Quand Notre Agent au Kremlin ordonne, on obéit. Va voir Dans Ses Yeux, on y va. Va voir Une Séparation, on y va aussi. Euh…Une Séparation, le film… Iranien ? Soldat, un ordre n’est pas fait pour être discuté, et de plus, Notre Agent au Kremlin ne se trompe jamais. Mais quand même, un film iranien ! Ça fera seulement le deuxième après un Abbas Kiarostami de sinistre mémoire, Au travers des Oliviers !
Sauf que Une Séparation, ce n’est pas un film sur la-condition-de-la-femme-en-Iran, c’est un polar. Enfin, pas que, c’est un polar et un film sur la condition de la femme en Iran.
Le genre de film qui commence tout doucement, et qui ne vous lâche plus, qui vous étrangle lentement, et vous laisse pantelant, un soir d’été sur un trottoir de l’Odéon.
Une Séparation commence donc, comme son nom l’indique, par un couple qui se déchire : la femme veut partir à l’étranger, lui ne veut pas abandonner son père atteint d’Alzheimer. Elle veut divorcer, il refuse. Entre les deux, une ado qui ne sait pas à quel saint se vouer. Mais cette séparation va avoir des conséquences pratiques : qui va s’occuper du père dans la journée ? On embauche donc une femme de ménage, mais très vite, les problèmes s’accumulent avec cette femme, très pauvre, très religieuse, qui a du mal à s’occuper d’un homme. De plus, le mari n’a pas l’air très au courant des activités de sa femme.
Petit à petit, le film plonge dans le fait divers le plus glauque, mais aussi le plus ordinaire. Et joue sur une horrible – et occidentale – tentation : malgré les tchadors qui sont partout, le spectateur penche immédiatement vers le couple bourgeois (sous le voile perce quelques cheveux teints, et un jean), et l’on rejette évidemment le couple prolo ultra religieux, psycho rigide, misogyne. Comme dans Gone Baby Gone – encore un film du Panthéon commun du Professore et de Notre Agent au Kremlin – on voudrait que tout le monde s’en sorte, même au prix de quelques petits mensonges ou demi vérités, qui évidemment, vont devenir de plus en plus dévastateurs. Car, comme dirait Kubrick, la vie, ce n’est pas comme dans les films de Frank Capra.
Le génie d’Une Séparation est multiple ; c’est d’abord un très grand film, impeccablement joué, par cinq comédiens à tomber par terre. C’est ensuite un scénario simple mais fabuleusement limpide, vertigineux qui, jouant de nos réflexes de base, nous associe tour à tour au père, à la mère, à l’ado… Et nous montre l’étendue de nos compromissions quotidiennes : on est chez le Haneke de Code:Inconnu.
C’est aussi un grand film hitchcockien, avec des personnages condamnés à faire l’inverse de leurs intérêts les plus évidents… Le tout filmé avec une économie de moyens stupéfiante, dans quelques appartements, un bureau, une rue toujours filmée au plus près, pour renforcer cette sensation permanente d’enfermement.
Car Une Séparation est aussi un grand film politique. Evidemment, c’est un film sur l’Iran. En montrant, dans cette allégorie, l’absurdité d’un régime cadenassé par les obligations, religieuses, sociales, ou tout simplement économiques. Les personnages, qu’ils appartiennent à la petite bourgeoisie ou au lumpen prolétariat, sont enfermés dans toutes ces obligations, vis à vis du père, du mari, des femmes, des hommes, ou de la justice, le cul entre deux chaises : la loi ou la charia. Et cette histoire de bourgeois iraniens et de leur bonne, on pourrait tout aussi bien la transposer avec un couple parisien et leur nounou algérienne, tant il s’agit avant tout de différences sociales et non de différences culturelles… C’est là aussi le message fort du film.
Car surtout, qu’on ne se méprenne pas : si le contexte dictatorialo-iranien amplifie la dramaturgie, Une Séparation est un film universel : nos héroïnes auraient leur place dans la France paysanne des années cinquante… Et l’obsession de jurer sur la Coran ne serait que le reflet dans le miroir « la vérité, toute le vérité, so help me god » de nos récents événements franco-new-yorkais…
Ne cherchez pas le meilleur film de l’année : il s’appelle Une Séparation.