L’histoire est un éternel recommencement. Moi qui voulait enrichir ma collection de films à Oscars, j’ai décidé de me fader enfin Dr Jivago. Mal m’en a pris : David Lean est le Ridley Scott des années 60, c’est-à-dire un cinéaste décorateur, un enlumineur, un faiseur, bref, plein de gros mots dans la bouche du Professor.
Dr Jivago, c’est 197 minutes de niaiserie, le tout rythmée par le même scie musicale de M. Jarre père. (On critique la génétique, mais il y a quand même du vrai là-dedans !) Entre chaque scène, un coup de balalaïka pour montrer à quel point cette histoire est triste…
197 mn pour apprendre que les communistes sont des gens méchants, fourbes et cruels, et que si la grande Russie c’était pas joli non plus, au moins les riches mangeaient à leur faim.
197 mn pour que Omar Sharif (Les courses, c’est mon dada !) décide de NE PAS CHOISIR entre l’incroyable bombasse qu’est Julie Christie (95C) et la lépreuse frigide qu’est Géraldine Chaplin, mère-de-ses-enfants !
197 mn de pub pour le Cinemascope et la pellicule Agfa. Parce que Jivago, pour être beau, c’est beau ! La Grande Rue avec le Joli Tramway. La Grande Rue sans le Joli Tramway (les communistes nous ont tout pris, ma bonne dame !) Le Joli Train noir qui traverse la Steppe (plan repiqué de Lawrence d’Arabie, avec des dromadaires, tout aussi nul, mais plus pédé).
Les mêmes causes obtenant les mêmes effets, on peut donc prédire le même destin à tous ces films qui, aujourd’hui, pêtent la reconstitution avant d’écrire une ligne de scénario : celui des enflures à gros budget.
PS Il est intéressant également de voir qu’on écrit finalement que sur sa propre époque. Je viens concomitamment de lire Central Europe, de William T. Vollman, qui a notamment pour cadre la Russie soviétique. Avec beaucoup plus de talent, Vollman ne relaie que les obsessions de notre époque : personnages obsédés du cul, relativismes génocidaires et tutti quanti.
Cette chronique n’a pas grand’chose à voir avec le cinéma (quoique). Mais bon, MuséeFast n’existe pas encore. Je suis allé voir ce soir l’exposition Babylone, qui débute au Louvre. Je l’avoue, ma seule connaissance mésopotamienne se résume à Adèle Blanc-Sec et l’ineffable Pazuzu (Pa ! Pazu ! Pazuzu !). Mais bon, j’aime l’Histoire, j’aime l’Antiquité, j’aime Le Louvre, que je fréquente pourtant beaucoup moins que l’UGC CineCité.
Bref, me voila donc parti pour une heure d’exploration, au milieu de pièces splendides, sculptures et bas reliefs de quatre mille ans. Sans parler de quelque beaux tableaux flamands d’inspiration babelienne, et des traductions du XV° siècle de la Divine Comédie et de Saint Augustin. Bref, splendide exposition.
Mais où veut il donc en venir ? se demande le Cinefaster, étonné de tant de préliminaires.
Eh bien j’y arrive. Ce qui m’emmerde dans les musées français, c’est le refus ABSOLU de la moindre pédagogie. Confit dans leur élitisme snobinard, aucun muséographe ou muséologue (les deux existent, j’en ai rencontré) ne s’abaissera à vous expliquer quoique ce soit. Nous sommes entre gens cultivés, n’est-il pas ?
Du texte, pourtant, il y en a. Soit pour détailler la généalogie de Nabuchodonosor, soit pour vous traduire des poèmes sumériens. Mais d’explications, point. Un dessin (qui vaut pourtant un long discours), point ! Légendes d’objets, relevés ainsi au hasard :
– « Tuile avec antéfixe à palmette » (qu’est-ce qu’un antéfixe ? qu’est-ce qu’une palmette ?)
– « Abastron de forme ovale allongée »
– « Cachet discoïdal à bélière en forme de tête de canard », avec cette référence mystérieuse : A0 5684.
Je n’invente rien, allez-y, vous verrez. Dans les musées français, il est plus important de noter la référence de cet objet (qui doit servir à 200 personnes maximum à la Réunion des Musées Nationaux), plutôt que d’expliquer, en deux mots, à quoi sert un antéfixe.
Quel rapport avec CineFast, me direz vous ? Eh bien, je pense qu’on y trouve là une autre forme de l’antagonisme franco-américain, au cinéma comme ailleurs. Quiconque a visité un musée américain connaît la différence. Ceux-ci sont très bien faits, très didactiques, souvent avec beaucoup de maquettes, de schémas explicatifs, de définitions, et surtout plusieurs niveaux de compréhension, pour les enfants et pour les adultes. Et ce n’est pas une question de moyens : j’ai vu un musée de dinosaures à Bozeman, Montana (27 000 hab.) qui valait largement le Jardin des Plantes.
On voit l’analogie avec le cinéma : les grands auteurs américains sont des raconteurs d’histoire (Welles, Kubrick, Ford, Coppola, Scorsese). Nul besoin d’expérimentations gratuites. Nul besoin d’élitisme. Pas besoin d’être « entre nous ». Ils s’adressent au
« common people ».
Nous qui sommes toujours prêts à donner des leçons de démocratie aux yankees, n’oublions pas que, pour les américains, la culture ne sert pas à se distinguer de la masse. Le PDG va voir le dernier Ben Stiller comme sa femme de ménage, et ne cherche pas à frimer à l’opéra comme Bernard Arnault. Il n’y pas de nobles : on existe par le pognon, la réussite, et pas par autre chose. Est-ce bien ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que je n’ai rien appris sur Babylone ce soir. Et que j’en apprendrai cent fois plus sur Wikipédia… Honte à moi, sombre populiste ! vermine poujadiste !
Dans un formidable essai de 1998, La Comédie de la Culture, Michel Schneider, ancien Directeur de la Musique sous Jack Lang, découpait en petits morceaux la prétendue « politique culturelle de la France ». Et dénonçait au final une politique de subvention se substituant à une politique d’éducation. « Au lieu d’aider la création », disait-il en substance, « nous devrions favoriser l’accès à la culture : rendre les musées gratuits et accueillants, par exemple ». On le voit, on en est loin.
Je laisse la conclusion à l’exposition elle-même, qui, sans le savoir, s’auto-parodie dans la salle « Babylone et le théâtre », qualifiant ainsi le XVIII° siecle de Voltaire et de son Sémiramis :
« [A cette époque] une certaine touche d’érudition flattait un public bourgeois ».
On ne saurait mieux dire.