dimanche 31 août 2014
The Gospel According to Saint Alfred#8 : Save the long shot!
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
On dit en anglais qu’un plan large sert à établir (establish) une scène. C’est à comprendre dans le sens charpentier du terme. Un plan large de New York: on est à New York. Un plan d’un immeuble de nuit à New York, on est dans l’appartement des Friends. Mais pour Hitch, le plan large est là pour dramatiser. En élargissant la perspective, le plus souvent en la soulignant d’une musique un tant soit peu inquiétante, vous dramatisez, explique-t-il à Francois Truffaut. Et faut pas gâcher, ajouterait notre Guy Roux anglais du cinéma.
Prenez les films d’action par exemple. Première scène de Pacific Rim (c’est tout ce que j’ai vu) : après la grosse baston entre le kaiju et le jaeger, le dernier plan est un travelling qui part d’un gros plan sur un détail (la tête en sang d’un pilote de jaeger, en s’écartant doucement, puis en montant de plus en plus vite, pour aboutir à un plan large sur les deux carcasses qui enfin, nous donne la taille (gigantesque) des deux bestioles qui viennent de s’affronter, le tout sur une bonne musique pompière signée Ramin Djawadi. Vue d’ensemble sur le champ de bataille, et sentiment de désolation.
Dans le film d’horreur, c’est pareil. Quand tout danger semble écarté au milieu, ou à la fin du film, un plan large d’une petite rue résidentielle fait soudain craindre que Ghostface/Freddy/Jason rôde encore dans les parages. C’est d’ailleurs le dernier plan du Silence des Agneaux : Hannibal Lecter marchant à la suite de sa future victime, dans les rues d’une île des caraïbes.
D’ailleurs, film d’horreur ou pas, la grande majorité des films américains se termine ainsi : plan large d’une rue, la caméra s’élevant tandis que le générique débute.
Façon de dramatiser une dernière fois, et de laisser le spectateur dans l’émotion générale du film, que ce soit la peur, le mélo, ou l’action.
Comme tout plan élaboré dont on espère qu’il va marquer le spectateur, il faut en user avec parcimonie (n’est-ce pas monsieur Jeunet ?)
Sinon, c’est gâcher.
samedi 30 août 2014
Halt and Catch Fire
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est l’heure du bilan pour Halt and Catch Fire. La série qui vise à remplacer Mad Men sur AMC a-t-elle réussi son départ ? Il semblerait que non, puisque AMC « réfléchit » à une seconde saison. Pourtant cette série ne manque pas d’intérêt. D’abord son sujet, l’éclosion de l’informatique personnelle dans au début des années 80. Et en particulier, l’arrivée des clones d’IBM PC qui va révolutionner l’industrie informatique (et nos vies, puisque vous êtes en train de lire cette chronique sur le petit-fils de ces machines). C’est le talent d’AMC, que de mettre en scène un sujet apparemment ridicule (la publicité) et d’en tirer une saga d’époque, profonde et riche.
La volonté ici est évidente : un Mad Men des années 80, la pub remplacée par l’informatique, les Directeurs Artistiques par des geeks, et Joe MacMillan en Dan Draper tout aussi mystérieux, mais écrit par Bret Easton Ellis… Et si l’argument est faible (une success story in the making), Halt and Catch Fire va s’attacher à en tirer une intrigue convenable sur la difficile mais nécessaire coopération entre les visionnaires du marketing et le cerveau des ingénieurs.
Mais ce qui les intéresse les créateurs de la série (Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers, qui n’ont même pas une page Wikipedia, les pauvres), ce sont les personnages. Quelle motivation pousse trois personnes à affronter IBM ? Un ingénieur, qui a raté son premier PC et failli ruiner sa famille ? C’est le formidable Scoot McNairy (Monsters, Killing them Softly, 12 Years a Slave et Gone Girl, le prochain Fincher) qui l’interprète. Un beau ténébreux visionnaire et passionné, au passé trouble (Lee Pace, Lincoln, The Hobbit 2) ? Ou encore la femme du premier (formidable Kerry Bishé) ou la maitresse du second (Mackenzie Davis, excellente mais peu crédible en punkette-codeuse) ?
En tout cas, ce sont les personnages et leurs acteurs qui sont la grande réussite de Halt and Catch Fire. Il reste néanmoins qu’il manque un petit plus, qu’on aurait du mal à expliquer. Aux dernières nouvelles, AMC aurait signé pour une deuxième saison malgré des résultats faibles (500 000 spectateurs par épisode).
