A fins éducatives (évidemment), on projette le chef d’œuvre de Milos Forman aux enfants. Avec un peu d’inquiétude : vingt-cinq ans plus tard, qu’est le virevoltant anti-biopic mozartien devenu ? Il va bien, merci.
Outre que dans la forme, très classique, Amadeus n’a quasiment pas vieilli, on marche encore. Pourquoi ? Parce Milos Forman refuse la vérité, et qu’il préfère raconter des histoires. L’anti-biopic en trois points.
1/ Pour évoquer la vie de Mozart, Peter Shaffer (auteur de la pièce d’origine et scénariste) préfère… Salieri. D’abord, on sait moins de choses sur le compositeur contemporain de Wolfgang (ça permet de broder à loisir), et surtout, on peut inventer/amplifier une confrontation entre les deux…
2/ Une histoire, pas l’Histoire. Amadeus n’est pas une biographie (même si toute la vie de Mozart est retracée dans les grandes lignes), mais bien l’histoire d’un apostat : Salieri lui-même. Dévôt, chaste, le compositeur italien a donné sa vie à Dieu en échange d’un don pour la musique, et il en est remercié puisqu’il va même jusqu’à occuper la charge de compositeur de cour. Mais l’injustice guette : un libertin, pétomane, irrespectueux, égocentrique, qui n’est non seulement pas puni par Dieu, mais au contraire gratifié de tous les dons. Amadeus, c’est l’histoire d’une chute en enfer… Qui valut en toute logique, l’oscar à F. Murray Abraham.
3/ Le vrai sujet, Mozart n’est traité qu’en creux, au travers du regard que Salieri pose sur lui : s’il est chaste, c’est que Mozart est un obsédé sexuel, s’il est respectueux des puissants, c’est que Mozart ne pense qu’a sa musique… Plus Forman s’écarte de Mozart, mieux il le peint… la notion de point de vue, souvent nécessaire au cinéma, est indispensable au biopic. Pour paraphraser Machiavel : pour peindre la montagne il faut être dans la plaine, pour peindre le prince, il faut être du peuple… Et Forman fait en plus, deuxième subtilité, parcourir le chemin inverse à Wolfie. Plus le personnage avance, plus il prend en épaisseur, plus il gagne en humanité, notamment dans la fameuse scène finale de l’écriture du requiem, où il s’excuse devant son « meurtrier » de l’avoir moqué. Mozart aura sa rédemption avant de mourir, Salieri pourrira en enfer.
Et comme le pauvre jeune prêtre qui recueille les confessions de l’italien, nous n’aurons plus qu’à pleurer devant une cette double tragédie…