Et si le documentaire était la véritable ambition artistique de Ridley Scott ? Et si depuis quarante ans, le réalisateur anglais n’avait rêvé que de transmettre ses connaissances sous forme de docudramas habilement déguisés en fictions de luxe payées par Hollywood ? Et si Seul sur Mars était la révélation ultime de ce procédé ?
Qu’on y pense ? De la Retraite de Russie, la Vie au XXI° siècle, la Mafia Japonaise, la Condition Féminine dans le Southwest, les Croisés de Jérusalem, la Conquête de l’Amérique, les Combats de Gladiateurs, la Bataille de Mogadiscio, la Vie en Provence, le Marketing de la Drogue, l’Exode Biblique et maintenant… la Vie sur Mars, Ridley Scott, enlumineur de génie, n’a fait que poursuivre le travail d’encyclopédie populaire, à l’instar des Tout l’Univers et autre Dis Pourquoi ? de notre enfance.
Seul sur Mars, son dernier projet, coûte la bagatelle de 108M$. C’est cher pour un film dont l’unique vocation semble être de passer sur National Geographic Channel avec voix off ad hoc : « Si l’homme devait un jour s’installer sur mars, comment s’y prendrait-il pour survivre ? ». Avec une réponse de 144mn sous forme de cours de botanique (comment faire pousser des pommes de terre avec son caca), de cuisine (les 1001 façons d’accommoder les dites pommes de terre), de bricolage (sachez fabriquer une serre (ou une coque de vaisseau spatial), avec seulement de la toile plastique et du chatterton), ou de maths : sachant que je produis 30 kg de patates par récolte, combien me faudra-t-il de récoltes pour tenir jusqu’à l’arrivée des secours ?
Le tout emballé, comme tout Danger dans le Ciel qui se respecte, d’une alternance de documentaire et de drame reconstitué. Ici, on n’a pas fait les choses à moitié : plutôt que le sosie de Matt Damon, on a pris Matt Damon lui-même. Avec le gratin de l’Hollywood actuel (Jessica Chastain, Jeff Daniels, Sean Bean), ou à venir (Kate Mara (House of Cards), Chiwetel Ejiofor (12 years a Slave), Mackenzie Davis (Halt and Catch Fire))…
Heureusement qu’ils sont là, les comédiens : les pauvres mettent tout leur talent au service de personnages même pas esquissés (pas d’enjeu personnel, pas de famille, pas de motivations). Ca a un gros avantage : ça permet de voir exactement ce qu’apporte de grands comédiens ; tout ce qu’il y a dans le film, c’est eux qui l’ont apporté.
Pas non plus de trace de dramaturgie à la surface martienne, (faute aux radiations, probablement), sauf l’unique et inquiétante question façon Man vs Wild: comment va-t-on faire pour survivre ?
Une ambiance incroyablement feelgood évite toute inquiétude inconsidérée de la part du spectateur : grâce au courage, au travail, à l’amitié et à la solidarité, et bien sûr à l’ingéniosité américaine, Matt va bien trouver un moyen, putain de dieu, pour faire les 225 000 000 km qui lui reste à parcourir jusqu’à Pasadena.
À côté, Apollo 13, c’est Desplechin, Seul au Monde, c’est Robert Bresson, et Armageddon, c’est Tarkovski. Le parallèle avec le brûlot politico-philosophique des Simpson/Bruckheimer ne s’arrête pas là : pour sauver un homme dans l’espace, la NASA ne suffit toujours pas. La différence, c’est qu’on ne fait plus alliance avec les Russes, mais avec les Chinois (Wladimir Poutine ne va pas être content).
Malgré cela – et tout à fait inexplicablement – on finit par être emporté à la fin et on est bien content que Matt Damon réussisse à rentrer chez lui.
Zut, je crois que j’ai raconté la fin.