« Des photographies de gens qui se parlent » : c’est ainsi qu’Alfred Hitchcock définissait avec mépris le cinéma de son époque. Un cinéma qui n’avait pas foi en lui-même, incapable de se vivre autrement que comme une basse formule d’entertainment, entre le tour de magie et le cirque. Pas un art, en tout cas. Ce sera toute l’œuvre de Truffaut : démontrer que le cinéma est un art, et, partant, Hitchcock, l’un de ses plus grands artistes.
Car, comme un artiste, Hitchcock cherche en permanence à engendrer l’émotion. Et son art, c’est d’atteindre cette émotion en manipulant tous les aspects de la chose cinématographique : son, cadrage, montage, costumes, bruitages, …
Dans un de leurs échanges, Truffaut explique ses problèmes de montage sur Les 400 Coups, c’est passionnant.
Le cinéaste français raconte à Hitchcock une scène, un enfant et sa mère de chaque côté d’un trottoir. L’enfant voit sa mère au bras d’un autre homme. La mère voit que l’enfant l’a vue. Et, ajoute Truffaut, le dit à son amant : « Je suis sûre qu’il m’a vue ».
Alors Hitchcock soupire : « J’aurais préféré que rien ne soit dit… »
Eh oui ! Ce qui est fort, c’est cet échange de regard, qui dit tout ce qu’il faut savoir. L’adultère, et la découverte de l’adultère. Les sentiments mêlés qui en jaillissent… Ce qui est fort, c’est le cinéma à l’état pur. Quand le spectateur intègre silencieusement toutes les implications : la honte, le remords, la colère…
En faisant parler la femme, Truffaut fait décrocher le spectateur de ce petit travail mental ; il s’intermédie dans ce rêve éveillé avec soi-même, cette chose magique et merveilleuse qu’on appelle le cinéma.