lundi 29 février 2016


Seuls les Anges ont des Ailes
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Quand un film vous émeut encore quatre-vingt ans après, quand un film vous fait toujours rire ou pleurer, c’est que vous avez affaire à un vrai chef-d’œuvre*. Seuls les Anges ont des Ailes est de ceux-là ; un classique, en vérité, et le premier véritable film Hawksien du renard argenté d’Hollywood, comme le surnomme Todd McCarthy.

Seuls les Anges ont des Ailes, c’est la fin des brouillons, le début d’une œuvre. Une histoire qui aurait pu être inspirée par Saint-Exupéry, si l’auteur de Vol de Nuit avait consenti à glisser un peu d’humour à son anxiogène chronique de la Cordillère des Andes. Dans Seuls les Anges ont des Ailes, on suit ces casse-cous des années trente, cette époque glorieuse et hautement périlleuse de l’aviation, où des hommes risquent leur vie jour et nuit pour transporter du courrier (et de la dynamite !) sous les ordres d’un chef cynique et désespéré, Geoffrey Carter (Cary Grant), dans la petite ville portuaire de Barranca (Baraka ?)

Arrive alors Bonnie Lee, une jeune fille qui fait escale. Immédiatement draguée par les pilotes, mais ignorée par leur chef. Pourtant, c’est Jean Arthur, et on a connu Cary Grant moins regardant. Mais on sait qu’on vient d’entrer dans le modèle Hawksien : Je te kiffe mais je te méprise, dirait la Jean Arthur d’aujourd’hui. Ou va, je ne te hais point, celle de 1637. Celle de 1939 ne dit que ça : Je t’aime, mais je veux que ce soit toi qui me désire**.

Quand cet enjeu a bien été créé, et qu’on a joué des astuces du casting à contretemps (Bonnie Lee est dragué par deux acteurs beaux mais inconnus ; où est donc la star masculine, se demande le spectateur), Hawks fait entrer… Rita Hayworth. La future Dame de Shanghai, la future Gilda, est l’explication de la dépression grantienne. Elle est partie, et il l’a laissé partir… Elle revient avec Bat (Richard Barthelmess), son mari, pilote au lourd passé.

Ces deux histoires d’amour contrariés vont se superposer au récit d’aventure proprement dit : les convoyages chaque jour plus dangereux, et une pression financière qui s’accroit sur la petite compagnie aérienne.

Des hommes courageux confrontés à des situations extrêmes, des femmes fortes qui n’ont pas leur langue dans la poche, on est donc dans le prototype du film Hawksien, le premier qui réussit son vol inaugural… Des hommes en danger, comme dans Tiger Shark (Le Harpon Rouge, 1932), des pilotes au bord de la crise de nerfs, comme dans La Patrouille de l’Aube (1930, déjà avec Richard Barthelmess), des femmes courageuses, dans un port noyé dans la brume, comme dans Ville sans Loi (Barbary Coast, 1935), mélangé à un peu de screwball comedy (L’Impossible Monsieur Bébé, 1938, avec Cary Grant). Et déjà des vieux, grincheux mais courageux, comme dans Rio Bravo.

Tous les acteurs sont excellents, mais c’est le dialogue, drôle, ciselé, mitraillette***, qui met le film largement au-dessus du lot de la production Hollywoodienne. Mais surtout qui l’inscrit dans une forme d’éternité, car ces anges-là volent encore.

* « Je ne dis pas que le cinéma soit un art, je ne l’ai jamais dit, mais parfois une œuvre cinématographique est suffisamment réussie pour que l’on puisse la considérer comme œuvre d’art. C’est rare. Il faut un Wilder, un Wyler, un Ford, un Hawks. Il ne fait pas de doute que Seuls les anges ont des ailes est une œuvre d’art. » Jean-Pierre Melville
**« I’m hard to get, Geoff. All you have to do is ask me »
***dont le fameux « he wasn’t good enough » pour parler du premier mort, qui restera dans les mémoires




mercredi 24 février 2016


Steve Jobs
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Les mathématiques, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Et ça sert tous les jours, notamment quand on a un problème à résoudre au MK2 Bibliothèque. Problème du jour : que vaut réellement Danny Boyle ?

