jeudi 29 octobre 2015
Everest
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Il n’existe rien de pire qu’un cinéaste qui a toutes les billes en main et qui les perd les unes après les autres. Celui-là, l’islandais Baltasar Kormákur, se voit fourni avec son paquetage pour l’Himalaya rien de moins qu’un casting A-List (Josh Brolin, Jake Gyllenhaal, Robin Wright, Jason Clarke, Michael Kelly, Emily Watson, Sam Worthington, Keira Knightley…), une histoire fabuleuse (la célèbre catastrophe de 1996), et un décor de rêve : l’Everest.
Cette histoire a de plus inspiré un très grand livre, Tragédie à l’Everest, de Jon Krakauer. On osera même le terme de chef d’œuvre, puisque l’auteur y fait quelque chose d’inouï : après un premier reportage controversé dans Outside, Krakauer reconsidère son livre, et tel Rashomon, refait l’histoire du point de vue des autres protagonistes…
Pas de chance, Baltasar Kormákur a bien lu Krakauer, mais il ne l’a pas compris. Il faut pour cela revenir au livre, avant de parler du film. Jon Krakauer est un alpiniste chevronné, auteur notamment d’une nouvelle route sur le Devils Thumb, une des montagnes les plus difficiles d’Alaska, une expérience qu’il a raconté dans Into the Wild*. En 1995, le magazine Outside propose à Krakauer une enquête sur la commercialisation de l’Everest. Pour les gens comme Krakauer, l’Everest, c’est de la gnognotte ; une randonnée extrêmement dure, mais une randonnée quand même. Pas une véritable escalade, seulement un combat contre soi-même. Un vrai alpiniste ne fait pas l’Everest. Il refuse donc, n’ayant « aucune envie de marcher pendant trois semaines** pour voir des gogos texans grimper sans lui, à 65000$ la ballade ».
Mais quand Outside lui propose, à sa grande surprise, de payer l’ascension, il accepte illico, malgré femme, et enfant à venir. C’est notamment ce désir fou qu’interroge Tragédie à l’Everest. Qu’est-ce qui pousse des gens qui ont réussi (ou pas), à s’infliger une telle souffrance ? (Les explications fournies sont l’une des rares scènes réussies du film.)
L’autre versant de Tragédie à l’Everest, c’est la commercialisation des expéditions himalayennes ; alors qu’il en fait dès l’introduction son propos, le film effleure le sujet. Dans son livre, Krakauer explique justement le drame par le nombre de personnes qui tentèrent la montée ce jour-là (50) et qui s’engouffrèrent dans le goulot d’étranglement au Col Sud, perdant un temps précieux.
Enfin, ce que dit Krakauer et qui est terrifiant, c’est qu’à partir de la Zone de la Mort (au-delà de 8000m), on est tout seul ; il n’y a plus de porteur, plus de guide, plus de client, il faut monter seul et descendre seul. On ne peut pas envoyer d’hélico chercher un blessé***. Un sherpa ne porte pas quelqu’un qui est fatigué. On ne porte pas secours à quelqu’un d’autre, parce qu’on a déjà du mal à s’occuper de soi. Et de décrire les grimpeurs qui détournent le regard des cadavres qui jonchent la piste macabre qui monte au sommet. Car si on ne peut pas ramener les blessés, on ramène encore moins les morts…
Or, si le film annonce cela au départ, il filme tout le contraire, c’est à dire le comportement héroïque de Rob Hall.
Pourtant, on ne reprochera pas à Baltasar Kormákur d’avoir voulu faire un film feelgood (la coproduction Working Title aurait dû nous alerter) ; mais d’avoir fait un mauvais film, oui.
Car le principal défaut d’Everest est là ; Baltasar Kormákur filme les événements les uns après les autres, comme un vulgaire Dangers dans le Ciel sur France 5. Il y a une avalanche ; Kormákur ne laisse aucun signe avant-coureur pour faire monter le suspens, les gars se prennent la neige, ils se relèvent, c’mon guys et c’est reparti. Chaque personnage est bien esquissé (la nounou du camp de base (Emily Watson), le bon guide (Jason Clarke), le guide un peu trop cool et defoncé (Jake Gyllenhaal), le client texan trop sûr de lui (Josh Brolin)) mais Kormákur ne fait rien de tout cela, il ne se sert pas des enjeux pour faire monter la pression.
Il fait un portait de Krakauer en cynique désabusé ; pourquoi pas, ça lui a été reproché. Mais le cinéaste devait jouer cette carte à fond et développer l’enjeu attaché à cette publicité espérée dans Outside. A part quelques lignes de dialogue, rien n’est dit.
