Une fois qu’on a dit le superficiel, c’est à dire que le film de Mohamed Diab, n’est pas très bien joué, cadré à l’arrache et volontiers outrancier, on a les yeux ouverts pour voir ses qualités. Un BOATS émouvant, décillant façon Farhadi, et d’une certaine manière prémonitoire sur les événements égyptiens.
Le pitch : trois destins qui se croisent, façon Amours Chiennes, autour d’une place, au Caire : une petite fonctionnaire pauvre sort du bus où elle s’est faite peloter comme d’habitude ; elle manque de se faire écraser par un riche chirurgien dont la femme a été agressée par des hooligans lors d’un match de foot. La scène est observée du balcon par une troisième jeune femme, et son fiancé, tous deux artistes de stand-up et couple au bord de la crise de nerfs.
Au-delà de la coïncidence, le destin va réunir ces trois femmes, harcelées différemment par les hommes, mais un harcèlement qui participe du même machisme égyptien, mélange de terrible frustration sexuello-economique et d’interdits religieux. Le grand mérite de ces Femmes du Bus 678 est bien de démontrer le piège dans lequel l’Egypte (et monde arabe) s’est empêtré : après la modernisation des années 60, l’Egypte, l’Iran, la Tunisie, étaient devenus des parangons de modernisme. Jusque dans les années 80, on croisait beaucoup de femmes à l’occidentale, maquillé et en tailleur. Mais l’évolution des mentalités ne s’est pas accompagnée par une démocratisation du régime ; c’était des dictatures pro-féministe, si l’on peut dire : Nasser, Sadate, le Shah d’Iran, Ben Ali, vendait cette image à l’Occident en échange d’une tyrannie intérieure sans limite. Une autocratie corrompue, qui n’aboutissait qu’à renforcer les inégalités et creuser le gouffre entre les pauvres et les puissants. Ce qui est parfaitement analysé chez Farhadi : la révolution iranienne, si décriée en Occident, a aussi mis en place un système républicain, avec des partis, des élections, et la création d’une véritable classe moyenne, qui est la protagoniste principale de l’œuvre farhadienne. Ce que montre Farhadi, c’est que la révolution iranienne n’a pas tout réglé ; qu’il y a encore beaucoup d’injustice et de corruption, et des grands malaises économiques…
Dans Les Femmes du Bus 678, on insiste aussi sur les difficultés financières : à plusieurs reprises, Mohamed Diab montre que les frustrations sexuelles ne sont pas que le seul produit d’une « culture islamique » mais aussi du fait qu’il est très coûteux de se marier et donc d’avoir des relations sexuelles. Et comme l’interdit religieux pèse très fort sur l’adultère ou les relations hors mariage, le cercle vicieux est en place : il ne reste que le viol, ou les « filles faciles » – donnée très vaste si l’on en croit les mâles cairotes de bus 678 – pour assouvir sa sexualité.
C’est ce qui intéresse ici Diab : les trois classes qui sont représentées subissent chacune à leur manière la frustration économique ou sexuelle ; la pauvre fonctionnaire ne s’en sort pas et donc se ruine en taxi pour ne pas se faire harceler dans les bus bondés, la jeune stand-upeuse sexy et moderne qui rêve d’un meilleur destin que téléopératrice ou employé de banque, mais qui doit se plier au diktats familiaux si elle veut se marier, et la bourgeoise désœuvrée qui n’échappe pas à la violence du peuple, et aux interdits moraux de son chirurgien de mari, un intellectuel englué dans cette culture machiste.
Celle qui lancera la révolution, comme d’habitude, c’est évidemment la prolétaire, les autres recherchant les voix plus tranquilles de la Justice ou de l’émission de télé.
On fera donc grâce du manque de subtilité de ces Femmes du Bus 678, et on acceptera le film pour ce qu’il est : une belle parabole. A la fin, les femmes gagnent, et le harcèlement devient un délit en Egypte. Mais, comme conclut le film, peu de plaintes sont enregistrées…