Voilà, c’est fini. (Je ne sais pas ce qui m’arrive, j’ai l’impression que Jean-Louis Aubert a pris le contrôle de mon cerveau). Mais c’est vrai, The West Wing, c’est fini, après sept années de bons et loyaux services, deux mandats Bartlet, et 155 épisodes : la Maison Blanche a occupé 108h de nos vies.
C’est la force des séries.
Un film peut vous envahir, vous suivre toute la vie, mais c’est rare. Une série est là chaque semaine, et les personnages deviennent vos amis, vos frères, vos amants. Tant et si bien qu’on reluque Dona Moss, qu’on admire CJ Cregg, et qu’on voudrait faire le même boulot que Josh Lyman, mais qu’on a du mal à citer les comédiens (Janel Moloney, Allison Janney, Bradley Whitford)…
Si A la Maison Blanche est immense succès, c’est d’abord parce qu’elle a su durer, et surtout se terminer en beauté, ce qui distingue le chef d’œuvre télé du vulgum pecus, comme nous l’avions expliqué ici.
Ce dernier épisode en est l’exemple même. Sans abuser de sa position de force : en 42 mn, comme les autres épisodes, (pas d’épisode double comme dans d’autres séries), A La Maison Blanche va tirer son bouquet final. Au menu, l’arrivée d’une nouvelle administration (un candidat a gagné, je ne vous dirais pas qui !), et le départ de l’administration Bartlet. Il y a déjà de quoi dire, dans cette transition extrêmement brutale, où l’on enlève toute trace de l’ancien président en quelques heures, et où une équipe s’installe, cartons à la main, pendant le même temps. Mais A La Maison Blanche ne perd pas son côté Cheese Burger extra large, puisqu’il y associe d’autres intrigues : l’adaptation de la famille du nouveau président (et les consignes de sécurité afférentes) et une dernière et douloureuse décision à prendre pour le Président Bartlet. Mais surtout, l’épisode joue avec la nostalgie. C’est nous aussi qui quittons l’aile ouest de la Maison Blanche, et la série, très malignement, nous repasse dans toutes les pièces, et nous représente une dernière fois les personnages, mêmes les plus insignifiants…
Un dernier épisode beau et triste à la fois, qui vient clôturer une histoire d’amour qui dure depuis sept ans, entre le public américain et cette série. Car même si les audiences ont fini par chuter, The West Wing est restée une valeur sûre auprès des CSP+, et donc un aimant à spots publicitaires.
C’est l’incroyable coup de poker tenté par Aaron Sorkin : faire une série pédagogique, haut de gamme, démocrate, à une heure de grande écoute sur une des Big Four : NBC. Et ce, en plein règne républicain, 11 septembre, War on Terror, Irak et Afghanistan. On peut même avancer que cette série fut un baume au cœur des démocrates pendant ces huit années. Une autre présidence était possible : là, à la télé ! Martin Sheen, l’homme, fut parmi les premiers à dénoncer la politique de Bush, comme s’il incarnait, dans la réalité cette fois, le Président Bartlet. Ce coup de poker, Sorkin l’a réussi en attaquant l’Amérique par son point faible : le feelgood movie.
Car ce qui peut apparaître insupportable au néophyte, dans les premiers épisodes de The West Wing, c’est en fait sa force : cette insupportable naïveté, cette beauté, tant intérieure qu’extérieure, des personnages. Dans The West Wing, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Comme par hasard, A la Maison Blanche se positionne comme l’anti-24, la série réac et républicaine de la Fox. Le Président est têtu, et colérique, mais il est juste et brillant. Ses collaborateurs sont beaux et idéalistes. Tellement travailleurs qu’ils n’ont même pas le temps de baiser leur secrétaire (ça viendra) Il n’ont pour idéal que la République et l’Amérique. Même les républicains sont des gens bien.
On pourrait sourire, nous les français sarcastiques, devant tant de patriotisme niais. Mais est-on si différent ? Le Professsore se permet d’avancer ici sa théorie fétiche sur les rapports USA-France : si l’on se déteste et l’on s’apprécie autant, c’est peut-être qu’on est pareils, non ? Car en cette période de 14 juillet, comment nier l’évidence ? Qui continue (seul pays en Europe, à notre connaissance) à faire défiler ses soldats le jour de la fête nationale ? Qui fait un drame quand une politique en conteste le bien-fondé ? Ou que trois footballeurs ne chantent pas la Marseillaise ? Qui veut exporter dans le monde entier son TGV, son paquebot France, son Rafale, son Minitel, ou sa filière hippique ? Qui est aussi fière d’elle-même, de son histoire, même la plus ténébreuse (Napoléon) ? Qui ? L’Amérique évidemment, qui croit dur comme fer en sa « Destinée Manifeste ». Il y a cent ans, nous gouvernions le monde, avec les anglais. Qui croit encore pouvoir le gouverner ? Nous, pas les anglais.
Sorkin, en jouant à la fois de la fibre patriote, et du mélo, s’est tout simplement ouvert les portes d’une des plus grandes chaînes US. Ensuite, il a braqué l’épicière et fait tout ce qu’il voulait, c’est à dire une formidable leçon de politique, de diplomatie, d’économie, étalée sur un cursus de 7 ans, en 155 leçons de 40mn.
Prix du pétrole, rôle du sénat, liens sordides avec l’Arabie Saoudite, 11 septembre, obstruction parlementaire, Israël, Minutemen, Filibustering, Projection Mercator, 5ème amendement, Cour Suprême, Primaire du New Hampshire, manipulation des journalistes… Dans chaque épisode, A la Maison Blanche abordait au moins deux de ces sujets, parfois très ardus, et les rendait simples. Une formidable leçon de télévision.
Au delà de l’ambition énorme de The West Wing, sa réussite s’explique par une maestria incroyable des codes télévisuels, maîtrisés aussi bien par le père géniteur (Aaron Sorkin), que la famille d’accueil (John Wells, devenu showrunner après le burn-out de Sorkin)
En créant ces personnages formidables (les 5 « Bartlet Men » d’origine (Leo, Josh, Toby, CJ, Sam), en sachant gérer les départs de stars (Rob Lowe, pourtant l’As de cœur de la saison 1, par Joshua Malina), en sachant faire monter ou descendre alternativement des personnages (Charlie et Zoey), A La Maison Blanche a réussi là où beaucoup ont échoué (Lost, 24…)
Mais surtout, ultime tabou, les producteurs/scénaristes de The West Wing ont osé briser le moule originel de la série, respectant en cela le rythme des institutions américaines. Puisque Bartlet ne pouvait être réélu, son personnage devait céder la place à un autre personnage principal, le candidat démocrate Matt Santos (formidable Jimmy Smits revenu d’entre les morts de NYPD Blue) et son tout nouveau conseiller, Josh Lyman. Oser propulser un des seconds rôles sur le devant de la scène, créer un nouveau personnage principal, mettre dans l’ombre (tout en les conservant à proximité) le reste du cast, voilà le chef d’œuvre de mécanique de précision qu’a réussi A la Maison Blanche*.
Aura-t-on le courage, un jour, de revoir tout The West Wing ? On ne sait.
Il le faudrait, pourtant.
*On imagine les négociations interminables avec les acteurs, si chatouilleux de leurs précieuses secondes d’apparition à l’écran.