samedi 20 décembre 2008


La Bande à Baader
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -Les films ]

Un petit malin que ce Bernd Eichinger. Non content de réussir dans le business (de Moi, Christiane F. à Resident Evil et Les 4 Fantastiques), il a décidé de s’attaquer aux grands mythes allemands, et prétend apporter enfin un éclairage nouveau, dépassionné, sur ces sujets tabous. Après l’ambitieux La Chute (les nazis sont au départ des gens comme les autres), qui ratait sa cible par excès de naïveté et d’amoralité, même constat d’échec pour La Bande à Baader.

Échec paisible pourrait-on dire, car les deux possèdent les mêmes qualités et les mêmes défauts. Ils sont plaisants à voir, mais on ressort avec un sentiment de vide philosophique à la fin. Ici, c’est toujours le problème du biopic : où est le point de vue ? On commence par Ulrike Meinhof, l’intello du groupe, qui peine à s’intégrer. Il y avait quelque chose à faire, là. Ou ailleurs, avec les jeunes qui reprennent le flambeau après l’arrestation des leaders, et qui semblent combattre pour des raisons très floues.

Mais non, le film s’enlise dans les reconstitutions des « Grandes Heures de la RAF » : l’attentat contre Bild, l’enlèvement de Hans-Martin Schleyer, la prise d’otages à Stockholm. Même si c’est très bien joué, même si c’est pédagogique et intéressant, même s’il faut le voir pour son éducation personnelle, c’est au final un peu vide.

N.B. Option renforcée peut-être par les conditions de projections : dans un MK2 Parnasse au trois-quart vide, il a fallu supporter un détestable trio de quinquagénaires : assis devant nous, ils nous ont suggéré de nous pousser s’ils dérangeaient (sic), et ont parlé pendant tout le film. Ils n’ont pas de télé ? (Mon irrésolution à leur dire en face faisant évidemment partie de la frustration)




samedi 20 décembre 2008


Lost, le véritable making of.
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Séries TV ]

Les making of sont chiants. La plupart du temps, on n’apprend rien, si ce n’est que Machin a « adoré » travailler avec Truc.

Pourtant, ce qui se passe derrière le rideau est souvent passionnant. Prenez Lost, par exemple. On croit souvent (moi le premier !) que cette idée sort du cerveau – génial mais torturé – de JJ Abrams. En fait, pas du tout… Vous voulez la véritable histoire ? La voici.

En 2002, ABC, l’un des 4 grands networks américains, est au plus mal. NBC se maintient en pole position, Fox, boostée par American Idol (la Nouvelle Star US) devient un concurrent sérieux, et CBS, revenu d’entre les limbes, pète le feu avec Survivor (Koh Lanta).

Mais surtout, ABC est dans une mauvaise passe managériale : tout se décide au-dessus, chez Disney, entre les mains viriles de Michael Eisner. Lloyd Braun, le Président de ABC Entertainment est sur la sellette. Ne risquant plus grand-chose, il part faire un break à Hawaï en famille. A l’hôtel, on passe Seul au Monde, avec Tom Hanks. Braun caresse alors l’idée suivante : une série, à mi-chemin entre le film de Zemeckis et Survivor, mais réaliste. Il a même un titre : Lost.

Tétanisé par Disney, il n’ose le proposer, mais quelques mois plus tard, ABC, complètement à la ramasse, organise une « retraite » de cadres pour trouver de nouvelles idées. (Rappelons que cette tâche est normalement dévolue à la direction des programmes). Braun y pitche son sujet, avec un petit succès. L’idée est confiée à un scénariste, Jeffrey Lieber, qui le rebaptise The Circle. Et en plus, le scénario est très mauvais.

