Mon ami Eric (eh oui, celui de Joy Division), a inventé une jolie expression, un beau jour de 1984, alors que j’allais voir Paris, Texas : « Ah oui ? Tu vas pointer au chef d’œuvre, comme tous les autres ? ». Qui peut se vanter en effet de n’avoir jamais lu un livre, ou vu un film, parce que toute le monde le recommandait ? Après César, Oscar, avis d’amis, je suis donc allé « pointer au chef d’œuvre » La Môme, afin de vérifier par moi-même la performance Cotillard, et de me plonger dans cette partie cachée de l’identité française qu’on appelle Edith Piaf.
Car Piaf, c’est la France, et Piaf c’est Paris. Oublier cela, c’est s’oublier soi-même. Toutes les chansons de la Môme courent sur nos lèvres, et on se met immédiatement à chanter le refrain. Je ne suis pas plus fan que ça, mais je suis français, et aucun français n’y échappe, pas même les américains : ils ont couronné – à l’évidence – une vision très américaine de la France (Paris ! La bibine ! L’hystérie !)
Pourtant, rien n’empêchait de revisiter le mythe. Soit en le frôlant amoureusement, de loin, soit en dynamitant de l’intérieur. Ce ne fut évidemment pas le choix de Dahan (et surtout pas de TF1, son producteur). Avec La Môme, on est donc dans le biopic à l’américaine, juste retour des choses.
Et c’est donc raté.
Raté, le biopic l’est par essence. Comment s’intéresser à la suite d’un film dont on connaît la fin ? La jeune Piaf deviendra une grande chanteuse, Howard Hughes (The Aviator) un héroïnomane, Johnny Cash (Walk The Line) trouvera la rédemption. De chaque scène, on peut déduire la fin. Piaf entre sur scène, toute tremblante : ce sera un triomphe. Marcel Cerdan prend l’avion : il va mourir. Piaf entre sur scène, toute tremblante : elle va s’évanouir.
C’est pour cela que le réalisateur de biopic se doit de botter en touche. Dahan met toutes ses qualités là-dedans : esthétique irréprochable, comédienne incroyable, images léchées. Mais à force de faire valser la caméra pour montrer l’hystérie piafienne, et l’alcoolémie ambiante, il nous saoule nous aussi. Il enfile les grands moments Piaf, et enchaine les poncifs : « la petite fille abandonnée », « l’alcoolique pauvre », « la star capricieuse ». Ce n’est pas vraiment désagréable, mais juste ennuyeux, comme une séance diapo de copains revenant de Marrakech.
Qu’aurait-il fallu faire, alors ? Rien, en fait. D’abord, ne pas faire de biopic : ÇA NE MARCHE PAS ! Ensuite, botter en touche, mais autrement. Raconter la vie de Piaf par quelqu’un d’autre, comme Todd Haynes raconte la vie de Bowie au travers d’un journaliste dans Velvet Goldmine. Eviter de raconter une histoire, travailler de manière impressionniste, comme Anton Corbjin pour Control. Parler d’autre chose (de la boxe, par exemple), comme Scorcese pour Raging Bull.
Surnage néanmoins de ces deux heures, il faut le souligner, l’incroyable prestation de Marion Cotillard. Il est vrai qu’on a toujours beaucoup d’indulgence pour la bombasse qui s’enlaidit, et qui en général gagne un oscar (Charlize Theron pour Monster, ou Daniel Day-Lewis pour My Left Foot), mais ici, il y a une véritable, invraisemblable performance. Cotillard joue incroyablement bien Piaf : jeune ou vieille, drôle ou en colère, haineuse ou aimante.
Bravo Marion.