Pourquoi ? Parce qu’Everest est noyé de dialogues, la solution de facilité de toutes les fainéasses, les incroyants du cinéma, les apostats du montage. Baltasar Kormákur ne sait pas quoi faire de sa caméra ; il fait parler les personnages à la place. Ce qui ne manque pas de sel dans ce contexte, où il est très difficile d’aligner deux mots à cause du manque d’oxygène.
C’est ce qui manque à Everest, c’est l’oxygène du cinéma. Et ça ne se stocke pas en bouteille.
* C’est environ la moitié du récit ; l’autre moitié correspond à l’histoire de Christopher McCandless, cette partie étant le sujet du film de Sean Penn.
** le camp de base n’est même pas accessible par hélicoptère.
*** Ce que tentèrent néanmoins – et réussirent – les népalais comme on le voit dans le film.
lundi 26 octobre 2015
Connasse, Princesse des Cœurs
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Dans la série des films d’avion, Connasse, Princesse des Cœurs est aussi un parfait candidat, certes à l’opposé de Fast & Furious 7, mais pour des raisons inverses (VF directe), parfaitement visible en l’état. Et de toute façon, on ne serait pas aller le voir au cinéma.
On regarde aussi sous la pression du Professorino et de la Professorinette, porteurs d’un début de buzz (« Tu vas voir ; elle est folle, c’est trop drôle »). La Connasse, c’est évidemment Camille Cottin, qui tente en long métrage les sketches du même acabit qu’elle faisait sur Canal. L’exercice est risqué, comme on le verra. Car Connasse, Princesse des Cœurs fait partie du genre de film « caméra invisible », ce qui sont toujours drôle, mais qui a longue peuvent finir par lasser. C’est le cas de celui-ci.
Camille (comme une certaine catégorie de citoyens de notre beau pays), en a marre de ce pays de merde qui empêche les gens de réussir. Cette partie-là est réjouissante, car l’ambition business de Camille se résume vite à épouser le Prince Harry ! La voilà partie en Grande Bretagne (tout en oubliant pas une petite parodie de Titanic sur les ferries Sealink).
On suit les aventures de notre princesse de cœur, qui va enchaîner provocation sur provocation auprès de populations variées (horseguards, polo men, hôteliers et taxis londoniens…)
Si au début c’est drôle, au bout d’un moment nous voilà lassés de notre Connasse. On a compris le principe, et on a presque pitié de ce pauvre prof de maintien. Bref, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.
vendredi 23 octobre 2015
Quatre de l’Espionnage
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Hitchcock n’aimait pas Quatre de l’Espionnage (Secret Agent), c’est bien dommage parce que nous on aime bien ce film. Il ne l’aime pas parce que son personnage principal (Edgar, joué par une jeune John Gielgud) a un objectif négatif : il refuse de faire ce qu’on lui demande ; tuer un agent secret allemand pendant la guerre de 14-18. Et ça, ça ne marche pas avec le public, dit le grand Hitch. Il n’a pas tort, c’est le truc un peu bizarre du film.
Mais Quatre de l’Espionnage est quand même passionnant. D’abord parce qu’il y a le toujours génial Peter Lorre, ici dans un rôle délirant de séducteur-obsédé sexuel-tueur à gages, et Madeleine Carroll est pas mal non plus, une des premières blondes hitchcockiennes.
Mais surtout, il y a une scène culte ; celle du personnage tué en montagne. Les deux espions (Gielgud, Lorre) emmènent en randonnée un british bien sous tous rapports qu’ils soupçonnent d’être l’espion allemand. Mais Gielgud est soudain pris de doute, tandis que Lorre, véritable psychopathe, veut le tuer à tout prix. Gielgud fait demi-tour et assiste au meurtre depuis un observatoire, mais Hitchcok cache la scène au spectateur au dernier moment*. Il filme en parallèle une autre scène, un cours d’allemand improvisé pour distraire la femme du randonneur qui se déroule dans leur chalet suisse. Le chien cherche frénétiquement son maître et hurle à la mort, évidemment, au moment pile où celui-ci tombe dans le vide.
Une excellente utilisation du son comme ressort dramatique. Il y en a d’autres dans Quatre de l’Espionnage : un orgue qui joue à vide (l’organiste a été assassiné) ; des cloches qui sonnent dans le clocher où se sont refugiés nos espions, les obligeant à se parler de la bouche à l’oreille – un gros plan que David Lynch n’aurait pas renié -, une course poursuite dans une usine uniquement rythmé par le bruit assourdissant des machines à chocolat et de l’alarme incendie, etc.