La saison 1 se suffit de toute façon à elle-même car elle a l’intelligence de fournir à la fois un cliffhanger pour une éventuelle saison 2 et une fin acceptable si jamais la série s’arrêtait. C’est-à-dire aucun regret à ceux qui auront le courage de regarder tout.
PS Le pilote (qui définit, comme chacun sait, l’esthétique d’une série pour toujours) est signé Juan José Campanella, l’immortel auteur de Dans Ses Yeux. Ceci expliquant cela : Halt and Catch Fire est aussi formidablement filmé dans une esthétique eighties, que l’était Mad Men dans ses sixties resplendissantes.
samedi 30 août 2014
Pop Rédemption sur Canal
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Séquence copinage bis : la comédie métalo-liverpudienne passe sur Canal+. Retrouvez nos Dead MaKabés (menés par Julien Doré, excellent) sur la route du Hellfest, contraints de reprendre des chansons des Beatles à la Fête de la Fraise à Saint-Peperac, alors qu’ils sont poursuivis par le meilleur de la Police Française (Alexandre Astier), et de la Gendarmerie Nationale (Audrey Fleurot)…
mercredi 27 août 2014
Le Rôle de ma Vie
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Dans une scène de Scrubs, J.D., tout content d’avoir sauvé un patient, se met à chanter à tue-tête 99 Luftballons, tout en shootant dans des ballons multicolores subitement apparus dans la chambre d’hôpital. Depuis ce jour, on est tombé amoureux de Zach Braff, son petit sourire en coin, et ses angoisses qui pourraient être les nôtres. On a vu Garden State, son très bon premier film, et on se rue donc sur Le Rôle de Ma Vie.
Zach Braff s’est donné un premier rôle à son image, celle d’un petit gars sympa, mais taraudé par le doute. Aidan est un acteur raté qui, la quarantaine approchant, écume les castings. Son épouse Sarah (Kate Hudson) tient la baraque tandis que son père (Mandy Patinkin) paye l’école religieuse pour ses enfants. En effet, Aidan est loin d’être juif orthodoxe, au grand désespoir du père.
Mais justement, le père arrête de payer. Pour une bonne raison : son cancer a repris et il a décidé de mettre toutes ses économies dans un traitement expérimental. C’est là que le film devient intéressant. A rebours d’une tendance lacrymale convenue, le film va s’attacher à faire le procès du père plutôt que celui du fils. Car le père a beau être malade, il est odieux, et l’on comprend que ce manque de tendresse n’est pas pour rien dans l’échec d’Aidan et de son frère Noah (Josh Gad), geek célibataire sans emploi.
Certes, les frangins Bloom sont à la ramasse depuis bien longtemps, mais pour que les fils changent, encore faut-il que peu que les pères soient là. La rédemption du père (et la prise de conscience des fils) sera donc la voie du salut.
On a vu des mélos plus cliché. Le film est une délicate surprise de la fin de l’été, en tout cas pour ceux qui ne connaissent pas monsieur Braff. Les autres, qui l’aiment déjà, seront un peu plus exigeants. Le cinéma de Braff est à son image : gentil et foutraque. C’est son charme de Zach Braff, c’est aussi sa faiblesse.
Il est temps, mon petit Zach, d’abandonner cette forme de légèreté qui t’habite. Tu fais ici un film sérieux et important, sur le couple, la famille, le temps qui passe. Enlève ces petites musiques d’illustration, chaque fois que tu veux faire ressentir quelque chose. Ne te force pas à faire le comique, alors que tu es dans la tragédie. Ne te crois pas obligé d’être original : ce que tu dis l’es déjà. La maturité est à portée de main, et là, tu pourras faire ton grand film.
dimanche 24 août 2014
Game of Thrones, premier accroc
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
C’est un détail, mais c’est là parfois que le signe que les séries s’apprêtent à Jump the shark. Dans cet épisode de la saison 4, on voit un slogan révolutionnaire, peint sur un mur… en anglais ! tout d’un coup, nous voilà décrochés de Port Réal, Winterfell, et autres royaumes de Westeros. La magie disparait soudain, comme si le magicien venait de nous montrer l’as qui était dans sa manche.
C’est d’autant plus étrange que la série s’est acharnée à créer des langues spécifiques, et que les comédiens rament pour assurer des scènes entières en dothraki sous-titrées (une hérésie outre-atlantique). Quelle mouche dornienne a donc piqué nos scénaristes pour commettre un tel impair ? L’abus de boissons, de décapitations et de scènes de fesses ?