Posons l’équation suivante :

Si :
Aaron Sorkin + David Fincher = Social Network = 100,
et que :
Aaron Sorkin + Danny Boyle = Steve Jobs = 0,

alors, vous avez compris comme moi que Danny Boyle, c’est zéro.

Bon, c’est méchant de dire ça, mais Danny Boyle qu’est-ce qu’il a fait de beau dans sa vie ? Trainspotting ? Petits Meurtres entre Amis ? Sunshine ? Depuis, il a fait surtout Slumdog Millionaire, un film intenable.

Donc si l’on va voir le biopique du nouveau Léonard de Vinci, du Sauveur de l’Humanité, du Plus Grand Génie du XXe siècle, c’est bien pour prouver que Danny Boyle ne vaut pas David Fincher. Et c’est le cas.

Car là où la caméra boylienne tourbillonne dans les escaliers en quête d’une dramaturgie introuvable, le réalisateur de Seven et de Fight Club pose tranquillement sa caméra dans un coin pour achever le Chef d’Œuvre Invisible, traquant dans le visage du héros Zuckerbergien une rédemption qui ne viendra jamais.

L’idée de départ de ce Steve Jobs est séduisante sur le papier. Découper la vie de l’inventeur du PC design en trois actes (les fameuses keynotes du Mac, du Next, de l’iMac) ferait en effet une très bonne pièce de théâtre. Un seul décor, à savoir les coulisses, et dans ces coulisses, toujours les mêmes personnages : les fantômes d’Hamlet, ou les sorcières de Macbeth. Ce chœur grec va éclairer le parcours du grand homme : Lisa, sa fille qu’il a refusé de reconnaître (interprétée successivement par Makenzie Moss, Ripley Sobo et Perla Haney-Jardine), Joanna Hoffman, son assistante fidèle (Kate Winslet), son mentor, John Sculley, futur ex-PDG d’Apple (Jeff Daniels*), Steve Wozniak, le vrai génie technique d’Apple (Seth Rogen), et Andy Hertzfeld, le gentil ingénieur souffre-douleur (Michael Stuhlbarg**).

Cette idée s’avère désastreuse au final. Ce dispositif théâtral ne fonctionne pas du tout ici, car les scènes sont doublement, triplement répétitives. D’abord parce que c’est le mode d’humour pédagogique de Sorkin ; répéter les choses et faire rire pour expliquer des choses très compliquées. Ensuite parce que ces décors sont très semblables : escaliers, coulisses, loges. Et, enfin, parce qu’on y raconte à chaque fois la même chose : la préparation de la conférence (attention, il reste 5mn !), la radinerie de Jobs envers sa fille, les conseils pontifiants/amicaux de Sculley, l’amitié trahie avec Wozniak, la brutalité patronale avec Hertzfeld.

Bien sûr, on essaie de montrer une évolution du personnage (plus sympa avec sa fille, un peu réconcilié avec Sculley), mais on retombe vite sur le TESB, le Terrible Enjeu Secret du Biopic « Pourquoi un personnage aussi génial est-il aussi méchant ? » Cf. Alan Turing (Imitation Game), J.E. Hoover, l’american sniper Chris Kyle, etc.

Encore une fois, comme le disait Hitchcock, le spectateur ne vient pas au cinéma pour le pourquoi, mais pour le comment. On se contrefiche de savoir que Steve Jobs a été abandonné enfant, mais on veut savoir comment il va se dépatouiller de son ex hippie, de sa si gentille petite fille, de son encombrant associé chez Apple ou de ce satané problème de Mac qui ne veut pas dire « Hello ! ».

Tout cela, le film ne le fait pas, évidemment. On assiste donc à un mauvais Sorkin, c’est-à-dire un Sorkin comico-explicatif qui marche ailleurs (A La Maison Blanche, The Newsroom). Mais Aaron Sorkin ne trouve vraiment son apogée que lorsqu’il est mélangé à un artiste qui a un véritable propos (le marxisme sournois de Fincher, ou l’étude de caractère chez Bennett Miller).