Mais au-delà de ce montage plein de suspense cher à Hirtchcock, le réalisateur montre quelque chose de rare au cinéma : les remords. Ces agents secrets sont terriblement affectés par ce qu’ils viennent de faire (sauf Lorre, inévitablement) ; on ne tue pas impunément sans porter ce fardeau, même quand on est dans les services secrets. Ce genre de regrets, si souvent esquissés dans les films d’action (une simple grimace de Brice Willis peut faire l’affaire), occupe ici un bon quart d’heure du film.
La fin, elle aussi, est excellente : un terrible accident de train (avec les effets spéciaux 3D de l’époque (un train miniature, des pétards, et les acteurs font semblant d’être gravement blessés)), mais qui fait son petit effet, malgré un happy end convenu.
C’est tellement bon que ça n’a pas vieilli d’un pouce : on pourrait en refaire le remake aujourd’hui sans problème.
* Cette scène montagnarde est reprise en partie par Wes Anderson dans son Grand Budapest Hotel…
dimanche 18 octobre 2015
Orange is the New Black, saison 1
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Si l’on cherche un exemple de tragi-comédie, Orange is the New Black fait très bien l’affaire. Le Cid (version lesbiennes en prison), on aurait bien aimé ça pour le bac français de 1982.
Qu’a-t-on appris de la tragi-comédie à Louis Bascan, Rambouillet,YV ? Ce qu’était une litote (« Va, je ne te hais point ! ») Mais encore ? Que la tragi-comédie, c’est une tragédie qui se termine bien. Comme le Cid. Pourtant, Orange is the New Black, ça commence mal, comme une mauvaise sitcom un peu niaise, avec petit couple sympa, et gentille blonde, conne de service.
Mais tout ça est fait exprès, une tactique pour tromper le pauvre spectateur : si tout est rose au début, c’est pour mieux voir comment la série vire au noir ensuite. Après le couple rose bonbon, la prison, le new black.
Ce splendide effet de contraste permet d’esquisser le propos d’Orange is the New Black ; la description d’un univers, la prison, sans en faire des tonnes. « On n’est pas dans Oz » prévient un des personnages dès le pilote*. La prison, ce n’est pas l’enfer, mais c’est un cauchemar. Le passage d’une vie normale (copain gentil, parents pas affectueux, courses bio) à l’univers carcéral (copines pas très sympas**, gardiens trop affectueux, jambon-purée)…
C’est ce qui est remarquablement rendu, notamment par Taylor Schilling qui joue l’héroïne WASP, gentille petite blanche moyenne qui tombe au milieu de cette triste réalité américaine où la plupart des détenus sont noirs.
Ensuite la deuxième couche d’Orange – et probablement la plus intéressante – c’est cette grande fresque de la féminité. La plupart des personnages sont féminins, les seuls hommes étant des gardiens et le chéri de l’héroïne.
Le portrait de ces femmes aux destins très divers – de la restauratrice russe à la transsexuelle noire -, montre la diversité de la population carcérale, du délit mineur (blanchiment) au crime le plus abject. Mais il montre aussi toutes les manières d’être une femme : précieuse, coquette, autoritaire, butchy, grosse, mince, effrayée, amoureuse, manipulatrice, patronne, servile, born again christian, bouddhiste, hétero, lesbienne, ou ne-sait-plus-trop…
Dans un univers souvent loin du test de bechdel et le plus souvent péniblement politiquement correct, ce simple portrait, cru et frontal, sérieux et drôle, et servi par des dialogues excellents, est extrêmement rafraîchissant …
* Une série qui cite Oz et Mad Men dans ses deux premiers épisodes ne peut pas être totalement mauvaise…
** Il y aussi le grand plaisir de retrouver Laura Prepon, la Donna de That 70’s Show…
jeudi 15 octobre 2015
3D, la lente chute
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Pour en finir avec ... ]
Vous le savez, CineFast ne cesse de se réjouir des déboires de la 3D. Non pas parce que CineFast est méchant, mais parce qu’il dénonce depuis le début cette plaie cinématographique. Une plaie qui affecte à la fois la forme du septième art, détruisant les couleurs, la netteté, le confort du spectateur et son porte-monnaie, mais aussi le fond, car la frénésie 3D qui s’est emparée d’Hollywood a modifié son business model, transformant les blockbusters chers en blockbusters ultra chers.
