau rôle au camp d’en face : la détective sexy, et Morgan Freeman défendent l’adoption plutôt que la mère indigne. Au héros, le mauvais rôle, celui de défendre cette option : Amanda a été enlevée à sa mère, on lui a volé sa vie. Et puis l’histoire n’est pas encore écrite : la mère peut changer, se racheter. Notre héros opte finalement pour cette option, brisant par là même son couple.
On serait toujours dans le commun (version haut du panier), si Ben Affleck n’avait pas rajouté une conclusion à cette happy end. Bien sûr qu’Amanda rentre chez sa mère, et bien sûr que celle-ci est folle de bonheur. Mais ce retour est filmé de manière distante, un peu ridicule : la happy end s’enrichit d’une petite touche amère.
Et puis il y a cette scène finale : quelques mois plus tard, le détective -désormais célibataire- revient voir la mère, qui se prépare à sortir en boîte. On comprend alors que rien n’a changé, que la mère indigne restera indigne, et qu’il n’y a pas de rédemption possible, ni même de possibilité d’intervenir…
Nous sommes donc à la fois dotés d’une conclusion morale, et privés de la happy end censée récompenser ce « bon choix » ! A l’instar de cette dernière image, sublime* : Casey Affleck, improvisé baby sitter, regarde la télé avec la petite Amanda. Mais qui ne peut que rester à distance, en étendant le bras, sans jamais la toucher.
* et absente du roman…