Un jour, on parlera de la Décennie Simon : The Corner, Sur Écoute, Generation Kill, Treme. Un portrait en coupe, balzacien, de l’ère Bush. C’est la puissance des séries sur le cinéma : leur ampleur (à vue de nez, une centaine d’heures de fiction sur la période 2000-2010). En clair, se donner le temps d’aborder la drogue, la police, l’éducation, la politique, l’économie, la crise, Katerina, la Guerre en Irak… ce qu’aucun film ne peut réussir en un, ou même dix films.
La Guerre en Irak est l’objet de Generation Kill, une mini-série en 7 épisodes. Une compagnie de reconnaissance des Marines, va participer à la grande œuvre militaire de George Bush Jr, la destruction massive des armes de destruction massive. Ça commence comme Full Metal Jacket (mystique, esprit de corps, dialogues orduriers façons Lee Ermey…), mais ça n’y ressemble pas du tout.
D’abord parce qu’il y a peu de combats. Même en pointe de l’offensive sur Bagdad, le First Reconnaissance Battalion rencontre une très faible opposition. Ensuite parce qu’à l’instar des autres œuvres de David Simon et Ed Burns, Generation Kill est une œuvre chorale, avec une trentaine de personnages, qu’on a, au début du moins, du mal à identifier. Du sergent taiseux, au lieutenant idéaliste, de Captain America l’officier pistonné, à Ray le conducteur fan de country, de Godfather le général ambigu, à Evan le journaliste embedded*, tout le monde finit par se ressembler. Mais c’est la technique Sur Écoute, déstabilisant au début, mais on s’y fait. On s’attache, au contraire, à ces hommes qui n’ont pourtant rien d’idéalisé : racistes, homophobes, paumés, ils sont le soldat de base, le grunt, perdu en Irak pour de mauvaises raisons (décrocher la nationalité américaine, par exemple, ou oublier les soucis du pays natal…)
Cet étalage de caractères finit par tourner à la comédie : personne n’est tué, et les péripéties s’enchaînent. C’est à ce moment précis, au milieu de la série, que Generation Kill vous prend à la gorge. Car si les Marines ne meurent pas, les irakiens si. Victimes des bombardements très lourds, opérés sans le moindre discernement, victimes de l’arbitraire des décisions, ou des hasards de la guerre, les civils meurent les uns après les autres** devant les yeux décillés de nos antihéros. Qui réagissent chacun à leur manière : passivité, fatalisme, fascination, indignation.
C’est à ce moment que Generation Kill bascule dans l’exceptionnel, parce qu’il sort de tous les chemins balisés du film de guerre : pas d’exploit héroïques, pas de gloire acquise dans la douleur, pas d’explication finale du sens de la vie, pas de rédemption. Juste des problèmes de logistiques, d’huile et graissage qui manque, et de ferme bombardée avec femmes et enfants…
Autre innovation, Generation Kill filme, au plus près des visages, mais sans chichi et sans pathos, l’effet de la guerre sur ces garçons de vingt ans qui partent, fleur au fusil, et chansons rap dans la tête, et prennent en pleine figure la réalité de la guerre. Comme l’explique Maurice Genevoix « La guerre est une expérience incommunicable, car si elle l’était, il n’y aurait plus jamais de guerre. » C’est probablement pourquoi Generation Kill n’a pas de générique, ou de musique** : il n’y a pas à guider le spectateur dans ce qu’il va voir et chacun se fera sa propre opinion.
*Generation Kill est basé sur le livre d’Evan Wright, journaliste à Rolling Stone.
** 4800 morts côté coalition, 165 000 morts irakiens
***Juste une seule, magnifique, à la fin du dernier épisode : The Man Comes Around, de Johnny Cash. Pourtant, le Caporal Colbert avait prévenu : No country !
« Hear the trumpets, hear the pipers.
One hundred million angels singin’.
Multitudes are marching to the big kettle drum.
Voices callin’, voices cryin’.
Some are born an’ some are dyin’.
It’s Alpha’s and Omega’s Kingdom come. »