Certes, les profits s’envolent aussi, mais la 3D oblige à concentrer l’énergie des studios sur 2 ou 3 tentpoles, ces « piquets de tente » qui font tenir debout le cirque du studio pendant toute l’année. En obligeant à produire des films extrêmement onéreux qu’il faut absolument rentabiliser, la 3D castre toute l’industrie ; aucun sujet un tant soit peu clivant ne peut alors éclore ; les histoires, les héros doivent rassembler non pas seulement l’Amérique, mais le monde entier. C’est donc la mort à petit feu d’un cinéma spécifiquement américain et la naissance d’un cinéma mondialisé sans saveur. Des blockbusters au bon goût de burger comme USS Alabama (qui passe en ce moment sur TCM, à ne pas rater !) sont impensables aujourd’hui. Nous voilà condamnés à Divergente, Hunger Games et aux sempiternelles aventures manichéennes de superhéros en short moulant bleu et rouge.
Mais pour combien de temps encore ? Voilà que la 3D est en soldes. Au Gaumont Aquaboulevard, une pub offre la 3D gratuite à la séance du dimanche. La fameuse innovation qui devait tout révolutionner dans le cinéma (dixit Jeffrey Katzenberg) ne se vend pas si bien que ça, comme le témoigne les mentions « disponible en 2D également ».
Rappelons que le western, genre obligé des années soixante comme le sont les superhéros d’aujourd’hui, devint soudain obsolète sous les coups de boutoir des ragings bulls des seventies, Coppola, Scorcese et autres Denis Hopper.
Patience, donc.
samedi 10 octobre 2015
Dans la Brume
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Le cinéma russe est-il indissociable de la politique ? En tout cas, le cinéma a rapport avec la psychologie d’une nation. Il y a un cinéma américain, un cinéma français, un cinéma russe. Nous pensons ici, ce n’est pas un scoop, que c’est la psyché slave qui exprime dans le pénible Dans la Brume.
Nous avons ici un problème avec le cinéma russe ; tout nous sort par les yeux : Stalker, Il Est Difficile d’Etre un Dieu, Requiem pour Un Massacre, Dans la Brume. Pourtant nous avons adoré Alexandre Nevski. Mais là…
A la base, c’est plutôt un problème avec l’âme slave. Les cris, les pleurs, les femmes en colère aux portes des moulins, tout ça nous est assez insupportable*.
Certes, et comme d’habitude, Dans la Brume est traversé d’éclairs de génie cinématographiques. Comme ce premier plan séquence sur ce village de Biélorussie, où en quelques minutes, on présente le village, le marché, la gare, et qu’on y pend, presque subrepticement, quatre partisans. A plusieurs reprises, on aura droit à ces plans séquences, majestueux, complexes, et très impressionnants.
Mais l’histoire ? Où est l’histoire ? Distribuée sous forme de fragments (cette idée esthétique n’ayant aucun support, si ce n’est le snobisme de tenter de rendre une intrigue simple extraordinairement complexe**). Si à la fin, on aura compris les grandes lignes et le sous texte (la guerre est une zone grise), on se sera prodigieusement ennuyé.
Et on a autre chose à faire.
*Y a-t-il des comédies russes ? On ne sait.
** Tout le contraire de 71 Fragments d’une Chronologie du Hasard, le grand film de Haneke, qui faisait la même chose dans un but précis, montrer que le drame naissait de l’enchaînement de causes sans rapport entre elles.
jeudi 8 octobre 2015
Fast and Furious 7
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le cinéma en avion vous fait faire des choses étranges ; par exemple regarder Fast and Furious 7 parce que a) ce n’est pas grave de le regarder en VF, b) ce n’est pas grave de le voir monté, découpé haché, c) parce que, à vrai dire, F&F, on s’en fout un peu.
On a déjà vu Fast and Furious : Tokyo Drift (le 3), et on avait bien rigolé, à l’heure de la COP21, devant ce gâchis de pneumatiques et d’essence à haut degré d’octane. Las, on apprit que c’était un spin-off, et que l’intrigue ne fait pas partie du background, qu’elle n’est pas lié à la storyline globale de Fast and Furious. Essayez de relire sérieusement ces deux dernières lignes ; en cas de succès, écrire à CineFast.
Bref, on n’a pas de mal à retrouver le fil de FF7, puisqu’il y a de gros flashbacks pour les nuls aussi baraque que les deltoïdes de Vin Diesel, qui vous rappelle la storyline de l’amour-éternel-qui-renait et le background du retour-de-la-vengeance-qui-est-très-en-colère.
Même si le scenario est rédigé par des ados, ce sont des ados qu’on aime bien ; Vin Diesel (Pitch Black), Michelle Rodriguez (Lost, Girlfight), Tyrese Gibson (Transformers), etc.
Et comme en plus on passe un bon moment à voir des explosions dans tous les sens, des coups de fusils partout, des voitures qui sautent en parachute, et qui traversent la tour Burj al khalifa, etc.
