La BD « Les Watchmen », la BD d’Alan Moore et de Dave Gibbons, c’est la pierre angulaire de la nation geek, les gars qui sont nés après 1965, qui, selon l’agréable théorie de Guillaume Dustan, méritent seuls de vivre dans notre monde moderne. L’écrivain pédé, qui aimait bien provoquer les télés avec sa perruque jaune, avançait qu’il fallait débarrasser la planète des gens nés avant cette date fatidique, trop vieux pour le monde nouveau : comprenaient rien à la techno, à l’acide, à Bret Easton Ellis, aux comics… Moi c’est le genre de théorie qui me va bien, je suis né en 1965.
Les Watchmen font partie de la culture quadra, même si vous n’en avez jamais entendu parler : Cameron met un T-shirt Watchmen dans Titanic, des gars citent le comic à gauche et à droite « Who’s watching the Watchmen? » C’est comme Velvet Underground ou Joy Division : personne n’en a entendu parler, mais c’est le ciment de la culture geek.
C’est pourquoi l’adaptation au cinéma était attendue comme le messie par un troupeau de fans au bord de l’apoplexie : après un projet de Terry Gilliam longtemps reporté* (ouf !), les noms de Darren Aronofsky ou Paul Greengrass avaient circulé… Et puis soudain, sorti de nulle part Zack « Je vote républicain et j’aime ça » Snyder. Le réalisateur de 300 avait au moins ça : la vista pour illustrer convenablement la bête. Même si Watchmen-la BD est affreusement dessinée, elle vous empli de visions pour toujours : le Dr Manhattan en Titan bouddhiste bleu, le vaisseau spatial en mécanique d’horlogerie dorée, Rorschach et son masque, etc.
Ici, le talent de Snyder fait recette : images superléchées, transitions élaborées, effets spéciaux bluffants (et l’un des plus beaux génériques de ces dix dernières années, avec Dylan l’immortel en toile de fond)
Mais le jeune Snyder avait aussi montré avec 300 qu’il n’était pas qu’un cliper de plus, et qu’il savait raconter une histoire. Objectif atteint avec Watchmen : il a réussi à rendre compréhensible une BD fascinante, mais incompréhensible. Et le républicain n’a pas trahi l’anarchiste Alan Moore. On peut même dire que c’est la première œuvre de Moore, après les adaptations calamiteuses de From Hell ,V for Vendetta, et La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, qui soit réussie…
C’est peut-être le problème, d’ailleurs. On peut s’en rendre compte maintenant : l’intrigue générale tient sur une boite d’allumettes : « Y’ a un méchant, il veut conquérir le monde, il tue des super héros. Mais mon dieu, mon dieu, qui est-ce ??? »
Heureusement, les Watchmen, c’est plus que ça : des histoires imbriqués, des personnages fouillés, des problématiques complexes, des débats philosophiques. Incroyable mais vrai, Watchmen-le film n’esquive rien, ne simplifie rien, n’élague rien.
Ce qui rend le film un peu lourd (2h34), un peu daté, un peu ridicule parfois, mais fidèle.
Quel plus bel hommage pouvait on rendre à la BD de nos vingt ans ?
*Attention : une tautologie s’est cachée dans cette phrase