J’entretiens une relation bizarre avec l’Heroic Fantasy. Ado, je ne lisais que de la SF, et n’étais que plein de mépris pour ce sous-genre : Conan le barbare, non merci ! Puis des copains de lycée, en 1981, revinrent de Paris avec des dés multicolores à huit, douze, vingt faces. Ils les lancèrent sur le trottoir, avec d’étranges imprécations : « 17 ? Tu rates mon mago, il réplique avec une fireball : 3d6 de dommages ! »
Complètement fasciné, je tentais une percée :
– C’est quoi, ça ?
– C’est Donjons et Dragons et c’est interdit aux mecs qui ont pas lu Tolkien…
Sur cette sèche admonestation, je me procurais Le Seigneur des Anneaux, et surtout aussi l’anthologie « La Citadelle Ecarlate » ; Fritz Leiber, Robert E Howard, Clark Ashton Smith.
Ce fut une révélation : il existait donc une littérature qui tenait la route sur les dragons, les elfes, et autres barbares cimmériens en short.
Mais bon.
Côté cinéma, ce n’était pas le même sourire, comme dirait le Professorino. D’abord, il y avait peu de films, et ensuite, ils étaient mauvais. Conan sortait du lot, mais ce n’était pas un chef d’œuvre, loin de là. Le Seigneur des Anneaux, version dessin animé par Ralph Bashki, était pour sa part le chef d’œuvre maudit. Interdit par la famille Tolkien, pour irrespect de l’œuvre, il n’existait qu’à moitié.
De plus en plus rôliste, je devins paradoxalement de moins en moins lecteur du genre. Comme si le jeu de rôle absorbait toutes les ressources possibles de mon imagination en la matière. Le jeu de rôle, comme chacun sait, c’est l’héroïne du monde des loisirs, la lecture n’étant à côté qu’un amusant passe-temps pour fumeur de cannabis. Quand on joue dans ces univers d’Heroic Fantasy, pourquoi perdre son temps à en lire ? Surtout que c’est souvent bourré de clichés : princesses elfes diaphanes, épée perdue+brisée+ reforgée, et orcs en maraude dans les Montagnes Grises. Bref, du sous-Tolkien, de surcroît, très mal écrit.
Puis vint Le Trône de Fer. J’offris le livre à mon ami Philippe , car dès les premières pages, il était patent que Game of Thrones, c’était le dessus du panier ; bien écrit, formidablement traduit, ambitieux dans les thèmes, les situations. On était dans de la low fantasy, c’est à dire un monde où la magie est peu présente, où il n’y a pas des magiciens et des dragons à chaque coin de rue.
Ce fut une révélation pour lui ; il le lut, le relut, et le fit lire à toute notre Ligue de Donjonneurs Extraordinaires. Je le lus aussi et reconnu bien volontiers les qualités du livre, mais ça me m’incita pas pour autant à lire les 12 autres volumes (série en cours).
C’était fini. Je ne lirais plus d’Heroic Fantasy.
Mais quand vint le projet de série, via l’extraordinaire HBO, mon sang ne fit qu’un tour. Perdre des journées à lire l’interminable saga de George R Martin, non, mais perdre quelque soirées pour la regarder à la télé, oui.
C’est chose faite. Le Trône de Fer passe sur Orange Cinéchoc, et j’ai commencé à regarder, et je ne suis pas déçu. La série fait preuve de tant de qualités, scénaristiques, décoratives, et de mise en scène, que c’en est un miracle en soi. Certes, le Seigneur des Anneaux a permis ce miracle, en démontrant que la Nation Geek, désormais quadragénaire, détenait les cordons de la bourse, et était donc arrivée au pouvoir, mais là, le Trône de Fer est carrément au dessus. Les Rois Maudits + Le Seigneur Des Anneaux, en 10 épisodes, ça ne se rate pas !
De quoi parle donc le Trône de Fer ? Sur une Angleterre médiévale de fantasy, des familles se battent pour le pouvoir suprême : le trône de fer. Les Lannister, les Greyjoy, les Stark, s’assassinent à tout va pour s’emparer du trône. Pour le moment, c’est Robert Baratheon qui règne, mais les dagues s’affûtent dans la nuit. Et un danger guette : l’hiver arrive. Car dans ce monde, les saisons peuvent durer des années, et menacer de famine des territoires entiers. Pire, les sauvageons, et les Marcheurs Blancs, créatures terrifiantes qui vivent au-delà du Mur, gigantesque forteresse de glace façon Mur d’Hadrien, menacent d’envahir le sud.
Pour tout dire, on pense à Dune : intrigues de hauts niveaux, princes fins politiques, enjeux de pouvoir, menaces dans la nuit, etc.
La gageure réussie par HBO, c’est de respecter cette ambition alors que d’autres se seraient contentés de combats de chevaliers, de dragons en images de synthèse, et de jeunes filles en short rouge.
Vous qui n’êtes pas client, jetez au moins un regard sur le pilote du Trône. Peut être que l’Heroic Fantasy, finalement, c’est fait pour vous ?