Un détour subit au Camp Nou pour voir le génie de ce temps, Leo Messi*, planter deux buts en 15mn au Betis-Séville et en inspirer un troisième, nous a provisoirement éloigné de la ville natale et c’est avec regret et nostalgie que nous apprenons le décès de Ray Harryhausen.
Ce blog étant infesté par la nostalgie, on commencera par là : mon seul vrai souvenir de Ray Harryhausen, c’est Jason et les Argonautes, extraordinaire moment que nous devons, comme tant d’autres, à Eddy Mitchell. Pour le reste, on se reportera aux nécros : inventeur de la Dynamotion (un bouzin qui permettait d’inclure dinosaures en plastiques animés image par image à des scènes réelles), et source d’inspiration majeure des wonderboys seventies : Lucas, Spielberg, Cameron, Burton, Raimi (et son incroyable de bataille de squelettes dans Evil Dead 3).
Avant la 3D, les gens sortaient des cinémas en s’extasiant sur les effets spéciaux, de L’Entrée du Train en Gare de La Ciotat à Star Wars : mais putain, comment font-ils ça ?? Le cinéma était un tour de passe-passe, ce que le spectacle a toujours été : faire croire, l’espace d’un instant, à quelque chose alors qu’on ne fait que symboliser. Une colonne dorique sur la scène de la Comédie Française, et nous voila en Grèce avec Iphigénie.
L’imagerie 3D a été un extraordinaire bond en avant de ce vieux tour de prestidigitation ; mais il a tué une partie de la magie du cinéma.
Aujourd’hui on n’est – forcément – ébahis par rien. L’autre jour, je discutais de la dernière publicité d’une grande entreprise de loisirs spécialisée dans les courses hippiques. On y voit un type tomber du ciel sur une jetée de bois, qu’il fracasse en atterrissant. La scène n’a rien de spécial, jusqu’à ce que mon interlocuteur m’explique qu’elle est réalisée sans trucage : la cascadeur se laisse tomber de trois mètres, et explose une fausse jetée en balsa. Pas d’image numérique. Pas de retouche. Juste un type qui saute de trois mètres. J’étais abasourdi.
Ray Harryhausen ne disait rien d’autre en 2006 : « Il y a quelque chose d’étrange dans l’image-par-image, comme dans King Kong, par exemple, qui ajoute au fantastique. Si vous faites des choses trop réalistes, cela devient un peu commun »
* A quand le biopic, avec Robert de Niro (époque Taxi Driver) dans le rôle ?
Tout est dans le titre : le Professore ne s’est pas donné la peine de feuilleter ce petit livre paru chez Nouveau monde Poche, il l’a acheté les yeux fermés*. Grand amateur de films sur la mafia, lecteur assidu de James Ellroy**, il lui était impossible de faire l’impasse sur ce petit livre.
Petit, car pas forcement bien écrit, ni sérieusement documenté comme le sont habituellement les essais américains. Mais facile à lire, et passionnant de bout en bout.
Tim Adler adopte une structure chronologique qui permet de décrire la fascination réciproque – et grandissante – entre ces deux institutions typiquement américaines : Hollywood imitant la Mafia, et la Mafia parodiant Hollywood en retour.
Des années 20 à aujourd’hui, on suit cet étrange va et vient, tant financier qu’esthétique. Dès le départ, Hollywood est un racket intéressant pour l’Outfit (l’entreprise, un des nombreux surnoms de la Mafia) : la mafia de Chicago infiltre (ou crée de toutes pièces) des syndicats de projectionnistes, puis dicte sa loi aux exploitants : deux personnes par cinéma, sinon on brûle des pellicules, on diffuse les films à l’envers, on coupe avant la fin… Ceci fait, on braque le pistolet dans l’autre sens : pour faire partie de ce si bon syndicat, il faut payer son écot, et voilà les projectionnistes rackettés également. Sans parler de la prohibition, où seule la mafia est en mesure de fournir l’alcool des fêtes orgiaques organisées à Hollywood. La Mafia décide donc de s’installer sur la cote ouest, et de se lancer dans la prostitution, l’alcool, le jeu, et la drogue…
Ces « exploits » inspirent la Babylone moderne, qui propose immédiatement des adaptation filmiques de ces hauts faits : Scarface (1932), évidemment inspiré de la saga Capone, mais aussi Little Caesar (1931). Le succès de ces films est si important, et irrigue tellement la culture américaine (« The World is Yours« ), qu’elle finit par influencer les gangsters eux-mêmes, qui copient fringues, répliques, et façon de tenir un revolver. Un phénomène que l’on retrouvera quarante ans plus tard : Mario Puzo, l’auteur du Parrain, imposera ce terme, qui n’existe pas dans la Mafia.
On navigue ainsi d’Al Capone aux Incorruptibles, de Sinatra à Johhny Fontane (son alter ego dans le film de Coppola), de Bugsy Siegel à Bugsy, le film de Warren Beatty, de Joseph Kennedy à JFK, des Affranchis à Casino, de Kim Novak (menacée parce qu’elle couche avec Sammy Davis Jr) à Marilyn Monroe (menacée parce qu’elle couche avec les frères Kennedy), de Robert Evans, producteur du Parrain, à Robert Evans, accusé de meurtre et de trafic de drogue***, des Sopranos, aux acteurs des Sopranos (Lili Brancato, en prison pour un vrai meurtre).
Le livre navigue ainsi de décennie en décennie, d’allers en retours, jusqu’au Mafia Blues des années quatre vingt-dix, amplement décrit dans les Sopranos. Tim Adler dresse le tableau épique, qui embrasse tout le vingtième siècle, de ce que Brando, à la sortie du Parrain, voyait comme une métaphore de l’Amérique. Ou comme le chantait U2 à la fin du Gangs of New York de Scorcese : the hands that build America.
* Il aurait du mieux les ouvrir : c’est assez mal traduit
**Presque toutes les personnalités du livre défilent comme personnage chez Ellroy (Meyer Lansky, Sam Giancana, Mickey Cohen…)
*** Comme c’est formidablement raconté dans son autobiographie : The Kid Stays in The Picture.
La Mafia à Hollywood
Tim Adler
Nouveau monde Poche