L’idée que les américains se font des films d’auteur est parfois pénible. Parmi les auteurs réputés se prendre le melon, et pour peu de choses, on trouve des gens comme David O’Russell, James Gray ou Christopher Nolan. On pourrait ajouter à cette liste Alejandro González Iñárritu, ou plutôt son dernier film, Birdman, car le reste de sa cinématographie plaide plutôt pour lui (Amours chiennes, 21 Grammes, Babel…)
Qu’est-ce qu’un film-melon ? C’est un film dont l’ambition affichée dépasse largement le résultat final.
Birdman est dans une autre catégorie, le film-cerveau. C’est-à-dire un film très intellectuel, au premier sens du terme, un film-concept fabuleusement construit et intellectualisé avant d’être un film tout court.
Birdman est très réussi sur cette dimension-là : le fameux plan séquence interminable (argument marketing n°1 du film) est une démonstration de la perfection. Mais au bout d’un moment, il ne sert pas grand-chose au film. Que veut-il dire, à part vanter de son propre génie ? Un plan au cinéma n’existe pas par lui-même, il est un des éléments de la grammaire de l’œuvre, une équation dont le but est de faire comprendre une idée. Il doit être au service de cette idée, et pas l’idée elle-même. Dans Birdman, on ne voit pas quelle idée est servie par ce plan*. Au bout d’un moment, il dessert même le film, car on ne pense plus qu’à cet aspect technique, comme si on regardait comment est parfaitement tendue la toile d’un Picasso, plutôt que regarder le tableau lui-même.
Pareil pour les dialogues, brillants, les comédiens, intenses et électriques, la crème de la crème d’Hollywood (Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton, Amy Ryan, Emma Stone, Naomi Watts) à qui l’on donne enfin un peu plus que trois secondes d’onomatopées pour exprimer leur talent, dans, au hasard, Batman.
Dans ce barnum, c’est ce qu’on retiendra, cette belle intention, cette immense ode aux racines mêmes de la comédie : le théâtre et ses comédiens. Hollywood qui affiche son terrible complexe face à Broadway, comme les acteurs de chez nous face à la Comédie Française.
C’est dommage, parce qu’il n’y a pas loin de la Roche Tarpéïenne au Capitole : Birdman pourrait être un chef d’œuvre s’il arrivait à nous émouvoir sur le sort de Riggan Thomson, ce comédien qui ressemble tellement à Michael Keaton, l’homme qui fut Batman et ne veut plus l’être. Mais à aucun moment, on est ému pour le sort de Birdman. On « voit » littéralement l’intention, ce qu’Iñárritu cherche à faire, mais on est tellement absorbés par la technique filmique qu’on manque de temps pour s’intéresse aux personnages. Tout le contraire, en somme, de l’intention initiale.
Et un film, c’est d’abord ce sont des personnages qu’on vient voir… Ces extensions outrées de nous-mêmes ; ce que le théâtre promet de toute éternité.
* Un bon contre-exemple est l’un des plans des Affranchis, où Ray Liotta passe tous les barrages pour installer sa dernière conquête au premier plan d’un cabaret, preuve du pouvoir nouvellement acquis. Ou le plan d’introduction de La Soif du Mal d’Orson Welles, une vision globale de la ville frontière, de la mise en place de la bombe à son explosion est aussi un modèle du genre…