Un mauvais Hitchcock, ça existe. Ce n’est pas le Professore qui le dit, c’est Hitch lui-même. Il l’explique très bien à François Truffaut en 1962 : « Chaque fois que j’ai tourné un film de ce genre, et que le héros n’était pas une vedette, le résultat en a été affecté, pour la simple raison que le public attache moins d’importance aux ennuis et aux problèmes d’un personnage interprété par un acteur qui ne lui est pas familier. Robert Cummings appartient à la catégorie des acteurs légers : quand il est dans une mauvaise situation, on ne peut pas le lire sur sa figure… »
Et comme Hitchcock est prêté par Selznick à Universal, il n’a pas les choix de son actrice principale non plus. Dommage, Priscilla Lane plaisait bien au Professore Ludovico, assez sexy et chaudasse à son goût. Trop, sûrement, aux yeux de l’auteur de Sueurs Froides. Et pas assez mystérieuse non plus.
Mais il n’y a pas que ça. Cinquième Colonne part dans tous les sens, comme si Hitch faisait le brouillon de ses grands films à venir, La Mort aux Trousses en tête. Barry Kane est accusé à tort de l’incendie de son usine d’aviation alors qu’à l’évidence le saboteur (titre original du film) est un de ses collègues, Fry. Comme dans tout bon Hitchcock, Kane enquête lui-même plutôt que de parler à la police.
Va commencer alors une traversée des États-Unis en d’ouest en est, de la Californie jusqu’à New York en passant par le barrage de Hoover jusqu’au chantier naval de Brooklyn. Il va rencontrer un aveugle sympa, un cirque sympa, et des flics idiots. Mais le génie du thriller s’emmêle un peu les pinceaux avec les multiples complots (détruire le barrage, sauver Fry, faire sauter un bateau, organiser un diner de charité pour récolter des fonds)… Avec même des petites erreurs de montage : le bateau qui devait être saboté est sauvé à temps, mais quelques minutes plus tard, Fry passe devant une épave dans le port de New York et sourit (en fait il s’agit du Normandie, le bateau français qui a vraiment coulé à New York), et Hitch voulait laisser entendre qu’il avait été saboté par les mêmes. Pas clair.
Le reste se laisse voir, car on y décèle les germes de la GCA : le méchant retors, brillant et élégant, qui explique son plan au héros avant de le tuer. La course poursuite finale, le cliffhanger.
Le cliffhanger, c’est tout ce qui reste de Cinquième Colonne : Fry, coincé par la police sur la Statue de la Liberté. C’est là qu’Hitchcock fait une erreur qu’il reconnait lui-même ; on ne suspend pas le méchant au flambeau de la Statue de la Liberté, même pour la métaphore ! C’est évidemment l’inverse qu’il faut faire. Laisser pendre le gentil – le fameux cliffhanger – et le faire sauver par la blonde.
Hitchcock ne fera plus la même erreur.