mardi 13 mai 2014


H.R. Giger
posté par Professor Ludovico dans [ Les gens ]

Il y a des nouvelles qui vous touchent plus que d’autres. Comme disait Desproges, « quand Tino Rossi est mort, j’ai repris deux fois des nouilles ». Mais là, c’est Giger qui est mort, et le Professore en est tout retourné. Pourtant, le plasticien suisse n’est l’auteur que d’une seule « œuvre », le monstre d’Alien, qui popularisa son œuvre biomécanique, jusque-là inconnue du grand public.

Mais comme Georges Perec, je me souviens. Je me souviens que Giger devait travailler sur les Harkonnen du Dune de Jodorowsky. Le projet ne se faisant pas, son travail fut recyclé (comme celui des autres (Chris Foss, Moebius) sur la production du nouveau film de Dan O’Bannon : Alien.

Je me souviens du choc que fut Alien, quand la première fois, au cinéma de Villers-sur-Mer, un beau soir de l’été 1979, je vis la Bête, magnifié par le clair-obscur de Ridley Scott. Car si Giger fut le Michel Ange d’Alien, Ridley Scott en fut le De Vinci. Avec l’intuition géniale de filmer le moins possible cet ange exterminateur, et nous faire découvrir, ici une mâchoire, ici une queue, ici un crâne luisant…

Pour la première fois, ce tandem Giger-Scott concrétisait à l’écran nos rêves les plus fous. Nous les geeks, nous les damnés de la terre, nous les losers qui n’aimions pas le foot, nous les lecteurs de science-fiction – la vraie, pas celle de Star Wars mais celle de Frank Herbert, pas celle de Cosmos 1999, mais celle de Philip K. Dick, pas celle de E.T., mais celle de Lovecraft, tenions enfin notre revanche. Quelqu’un pensait comme nous, connaissait le secret des espaces intersidéraux : Quand l’humanité rencontrerait un extraterrestre, il ne ressemblerait pas à quelque minable contrebandier en plastique de la Cantina de Tatooine, ni à un idiot à bicyclette cherchant à téléphoner à sa maison. Non il ressemblerait à Alien ; cette majestueuse créature nietzschéenne, sans morale, qui n’aurait pas la moindre considération pour l’humanité ni, pour citer Lovecraft « l’effroyable position que nous occupons [dans l’univers], sur cette île placide d’ignorance, environnée de noirs océans d’infinitude… »

Bien sûr, je me souviens du reste, une expo Giger à Montmartre dans les années 90, la pochette de l’album de Debbie Harry, les couvertures de Métal Hurlant. Mais tout ça n’est qu’un détail dans l’œuvre de Giger, pourtant nombreuse (des meubles, des tableaux, des statues…)

Non, de Giger, il ne restera que ça. Une créature immortelle, ancrée dans l’inconscient populaire, et flottant pour toujours dans l’éther glacé et infini.




mardi 13 mai 2014


Night Moves
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Devant l’indigence du cinéma américain actuel, qui ne laisse guère de choix entre épopées super héroïques en collants (le cinquième Spiderman, le dixième Avengers) et biopics dégoulinants façon Yves Saint Laurent/Grace de Monaco, il ne reste plus qu’à dénicher des petits bijoux indépendants si l’on veut voir un film. Un film, c’est à dire une histoire, des personnages, un propos. A l’évidence, des trucs, des machins, des choses que le marketing des studios et des distributeurs n’arrivent pas à positionner et qui n’ont pas vocation à rester dans une salle de cinéma plus de deux ou trois semaines. Il faut donc les repérer, puis trouver le temps pour les voir.

Pour Night Moves, c’est plus facile : en 2011, Kelly Reichardt nous avait livré un petit bijou, Meek’s Cutoff, La Dernière Piste, une épopée western – façon Antonioni – d’une famille traversant l’Ouest américain sur la Piste de l’Oregon. Et qui s’y perdait.

Nous voici à nouveau dans l’Oregon, mais aujourd’hui, dans cette Amérique de tous les contrastes. Une Amérique du meilleur et du pire, où la consommation est élevée à la hauteur d’un art absurde, mais aussi où celle-ci est la plus violemment combattue.

Il y a quelques années, lors d’un voyage d’études au pays de la libre entreprise, j’étais parti me baigner dans un lac. Un petit lac du Montana, entouré de villas « pieds dans l’eau ». On était mercredi, c’était le matin, il faisait beau. On était seuls au milieu de cette nature majestueuse. Tout d’un coup, le bruit d’un hors-bord pétaradant vint gâcher cette vision bucolique. Ce type n’allait nulle part. Le lac était trop petit. Il promenait seulement son hors-bord, de long en large, gâchant le silence.

Mais je me fis immédiatement la réflexion suivante « Comment renoncer à cela ? » Dans ce pays où tout est possible, où la nature est si vaste, si vierge, où la technologie rend tout possible, comment renoncer à tout le confort que l’Amérique procure, même le plus inutile ?

Pourtant, l’Amérique est sûrement le pays où la prise de conscience est la plus forte. Si Kelly Reichardt situe son action en Oregon – et notamment à Eugene – ce n’est pas un hasard. C’est l’une des villes les plus en pointe sur les préoccupations écologiques, le recyclage, l’agriculture bio.

Et donc de poser cette question en creux, via le dilemme de son héros. Josh (Jesse Eisenberg) est employé dans une ferme biologique, mais il veut aller plus loin pour protéger dame nature. Détruire un barrage. Pour cela il va acheter un hors-bord (tiens, tiens !), est aidé par une gosse de riche millénariste (Dakota Fanning) et un ancien Marine (Peter Sarsgaard). Si la terre n’a plus d’eau potable en 2048, qu’est-ce qu’on a à perdre ?

Cette première partie est en demi-teinte. On a du mal à cerner les personnages, et la description des milieux écologistes est assez ratée, gentiment caricaturale et en plus mal jouée. Les motivations de ces éco-terroristes n’est pas très claire…

Mais la deuxième partie du film se révèle bien plus intéressante. Après avoir décrit l’attentat comme un polar, Kelly Reichardt s’attache enfin à ses personnages et leur donne de la chair et du sang. Et de la culpabilité. Car malgré les grands principes, chaque acte porte sa part de responsabilité, et celle-ci peut-être écrasante. On se retrouve alors face à face avec si même, malgré l’engagement collectif. C’est la partie la plus intéressante de Night Moves, qui admet enfin avoir un personnage principal, en la personne de Josh.

L’acteur des Berkman se Séparent, et de Social Network, porte sur ses seules épaules toute ambiguïté du film, de ses personnages, et de la morale pas très claire du mouvement écologiste. Jesse Eisenberg fait enfin montre de son talent, un talent qui ne demande plus d’ailleurs qu’à briller sous d’autres cieux (pas geek, pas bougon, pas coincé…)

Quant à madame Reichardt, on continuera de surveiller ce qu’elle fait.