Ca va pas chier loin, mais ça fait le plat pour saucer…
mardi 6 octobre 2015
L’Odyssée du Sous-Marin Nerka
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Dans ce sous-genre fétiche du Professore qu’est le film de sous-marin, il reste des pépites inconnues comme celui-ci, L’Odyssée du Sous-Marin Nerka, titre français minable de Run Silent, Run Deep Le film de Robert Wise (1958) était passé sous le sonar du Professore.
Ce Nerka est pourtant excellent, avec un scénario qui a probablement influencé Quentin Tarantino quand il a écrit un bout d’USS Alabama*. En effet, on retrouve dans Run Silent, Run Deep l’affrontement entre un commandant de sous-marin obsessionnel (Clark Gable) et son second, professionnel aimé de l’équipage (Burt Lancaster).
Le commandant Richardson en effet déjà perdu un sous-marin contre un destroyer japonais dans le détroit de Bungo, entre l’île de Shikoku et celle de Kyūshū. Depuis, il est sans mission et ressasse des idées de revanche. Quand il apparait que le commandant du Nerka va prendre sa retraite, Richardson intrigue pour subtiliser le sous-marin à Jim Bledsoe (Burt Lancaster), le second qui attendait le poste. Celui-ci s’incline mais reste aux aguets.
Deux histoires se superposent alors, faisant l’originalité du film : l’affrontement entre deux commandants aux personnalités antagonistes, et un péril plus grand, à la Moby Dick, la chasse à l’Akikaze, le destroyer japonais/baleine blanche qui a arraché non pas la jambe, mais une partie de l’âme du Commandant Richardson.
L’Odyssée du Sous-Marin Nerka propose un étrange mélange de maquettes ringardes très fifties** et de vraies prises de vues de sous-marins, à la limite du reportage journalistique, mais ce n’est pas l’intérêt de Run Silent, Run Deep. Sans véritable happy end, les deux capitaines se réconcilieront face à l’ennemi commun.
Robert Wise mettra vingt ans à refaire un film de sous-marin : Star trek***.
* Le scénario de Crimson Tide est signé Michael Schiffer et Richard P. Henrick, deux spécialistes du récit militaire, mais, non crédités au générique, il y a trois vrais pros du scénario (Robert Towne (Chinatown , Mission Impossible), Steven Zaillian (La Liste Schindler, Gangs of New York, Le Stratège) et Quentin Tarantino…
** Et des images d’archives qui piquent les yeux de l’amateur : des dauntless bombardant un sous-marin américain !
*** Relire la note 2 d’USS Alabama
samedi 3 octobre 2015
Dheepan
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
A-t-on encore espoir que Jacques Audiard rate un film ? Bien sûr que oui, car rien n’est parfait en ce monde. Mais ce ne sera pas Dheepan, qui atteint encore la perfection après Regarde les hommes tomber, Un Héros Très Discret, Sur Mes Lèvres, Un Prophète, De Rouille Et D’Os…
Pourtant tous les manuels de scénario vous le diront : Dheepan est le sujet casse gueule pour excellence ; on n’est censés écrire en effet que sur ses expériences personnelles (même quand il s’agir d’invasion extraterrestre). Ne se baser que sur son propre vécu, sa propre expérience, ses propres émotions pour être sûr d’être authentique, vrai, et ne pas tomber à côté.
Comment fait Audiard alors ? Comment peut-il se mettre dans la peau d’un tigre tamoul en rupture de ban ? Dans celle de sa fausse épouse, prête à tout pour gagner l’Angleterre et qui, comme tant d’autres, échouera en France ? Dans celle de cette fillette de neuf ans, improvisée fille du couple ?
Il n’y a qu’une réponse : le travail, beaucoup de travail. On se plaît à penser que Jacques Audiard travaille comme les américains, en immersion. Quand Alan Ball a voulu faire Six Feet Under, il a passé un an dans un funérarium. On imagine donc Audiard traîner dans les cités pour faire ses repérages, discuter avec les habitants, rencontrer des tamouls, leur raconter son histoire et vérifier qu’elle est viable. Ça se sent dans la précision des détails, du décor de l’appartement en ruine à celui du dealer, de la façon de parler des personnages, mêmes annexes. Autant dire qu’on est très loin de la fainéantise des frères Dardenne sur le même sujet, et ce Gamin au Vélo, pour ne pas le nommer.
Parce que, pour le reste, Dheepan tient la route, même dans sa si décriée séquence finale ; le film est impeccable de bout en bout, avec des comédiens parfaits (et pourtant débutants), et, comme d’habitude, une grande attention portée à la partie visuelle et musicale du film…
Du cinéma, quoi.