samedi 8 mars 2014


L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

C’est l’histoire d’un film maudit, un film que vous ne verrez jamais : L’Enfer, d’Henri-Georges Clouzot, l’un des plus grands – si ce n’est le plus grand – réalisateur français : L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques

En 1963, Henri-Georges Clouzot sort d’une grave dépression personnelle et il a ce sujet, l’histoire d’un homme qui reprend un hôtel au Viaduc de Garabit et devient jaloux de sa femme, jaloux jusqu’à la folie. Cette femme, c’est tout simplement Romy Schneider, splendide du haut de ses vingt-six ans.

Comment filmer la jalousie ? C’est ce qui préoccupe Clouzot. Il retient l’idée de filmer la réalité en noir et blanc, et les hallucinations en couleur… Va commencer alors un tournage délirant qui va mener le film à sa perte. D’autant plus que Clouzot est alors un cinéaste A-List : à telle enseigne que la Columbia, émerveillée devant ces premiers essais hallucinatoires, lui ouvre une ligne de crédit illimitée pour réaliser son film. Erreur dramatique : Clouzot va se lancer dans des recherches interminables, mais sublimes.

C’est l’objet de ce merveilleux documentaire, L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, signé Serge Bromberg. Ces bobines sublimes nous montrent à la fois l’étendue du talent de Clouzot et ce que le film aurait pu être. Un film onirique, lynchéen, d’une perfection graphique et musicale sublime, à base d’effets de couleur, d’éclairages tournants, de musique électro-acoustique et dégageant un érotisme incroyable. Clouzot a tout simplement trois ans d’avance avant que la vague psyché ne déferle sur Londres avec les light show du Pink Floyd.

Une fois cette phase de recherches terminée, Clouzot se lance dans le tournage à proprement parler. Et c’est là, ivre d’argent et de pouvoir, qu’il va échouer. Comme Coppola pour son Apocalypse Now, Clouzot a « trop d’argent, trop de monde » et pas assez de temps : il tourne au lac artificiel de Garabit, qui doit bientôt être vidé. Clouzot a trois semaines de tournage ce qui est largement suffisant, sauf qu’il décide de multiplier les prises, les caméras, les équipes, tout en voulant tout contrôler : le cadre, la lumière, la mise en place.

Evidemment, qui trop embrasse mal étreint. Les équipes attendent Monsieur Clouzot, puisqu’il va vouloir tout refaire, et le plan de travail n’avance pas. Le réalisateur du Salaire de la Peur harcèle ses jeunes assistants, démotive ses grognards, et pousse au burn out son acteur principal, Serge Reggiani qui rend son tablier, même sous la menace d’un procès.

Clouzot n’a pas le temps de trouver un remplaçant, terrassé lui-même par une crise cardiaque en filmant (sic !) une scène lesbienne entre Romy Schneider et Danny Carrel.

Il n’y aura jamais d’Enfer. Claude Chabrol en tirera un remake en 1994, avec François Cluzet et Emmanuelle Béart.

Clouzot fera encore un film (La Prisonnière) mais ne retrouvera jamais le niveau, et mourra 13 ans plus tard, à 70 ans.

Reste ces bobines magiques, exhumées dans ce magnifique documentaire. A ne pas rater.