Hitchcock n’aimait pas Quatre de l’Espionnage (Secret Agent), c’est bien dommage parce que nous on aime bien ce film. Il ne l’aime pas parce que son personnage principal (Edgar, joué par une jeune John Gielgud) a un objectif négatif : il refuse de faire ce qu’on lui demande ; tuer un agent secret allemand pendant la guerre de 14-18. Et ça, ça ne marche pas avec le public, dit le grand Hitch. Il n’a pas tort, c’est le truc un peu bizarre du film.
Mais Quatre de l’Espionnage est quand même passionnant. D’abord parce qu’il y a le toujours génial Peter Lorre, ici dans un rôle délirant de séducteur-obsédé sexuel-tueur à gages, et Madeleine Carroll est pas mal non plus, une des premières blondes hitchcockiennes.
Mais surtout, il y a une scène culte ; celle du personnage tué en montagne. Les deux espions (Gielgud, Lorre) emmènent en randonnée un british bien sous tous rapports qu’ils soupçonnent d’être l’espion allemand. Mais Gielgud est soudain pris de doute, tandis que Lorre, véritable psychopathe, veut le tuer à tout prix. Gielgud fait demi-tour et assiste au meurtre depuis un observatoire, mais Hitchcok cache la scène au spectateur au dernier moment*. Il filme en parallèle une autre scène, un cours d’allemand improvisé pour distraire la femme du randonneur qui se déroule dans leur chalet suisse. Le chien cherche frénétiquement son maître et hurle à la mort, évidemment, au moment pile où celui-ci tombe dans le vide.
Une excellente utilisation du son comme ressort dramatique. Il y en a d’autres dans Quatre de l’Espionnage : un orgue qui joue à vide (l’organiste a été assassiné) ; des cloches qui sonnent dans le clocher où se sont refugiés nos espions, les obligeant à se parler de la bouche à l’oreille – un gros plan que David Lynch n’aurait pas renié -, une course poursuite dans une usine uniquement rythmé par le bruit assourdissant des machines à chocolat et de l’alarme incendie, etc.
Mais au-delà de ce montage plein de suspense cher à Hirtchcock, le réalisateur montre quelque chose de rare au cinéma : les remords. Ces agents secrets sont terriblement affectés par ce qu’ils viennent de faire (sauf Lorre, inévitablement) ; on ne tue pas impunément sans porter ce fardeau, même quand on est dans les services secrets. Ce genre de regrets, si souvent esquissés dans les films d’action (une simple grimace de Brice Willis peut faire l’affaire), occupe ici un bon quart d’heure du film.
La fin, elle aussi, est excellente : un terrible accident de train (avec les effets spéciaux 3D de l’époque (un train miniature, des pétards, et les acteurs font semblant d’être gravement blessés)), mais qui fait son petit effet, malgré un happy end convenu.
C’est tellement bon que ça n’a pas vieilli d’un pouce : on pourrait en refaire le remake aujourd’hui sans problème.
* Cette scène montagnarde est reprise en partie par Wes Anderson dans son Grand Budapest Hotel…