On vous pardonne pour cette fois-ci, mais attention…
samedi 23 août 2014
Tendres Passions
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
S’il s’agissait de démontrer l’ineptie des Oscars (ou de toute autre récompense artistique, Césars et autres Victoires de la Musique), Tendres Passions serait un candidat tout trouvé. Le film de James Brooks a remporté cinq Oscars en 1984. Et pourtant vous ne connaissiez pas Tendres Passions. Par contre, vous connaissez les perdants : L’Etoffe des Héros et Les Copains d’Abord.
James L. Brooks a gagné l’oscar du meilleur réalisateur contre Ingmar Bergman pour Fanny et Alexandre. Shirley McLaine a gagné l’oscar de la meilleure actrice contre Meryl Streep dans le Mystère Silkwood. C’est ça les Oscars : la capacité à distinguer ce qui n’a aucune valeur.
Pourquoi alors, regarder Terms of Endearment ? Une seule raison taraude le Professore : revoir la plus belle femme du monde : Miss Debra Winger.
Oui, l’actrice mystérieusement sous employée des eighties (Officier et Gentleman, La Veuve Noire, L’Affaire Chelsea Deardon, Un Thé au Sahara)…
A part ça, le scénario est horriblement daté. Emma (Debra Winger) est une jeune femme plein d’allant, et va se marier avec l’amour de sa vie, Flap (Jeff Daniels). Ce mariage est désapprouvé par Aurora, sa mère, (Shirley MacLaine), une veuve acariâtre et frustrée, malgré les nombreux prétendants qui lui font une cour assidue (dont Danny de Vito !) Aurora considère Flap comme un incapable et refuse d’assister au mariage. Malgré cela, Emma fait tout pour garder le lien avec cette mère odieuse. Peu après le mariage, Flap est nommé dans l’Iowa. Les prédictions de la mère se confirment : Flap est un bon à rien et sa fille, enceinte, peut dire adieu à sa carrière et devenir femme au foyer. Le temps passe et la prédiction se réalise : Flap devient de plus en plus distant et il devient évident qu’il trompe sa femme.
Malgré les méchancetés permanentes, Emma garde le contact avec sa mère et découvre ainsi qu’un autre prétendant s’est attaqué au glaçon. C’est Garrett (Jack Nicholson) ancien astronaute, très cool, l’opposé absolu d’Aurora. Il finit par déglacer un peu la mégère, et nous rendre enfin le film un peu acide et amusant.
Mais alors que tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des monde (Emma en parfaite Mère Courage-Épouse-fidèle-Fille-Parfaite, sa mère enfin casée), le destin frappa à nouveau à la porte. Badaboum : on lui diagnostique un cancer. Elle fait face une fois de plus avec courage et humour et convainc son mari de confier ses enfants à sa mère !
Ce mélo, dont on voit très bien ce qu’il avait d’osé en 1984, avec ce personnage un peu salé dans les dialogues mais très conventionnel dans le fond, semble bien pathétique aujourd’hui.
jeudi 21 août 2014
Moonwalk One
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Caché derrière un slogan trop vendeur pour être honnête (« ce film mériterait de figurer en bonne place aux côtés de 2001, l’Odyssée de l’Espace », Moonwalk One est toutefois une pépite de documentaire qui sort au cœur de l’été.
Mais la publicité, pour peu qu’on s’y attarde, est rarement mensongère ; elle révèle simplement les fantasmes de l’annonceur. Ici, l’annonceur, c’est Theo Kamecke, le réalisateur, qui, en 1970 – deux ans après le choc 2001 – rêve de faire son Kubrick.
En ce temps-là, le rêve spatial est à son apogée, 2001 a cartonné en salles, et chacun est conscient du moment historique, philosophique, ontologique, que l’humanité se prépare à vivre. Pour reprendre une expression célèbre, l’Homme vivait au fond d’un puits, lui-même perdu dans un grand jardin. Ce 20 juillet 1969, l’homme pose enfin le pied sur la margelle du puits et peut contempler son jardin.
Pour raconter cette histoire, Theo Kamecke pioche sans vergogne dans la structure de 2001, l’Odyssée de l’Espace: intro à Stonehenge et visions mystiques de l’Univers, le tout recouvert de nappes musicales façon Pink Floyd, période acide*. Vu comme ça, Moonwalk One est très daté, mal mixé, et pas très regardable. Mais pourtant, si l’on fait preuve d’un peu de clémence, le documentaire révèle peu à peu toutes ses pépites. Une excellente narration du voyage et des premiers pas sur la lune (dont un certain nombre d’images inédites) et une bonne évocation de l’époque. Derrière cette forme soudaine de consensus mondial, certaines voix discordantes s’expriment néanmoins, notamment sur le coût de l’expédition alors que des peuples meurent de faim au Tiers Monde.
