Avec le temps, une GCA multi-oscarisée devient un film d’auteur. On se gargarise aujourd’hui avec David Lean, mais ses films étaient des superproductions Hollywoodiennes, les vrais auteurs de l’époque (Welles entre autres) essayaient d’imposer des films autrement plus difficiles.
Mais Le Pont de la Rivière Kwai, c’est justement l’exemple de la GCA qui a bien tourné, comme d’autres films le feront un jour, ceux de Spielberg par exemple.
Le revisionnage de cette madeleine familiale le confirme (Le Pont de la Rivière Kwai fait partie de la petite dizaine de films que j’ai pu voir en salle avant d’avoir 15 ans)
Ça commence comme une GCA, un film où l’héroïsme a le beau rôle, et le héros semble s’appeler Alec Guiness. Le colonel Nicholson, en effet, résiste au méchant colonel japonais Saïto, qui le détient prisonnier dans un camp de Birmanie. Saïto tue ses prisonniers à petit feu en leur imposant la construction d’une voie de chemin de fer, et d’un pont sur la rivière Kwai. Mais Nicholson (Guiness) ne fléchit pas : les officiers ne doivent pas travailler, la Convention de Genève l’exige.
En contrepoint, Shears, un capitaine de frégate américain, réussit à s’évader. Il manque de mourir mais finit par être recueilli par l’armée anglaise. Une fois sur pied, on lui demande de retourner sur la rivière Kwai, pour détruire le pont. Mais Shears est un lâche, il fait tout pour se soustraire à cette tâche, et pourtant, paradoxalement, devient le héros du Pont de la Rivière Kwai. Car entre temps, le colonel Nicholson a gagné, et pété les plombs. Non content d’avoir soustrait ses officiers au travail forcé, il veut donner une leçon à Saïto, sur la supériorité occidentale : il va bâtir le pont, et le bâtir bien. Malgré l’opposition de son médecin-chef, qui tente de lui faire prendre conscience du risque de collaboration avec l’ennemi.
C’est là le génie du film de David Lean. Il réussit quelque chose de rare ; nous faire changer de point de vue au milieu du film. Tandis que Shears apparaît de plus en plus héroïque, Nicholson incarne l’absurdité de la guerre, et également, l’absurdité anglaise. Car évidemment, comme dans toute bonne GCA, les « méchants » sont anglais, et les « gentils » sont américains (Shears), écossais (le medecin-chef) ou canadiens (le jeune commando héroïque). Une vérification supplémentaire du brit-bashing en vigueur à Hollywood.
La scène de fin est de toute beauté, vingt minutes de silence absolu pendant le sabotage du pont, une technique osée mais qui nous met dans l’eau, avec les commandos. Et un final ambigu, qui laisse la part belle à l’interprétation : rédemption du colonel Nicholson ou simple hasard ? En tout cas le pont saute et tout le monde meurt.
« Madness ! Madness! » Le film s’achève comme il avait commencé, par un oiseau, et des morts.