Braun se rappelle alors qu’il a un wonderboy sous son aile : JJ Abrams. Le petit coquin a signé un accord d’exclusivité de 4 ans avec Disney, pour la modique somme de 20M$… Mais JJ n’a rien écrit en quatre ans ! « Moralement ce n’est pas très juste, lui fait remarquer Lloyd Braun (ce qui n’est pas exagéré, NDLR). Il serait temps de payer tes dettes. Vois ce que tu peux faire avec ça. »

En plus, JJ Abrams n’a pas bonne presse, Alias est un succès critique, mais pas le carton prévu. Disney a demandé sa tête à plusieurs reprises. Pourtant Braun lui fait confiance, et JJ revient au bout d’une semaine avec une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est qu’il a trouvé ça bien, et qu’il a quelques idées. La mauvaise, c’est qu’il a trouvé ça bien, et qu’il a quelques idées ! Et quelles idées : « Votre histoire est nulle, leur dit tout de go Abrams. Le vrai personnage, c’est l’Ile ! Il faut que tout tourne autour d’elle. Et il faut tuer Jack dès le premier épisode. On se concentrera plutôt sur ce qui s’est passé avant, dans la vie des personnages. »

C’est cette idée, évidemment, qui séduit ABC : avec ça, on tient une série, on peut facilement multiplier les épisodes. Très vite, et contre toutes les règles hollywoodiennes en cours, Lloyd Braun décide la fabrication d’un pilote : le scénario n’est pas écrit, à peine possède-t-on un synopsis deux fois trop long, mais le casting a débuté et le tournage commence. Une fois lancé, JJ Abrams fait joujou. Il commande une véritable carcasse d’avion, rajoute des personnages à chaque réunion… le budget et la durée du pilote explosent : 2 heures, 12 M$.

Et comme prévu, Lloyd Braun est viré.

Braun a déjà pris tous les risques pour mettre son bébé sur les rails, mais il franchit une nouvelle ligne jaune : il propose Lost aux chaînes concurrentes (NBC, CBS), et même à la Warner ! Il fait déposer, de nuit, des cassettes vidéos du pilote dans des boîtes aux lettres de ces décideurs ! Car Braun est alors convaincu que son enfant chéri – trop long, trop cher, trop feuilletonant – ne passera pas l’hiver.

On s’interroge en effet chez Disney sur le sort à réserver à Lost : série à part entière ou, pour sauver les meubles, mini-série de prestige sur 6 épisodes ? Mais aux Etats-Unis, les films et les séries sont toujours sévèrement testés par les services marketing, et Lost est testé lui aussi. Divine surprise, c’est plutôt bon, comme Desperate Housewives. ABC n’a plus le choix : avec seulement ces deux cartes en mains, et le surcoût délirant de Lost, la chaîne décide de tout miser sur ces deux séries dans sa campagne marketing de rentrée. Des sacs d’aspirateurs Desperate Housewives sont distribués en supermarché, et de véritables bouteilles à la mer Lost sont jetés sur la côte atlantique.

Vient l’heure du jugement, le 22 septembre 2004, à 20h, créneau inédit pour ce genre de série (drama) : Lost est un énorme succès, le meilleur score d’ABC pour une série depuis 4 ans (Desperate Housewives fera encore mieux dix jours plus tard).

Le premier réflexe de JJ Abrams est d’appeler Lloyd Braun ; ils sont tous deux au bord des larmes… Quelques semaines plus tard, Braun recevra un grand paquet à la maison : dans un cadre, un poster dédicacé par Abrams, Lindelof et Burk (producteur) : la carcasse de l’Oceanic 815, seul souvenir, désormais, de l’épopée Lostienne de Braun…

Le seul ? Pas vraiment. Toutes les semaines, Lost paie son tribut à son géniteur. Un tout petit tribut, en fait. Au début de chaque épisode, une voix off ânonne la phrase qui, chaque semaine, lance toutes les séries du monde : « Previously on Lost… » Cette voix, personne ne la connaît. Elle n’est pas très virile, ni très basse comme il convient. Abrams et sa bande avouent eux-mêmes ne pas savoir qui s’est occupé du casting voix. Pourtant, des cadres d’ABC jurent avoir déjà entendu cette voix quelque part… Pour cette voix, la production a choisi un acteur débutant, un parfait inconnu : un certain… Lloyd Braun.

Son nom n’est pas au générique (celui de Jeffrey Lieber l’est), mais, pour toujours, la trace de Braun est gravée dans le granit de l’Ile.

NB : cet article n’est pas le fruit d’une longue enquête, mais de la lecture – passionnante – du livre de Bill Carter, Desperate Networks, une chronique des télés américaines ces dix dernières années; l’arrivée des grandes séries, et la révolution de la télé réalité.

Bill Carter, Desperate Networks
Broadway Books