Vanilla Sky reste un des rares exemples de twist réussi au cinéma. Même si le film fait comprendre au spectateur, dès le départ, qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette histoire, il ne donne aucun indice sur la solution. Même si, à la revoyure, on trouve quelques indices, comme par exemple des bruits incongrus qui indiquent où est vraiment le personnage. Mais il faut avoir l’oreille affutée.
Avec James Malakansar, nous avions tellement adoré le film quand il est sorti que nous n’avons jamais osé le revoir. Pour tenter l’expérience aujourd’hui avec de jeunes élèves en cours de rattrapages CineFastiens, il faut s’armer d’un peu de circonspection avant de mettre le DVD dans le lecteur.
La première partie confirme cette inquiétude. Tom Cruise, en cette année 2001, est au sommet de sa popularité et de son pouvoir à Hollywood. Il sort d’Eyes Wide Shut qui lui a donné cette crédibilité artistique qui lui manquait, il a quitté Nicole Kidman pour Penelope Cruz (et ça se voit dans Vanilla Sky !), mais il va plonger dans la scientologie et ruiner pour un temps sa carrière. Ici, il est plus beau, plus souriant, coolissime et plus énervant que jamais.
Mais c’est aussi voulu. Décrire un wonderboy à qui tout sourit, et qui va percuter le mur. Au sens littéral d’ailleurs. Et un film où Tom Cruise se fait tabasser, c’est toujours un bon film. Et un film où Cameron Diaz ne sera plus jamais aussi belle, et un film où Penelope Cruz est déjà très belle.
La morale finale est toujours aussi forte, et rattrape les quelques doutes que nous avions pendant le film. Plutôt que de rêver sa vie, vivons là. Comme le disait le professeur Frank’n’Furter, de la planète Transexual, Transylvania :
« Don’t dream it, be it. »
Pendant Noël, les enfants font des devoirs. Ils révisent. Ça ne leur plaît pas trop. Ils préféreraient regarder Orange is the New Black ; des histoires de filles en prison, c’est mieux que les révisions.
Mais bon, c’est pas comme ça qu’ils auront leur Bac C. Le Professore leur a concocté un programme multidisciplinaire : Sciences et Vie de la Terre et des Arachnides, Mélodrame et fiction à twist, et bien sûr, cours de sicilien par correspondance. C’est à dire Starship Troopers, Vanilla Sky et Les Affranchis.
Magnanime, le Professore Ludovico les laisse choisir. La Professorinette prend Les Affranchis. Direct. Elle a bon goût, la Professorinette.
Parce que c’est un film important, Les Affranchis. À qui dirait-on aujourd’hui dans un dîner « Tu me trouves drôle ? Tu me trouves drôle COMMMENT ? » si Joe Pesci ne nous l’avait pas appris ? Et comment engueulerions-nous nos enfants sans l’aide de Bob de Niro : « Whad de matta wif you?? Whad didaille tole you, you fuckine basta?!! »*
Les films, c’est ça qui vous éduque. Qui vous apprend l’histoire ou la philosophie. Le foot américain ou le Texas. La vie dans l’univers ou la Guerre de Sept Ans. Donc pas de question de céder sur l’éducation des enfants. Ce soir, pas de télé, ce sera Les Affranchis. Ça couine, mais au bout de trois minutes, on n’entend plus personne. Il faut dire qu’en trois minutes Papy Scorsese a planté le décor. Et Billy Batts au passage. Un bon coup de pied dans la gueule. Un coup de couteau de cuisine dans le bide, et un coup de pelle sur la tête pour faire bonne mesure. Eh oui les enfants, on n’est pas dans Les Razmokets à Paris !
Et pendant deux heures vingt-six à ce rythme insensé, nous allons suivre Ray Liotta dans ses pérégrinations dans la mafia. Certes, le film est très bavard, mais c’est le prix à payer pour nous raconter tout ça. A tel point que la Professorinette trouve Goodfellas très inspiré du Loup de Wall Street. Rise and fall du narrateur. Regards caméras et voix off. Attention, la Professorinette sait que ce Loup est postérieur, mais ça lui gâche un peu le plaisir de découvrir que c’est le système Scorsese, tout simplement.
Nous, évidemment c’est l’inverse. On trouve que le Loup est une resucée, comme Casino, de ces séminaux Affranchis. Et que malgré ses petits défauts, ces vingt-cinq ans, ces goodfellas marchent toujours du feu de dieu. Parce que Scorsese a cette technique, ces plans-séquences incroyables, et cette scène finale atomique où l’on prépare le dîner, on coupe de la came, on surveille l’hélico, on tire un coup et on se fait bêtement arrêter. Le tout sur un mix musical tout aussi virtuose que le montage**.
La grande œuvre des Affranchis, c’est de nous avoir décillé le regard sur la mafia, et d’avoir ouvert la porte, dix ans plus tard, aux Sopranos. Montrer la Cosa Nostra comme un mode de vie, mais comme un horrible mode de vie, sans gloire, sans honneur, où les petits se font broyer et où les gros s’empiffrent. Loin du Parrain – par ailleurs au Panthéon du Professore – mais qui transformait l’ascension de Michael Corleone en magnifique tragédie shakespearienne. Ici, pas de Macbeth ou de Roi Lear, mais des ouvriers du crime. Et si la violence est omniprésente, elle n’est jamais jouissive. Et, en tout cas, jamais approuvée par le spectateur.
* et plein d’autres répliques cultes :
Tommy DeVito: Oh, oh, Anthony. He’s a big boy, he knows what he said. What did ya say? Funny how?
Henry Hill: Jus…
Tommy DeVito: What?
Henry Hill: Just… ya know… you’re funny.
Tommy DeVito: You mean, let me understand this cause, ya know maybe it’s me, I’m a little fucked up maybe, but I’m funny how, I mean funny like I’m a clown, I amuse you? I make you laugh, I’m here to fuckin’ amuse you? What do you mean funny, funny how? How am I funny?
Ou :
Jimmy Conway: What’s the fuckin’ matter with you? What – what is the fuckin’ matter with you? What are you, stupid or what?
Ou encore :
Jimmy Conway: I’m fuckin’ kidding with you! You fuckin’ shoot the guy?
Henry Hill: He’s dead.
Tommy DeVito: Good shot.
** Jump into the Fire, Memo from Turner, Magic Bus, Monkey Man, What Is Life et Mannish Boy
*** Un sosie de Scorsese fait une apparition. Et Michael Imperioli (qui, dans Les Affranchis, joue le rôle du jeune serveur Spider) lui crie « I love Kundun ! »