On cherchait encore la définition de « gentillet ». Peut-être l’a-t-on trouvé avec Whiplash, le chef d’œuvre autoproclamé des fêtes de noël.
Gentillet, c’est tout simplement quand le spectateur, au lieu d’adopter le point de vue du « héros », ou au moins du personnage principal, préfère se ranger du côté du méchant.
Dans 2012, grand film gentillet par excellence, on est du côté d’Hades, le méchant conseiller de la Maison Blanche. Nous pensons comme lui qu’ « il y a un problème » quand le héros préfère sacrifier la vie de dizaines de milliers de personnes pour sauver un pauvre type coincé sur un engrenage.
Dans Whiplash, c’est pareil, on est du côté du méchant. D’autant que c’est J. K. Simmons, le prof de batterie, déjà génial et terrifiant Vernon Schillinger dans Oz. Le « gentil », le « héros », c’est Andrew (Miles Teller), un jeune batteur doué qui a intégré le prestigieux conservatoire Shaffer. Va commencer un terrifiant face à face entre le batteur et son mentor, qui le pousse dans ses derniers retranchements, humiliations comprises, pour l’amener à l’excellence.
C’est là que le bât blesse car on peine à comprendre où va le scénario. Si l’objectif – affiché – est de faire d’Andrew le meilleur des batteurs, alors c’est la methode Fletcher qui est la bonne. Penser le contraire, c’est mal connaitre le monde artistique. Quiconque a, un jour, ambitionné de faire de la musique sait le niveau d’abnégation obsessionnelle qu’il faut pour atteindre les hautes sphères. Que l’on soit au Philarmonique de Berlin ou chez Oasis, quel que soit le niveau technique, il faut travailler beaucoup. A l’Opéra de Paris, on « casse » des générations entières de Petits Rats pour obtenir le meilleur ballet possible. Chez les Rolling Stones, on élimine les maillons faibles (Dick Taylor, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman, pas forcément les pires techniciens), tout simplement pour survivre.
C’est donc une illusion toute américaine que poursuit Whiplash. L’idée, séduisante, qu’il faut aider les enfants à grandir en étant uniquement bienveillants à leur égard. C’est ainsi que l’on éduque les enfants américains. Faites l’expérience : quand un enfant américain parle, les parents s’arrêtent et écoutent ce qu’il a à dire. Quand un enfant français parle, on lui apprend à ne pas interrompre les adultes*.
C’est cette idée un pêu gnangnan que refuse Terence Fletcher (J.K. Simmons) : ce n’est pas en tapotant Andrew dans le dos (avec un « good job ! » de circonstance) qu’il aidera son élève à devenir le nouveau Buddy Rich. Et malheureusement, le spectateur est un peu d’accord avec lui, d’autant que … ça marche !
Car dans un final abracadabrantesque, Damien Chazelle fait basculer son film dans le ridicule, pour le simple plaisir d’un twist totalement inattendu ; une épreuve supplémentaire qu’on inflige au héros et qui lui permet de prouver l’étendue de son talent. Une épreuve, un défi, qui démontre, par la plus grande absurdité possible, que la méthode Fletcher était la bonne.
Il est dommage que Damien Chazelle ait les idées si peu claires, car le reste de son cinéma est excellent : acteurs, mise en scène, façon de filmer la musique au plus près des instruments : Chazelle a tout d’un grand. Reste la bonne idée à incarner.
* A 18 ans, la tendance s’inverse, l’enfant américain est désormais responsable de son destin et doit remercier (en réussissant) les efforts de ses parents. En France, on continue à les aider longtemps après.