Il fallait avoir, à vrai dire, les meilleures dispositions pour aller voir Le Réveil de la Force. Sur les lèvres, ce petit mépris habituel pour les pitreries space opera de George Lucas, ce genre SF tombé dans l’oubli en 1940 et fort mal à propos remis au goût du jour par un petit matin de mai 1977. Et plein de condescendance, aussi, devant la populace qui se jetait sur le chef d’œuvre attendu.
Nous avons expliqué à longueur de colonnes ici d’où vient cette condescendance, d’où vient ce mépris. Pas de snobisme, mais l’horrible sentiment que notre littérature chérie (Brunner, Bradbury, Brown, Dick, Delany, Haldeman, Lem, Herbert, Lovecraft, Moorcock, Pohl, Sheckley, Simak, Sprague De Camp, Strougaski, Zelazny…) avait disparu dans un trou spatio-temporel créée par le succès gargantuesque de l’opérette en pyjama de Mr Lucas. Star Wars, en ressuscitant un genre défunt et méprisé des amateurs, était devenu LA science-fiction pour le grand public. Non seulement Lucas avait piqué dans les fonds de tiroirs du genre (Buck Rogers et les serial des années 30), non seulement il avait volé les idées des plus grands (Dune, pour ne pas le nommer, mais aussi La Forteresse Cachée de Kurosawa, Metropolis, et Le Magicien d’Oz, ou The Dam Busters pour les scènes finales*), mais en plus, il le faisait mal. Car Star Wars n’a eu aucune descendance : le space opera n’a pas fleuri comme genre cinématographique, et il a fallu attendre près de quarante ans pour qu’éclose une nouvelle tentative (beaucoup mieux réussie, John Carter)
Condescendance et mépris, quelles meilleures dispositions d’esprit pour aller voir un film ? Pas de risque d’être déçu, en effet.
Et ce raisonnement marche ; force est de constater que l’on ne s’ennuie pas à ce Star Wars. L’ensemble est plaisant, et il y a même de grands moments, qui sont maintenant relevables. (Il est à supposer que tout le monde a vu Le Réveil de la Force, non ?)
Le début est excitant, le nouveau méchant est magnifique (il faut dire que c’est notre chouchou des Girls), son dilemme est formidablement géré et crée une surprise totale, le duel nocturne dans la neige est splendide, et le retour de Luke est particulièrement émouvant. On oubliera les prestations pitoyables de Harrison Ford et de Carrie Fischer, ainsi que le pénible intermède dans une nouvelle Cantina moyenâgeuse.
Car comme tout JJ Abrams qui se respecte, tout cela est très bien fait. Cependant, on reste en territoire connu, et même ultra balisé. On a d’ailleurs du mal à comprendre les précautions prises par Disney pour que rien ne fuite avant la sortie, car Le Réveil de la Force n’est rien d’autre que le scénario du IV, V, VI**.
Ce que les fans appellent hommage se nomme plutôt copier-coller. Un héros vit une vie miséreuse sur une planète désertique ; il ressent l’appel de la Force. Il y renonce une première fois, pour accepter finalement la deuxième. Dans l’espace, le Côté Obscur a bricolé une planète qui permet de détruire, avec un rayon lumineux, d’autres planètes*. Il est tout à fait symptomatique que Star Wars, même sous les mains de très bons scénaristes comme JJ Abrams et Lawrence Kasdan, soit incapable de produire un autre scénario-type que le Star Wars de 1977.
Dans Star Trek, il y a eu cinquante façons de détruire l’univers. Dans Star Wars, il n’y en a qu’une. Parce que le space opera ne produit que ce genre de clichés. C’est sa génétique, son ADN, et c’est ce côté hamburger de chez McDonald’s qui ravit les foules. Toujours le même goût quarante ans après : contrebandiers de l’espace, monstres en plastique, histoires de famille façon tragédie grecque, et duels au sabre laser.
C’est déjà beaucoup, mais en même temps, c’est très peu.
* Ce qui est expliqué en détail ici, vidéos à l’appui…
** A voir : les 18 similarités relevées par Entertainment Weekly.