Si l’on ne s’attache donc pas trop au folklore mystique et à la musique, Moonwalk One est un incontournable.
* On rappellera que le groupe de Cambridge avait été pressenti pour composer la musique de 2001, avant qu’un coup de génie ne fasse changer Kubrick d’avis. Le cinéaste cherchait des idées pour la fameuse scène de la station orbitale. Il demande alors à son monteur de « coller une musique sur son premier montage, n’importe quoi, pour voir ce que ça donne », en attendant d’avoir celle de Pink Floyd. Ce n’importe quoi, c’est Le Beau Danube Bleu. Enthousiasmé, Kubrick renonce à l’idée d’une musique originale et se met en recherche de musique classique et contemporaine (Strauss, Ligeti, Khachaturian) pour la musique de 2001. Il continuera à faire de même pour ses films suivants (Beethoven pour Orange Mécanique, Schubert pour Barry Lyndon, Penderecki pour Shining). Et il ne fera appel que ponctuellement à des compositeurs comme Wendy Carlos pour réorchestrer des parties de Shining et Orange Mécanique, ou comme sa fille, Abigail Mead, pour de la musique de complément sur Full Metal Jacket).
mardi 19 août 2014
Va pensiero… (bis)
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
Il y a une très belle scène dans Sissi Face à son Destin (oui, le Professore a TOUT vu). En voyage officiel à Milan, le Couple impérial austro-hongrois assiste une représentation du Nabucco de Verdi à la Scala. La noblesse italienne, qui déteste les Habsbourg, refuse d’assister à la représentation et envoie ses serviteurs à sa place. Les gens du peuple entonnent alors, devant Sissi, ce chant de révolte qu’est Va pensiero, le célébrissime chœur des Hébreux prisonniers à Babylone. Sissi, évidemment, applaudit et sauve une fois de plus la mise des Austro-Hongrois.
Cette scène a-t-elle vraiment existé ? En tout cas, elle s’est reproduite en 2011, ce que le Professore vient de se découvrir grâce à un article du Monde. Cette année-là, Riccardo Muti conduit une représentation du même opéra pour les 150 ans de l’Unité Italienne. A la fin du Va Pensiero, il est acclamé par la foule qui réclame un bis : car les vers « Oh mia patria sì bella e perduta! » résonnent parfaitement avec l’ambiance de réduction des budgets de la culture par Berlusconi… Violant ses principes (on ne bisse pas à l’opéra), Muti relance Va pensiero, le public debout, chantant avec le chœur, en larmes.
Parfois, le cinéma est une science prédictive.
jeudi 14 août 2014
« You know how to whistle, don’t you Steve ? »
posté par Professor Ludovico dans [ Les gens ]
C’est par cette réplique culte que commença la carrière de Lauren Bacall, dans Le Port de l’Angoisse, et personne ne manqua de noter toutes les implications sexuelles de cette scène. Mas c’est aussi avec ce film que débuta l’un des couples les plus mythiques du cinéma : Bacall-Bogart. Il avait 44 ans, elle en avait 19, il était marié, elle devint sa maîtresse malgré le scandale, puis sa femme, et le resta jusqu’à sa mort.
Entre temps ils firent quelques chefs d’oeuvres, ensemble ou séparément : Le Grand Sommeil, Les Passagers de la Nuit, Ecrit sur du Vent. Plus vieille, la carrière de The Look sera loin d’être déshonorante : Le Dernier des Géants, Misery, Birth et deux von Trier, Dogville et Manderlay.
C’était une femme très belle et une grande actrice ; Bacall nous manquera doublement.
mardi 12 août 2014
RIP Robin williams
posté par Professor Ludovico dans [ Les gens ]
C’est un immense comédien qui meurt ce soir, et une grande perte : Robin Williams a plutôt aligné les mauvais films, mais il est très bon dans quelques films, et ces quelques films ont suffit à imprimer notre rétine de cinéphile pour toujours : dans le désordre : Will Hunting, Photo Obsession, Le Monde selon Garp, Le Cercle des Poètes Disparus. C’est dans cette veine qu’on le préférait, bien sûr, un peu noir, un peu triste, ou même terrifiant.
Malheureusement, Robin Williams a fait l’essentiel de sa carrière dans une veine feelgood, du passable (Mrs Doubtfire, Good Morning Vietnam, Le Roi Pêcheur) au consternant (Hook, L’Eveil). Une carrière disneyenne censée rattraper – on ne le saura jamais – une image écornée par la drogue et l’alcool. Comme le sont souvent les comiqueś Robin Williams était un grand angoissé, et c’est cet angst qui l’a emporté.