mardi 9 février 2010


Agora
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Agora, c’est la preuve – en creux – que Hollywood n’est pas cette machine implacable à broyer du scénariste.

Qui peut croire, en effet, qu’un type comme Alejandro Amenábar arrive à décrocher 73M$ pour faire un film avec le pitch suivant : « C’est l’histoire d’Hypathie, une astronome égyptienne du Vème siècle, qui cherche à prouver que la terre tourne autour du soleil. Pendant ce temps, des fanatiques religieux de la petite secte qui monte (les Chrétiens) veulent interdire les cultes païens (égyptiens, juifs, grecs), et détruire la Bibliothèque d’Alexandrie. Il me faudra des effets spéciaux, pleins de figurants, et quelques stars, ça serait pas mal… »

Qu’il ait réussi à passer entre les mailles du filet de la production : il y a quelque chose de pourri au royaume de Spielberg…

Après dix minutes où ça pique les yeux, on finit par s’habiter en se disant qu’il y a forcément une couille dans le potage, et que ça va forcément dégénérer. Mais non, au contraire, ça s’améliore ! Pas un, mais deux cours de géométrie (façon C’est pas Sorcier, sauf que Rachel Weisz est nettement plus mettable que Jamy Gourmaud), et même pas une happy end.

Il y a quand même quelques bémols ; le film est parfois un peu sec, plus absorbé par sa pédagogie que par ses personnages… Un peu Hollywoodien aussi dans sa forme (les gentils chrétiens sont joués par des acteurs US, les méchants fanatiques chrétiens par des… Arabes !)

On pourra aussi trouver le film outrageusement anti-chrétien*, et plutôt généreux avec les juifs et les romains… Mais a) la destruction de la bibliothèque par l’intégrisme religieux chrétien est une hypothèse historique et b) Amenábar est suffisamment malin pour équilibrer en permanence son propos : les chrétiens sont fanatiques, mais certains sont sympas, d’autres sincères, et en tous cas, ce fanatisme est le fruit d’une grande misère. Les nobles ont des esclaves, mais certains les traitent bien. Les romains sont prétentieux, mais ils montreront leurs failles. Il est juste dommage qu’Amenábar ne nous fasse pas aimer ses personnages…

Sinon, le film est stupéfiant d’ambition : l’exposé sur le débat géocentrisme/héliocentrisme, et surtout le message sur le fanatisme religieux qui détruit tout (la société, la science, la pensée, mais aussi l’âme même des personnages…) La religion peut apaiser les douleurs de l’âme, mais elle peut aussi les attiser. Le spectateur suit avec fascination les parcours inversés de l’étudiant devenu chrétien par ambition, et celui de l’esclave, chrétien par révolte… L’un sera puni de ses hésitations, l’autre reviendra à la forme la plus tragique qui soit de la charité…

* Au passage, un privilège que seuls les réalisateurs « chrétiens » peuvent se permettre…