Derrière ce mauvais titre (Meek’s Cutoff, le raccourci de Meek) se cache un très bon film, un western à mi-chemin entre le Gerry de Gus van Sant et La Conquête de l’Ouest de Henry Hathaway. Car c’est bien de cette extraordinaire aventure humaine dont il s’agit : l’envolée vers l’ouest, au milieu du XIXème siècle, de milliers d’américains au delà des rocheuses. Pour cela, les familles investissaient leur maigre fortune dans un chariot, jetaient ce qui leur restaient dedans et partait pour cette traversée de milliers de kilomètres à travers l’inconnu avec femmes et enfants.
Au début de La Dernière Piste, trois familles ont déjà fait un mauvais choix, celui de quitter la piste de l’Oregon, et une caravane de plusieurs chariots, pour suivre les conseils d’un Buffalo Bill d’opérette, Stephen Meek (Bruce Greenwood). Les voilà vite perdus, en plein territoire Nez Percé, avec une réserve d’eau qui fond à vue d’œil. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un désert, mais plutôt d’une plaine infinie, avec de maigres arbustes secs, et pas d’eau. Ceux qui sont allés là-bas, même en Buick climatisée, n’ont pu empêcher d’être étreints d’effroi devant cette immensité, guettant de l’œil la prochaine station service.
Ici, Kelly Reichardt joue à contre courant des codes du Western, rejetant le cinémascope de rigueur, pour adopter au contraire le rigoriste format carré 1:33. D’où l’impression d’être pris au piège, coincé dans cet Oregon désertique. Elle joue aussi la carte du réalisme : chariot tiré par les bœufs (plus résistants que les chevaux), les hommes marchant à côté, même les femmes enceintes (pour charger le chariot au maximum), un peu d’eau, de la farine, et une bible.
Après un début aride, dans tous les sens du terme, Meek’s Cutoff va se décoincer, par les femmes évidemment. Devant leurs hommes qui pataugent dans la semoule (kékonfé ? On passe par le Nord ? On continue à l’Ouest ? On tente le Sud ?), elles vont s’imposer dans la conversation, alors qu’on ne leur a rien demandé. Et résister au grand crétin de Meek, qui pérore sur les serpents, et les indiens qu’il a tué à mains nues…
Déroutant, puis entêtant, La Dernière Piste est une sorte de remix entre Antonioni et John Ford. Hautement recommandable donc.