Ici, c’est un documentaire plaisant***, correctement filmé, mais sans narration, sans histoire, sans intérêt. Malgré des dialogues brillants, on s’y ennuie la plupart du temps.

* Déjà patron chez Sorkin dans The Newsroom
** Génial Serious Man des frères Coen
*** Par ailleurs, et c’est toujours très énervant, les anti-Jobs, dont le Professore, applemaniaque repenti, assure la présidence, sortent furieux du film. Car, comme la tentative précédente avec Ashton Kutcher, ce n’est pas finalement un portrait à charge. A la fin de Steve Jobs, c’est toujours Steve Jobs qui gagne. Alors qu’on aura montré, pendant tout le film, le voleur, le tricheur, le radin, et le mauvais père et le mauvais patron, S.J. reste le grand gagnant du film. Il aura eu raison tout le temps (ce qui est avéré faux par n’importe quel spécialiste de l’informatique). C’est un visionnaire (mais Bill Gates ne l’est-il pas tout autant ?)
Certes Jobs a compris que les innovations des autres (la souris, le bureau, le MP3, le Smartphone) étaient mal packagées, et que lui, Steve Jobs, avait le moyen d’en tirer le meilleur. Mais dans ce milieu des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)****, le vol fait partie du jeu. Ces idées, Steve Jobs les a volées et se les est faites voler. Comme dans l’anecdote célèbre, reprise dans Pirates of Silicon Valley, où Anthony Michael Hall (Bill Gates) répond à un Steve Jobs hors de lui, qui accuse Microsoft d’avoir copié le « bureau » Mac pour son Windows :
« Mais Steve, toutes les voitures ont un volant ! Pourtant, personne n’essaie de faire croire qu’il en est l’inventeur ! ».
****Si justement dépeint (par ce grand magazine gauchiste qu’est Newsweek), comme les nouveaux Barons Voleurs du XXI° siècle : The ruthless overlords of Silicon Valley Rob Cox y comparait les GAFA aux Barons Voleurs, ces compagnies de chemin de fer sans foi ni loi de l’Amérique de 1830, et il appelait notamment à la création de de gardes-fous étatiques puissants : « their empires still needed to be regulated, reined in, and in some cases broken up by vigilant watchdogs”




lundi 22 février 2016


Questionnaire de Proust-Libé, version musique (quelques compléments d’information)
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Suite du questionnaire « musique » de Libé, avec de nouvelles questions :

Un disque fétiche pour commencer la journée ?
Le matin, j’essaie de me réveiller. Pour ça, rien ne vaut Europe1. 10mn de journal, 3mn de pub, 5mn de chronique, 3mn de pub, … la musique, c’est plus tard…

Votre plus beau souvenir de concert ?
Jesus & Mary Chain à l’Elysée Montmartre, dans les années 90’s. La quintessence du rock, selon moi. Hyper-bruyant, des fumigènes partout, les deux frangins Reid qui tiraient la gueule comme d’habitude et tournaient le dos au public. Et ce larsen final qui a bien duré dix minutes. Le temps que la fumée se dissipe, et qu’on comprenne que ça faisait bien longtemps que les J&MC était partis…

Le morceau qui vous rend fou de rage ?
Dans le bon sens : Holidays in the Sun, Johnny B. Goode, Sympathy for the Devil…
Dans le mauvais sens : Début de soirée, de Nuit de Folie (ou l’inverse)

Le dernier disque que vous avez écouté en boucle ?
Ca fait bien longtemps que je n’écoute plus de disque, a fortiori en boucle. Je n’aurais plus l’énergie d’écouter en entier un album. Je mets iTunes, et je zappe tout le temps.




jeudi 18 février 2016


Air Force
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Avec Air Force on se trouve à l’intersection (comme en troisième, vous vous rappelez, A inter B), du film de guerre et du cinéma de propagande. Donc évidemment ce qui est bien dans Air Force, c’est qui vient de Howard Hawks. Ce qui n’est pas bien dedans, c’est ce qui est du domaine de la propagande.

Ce qui est étonnant, c’est que le film fait beaucoup penser à Pearl Harbor, l’un des plus mauvais films de Michael Bay. Dans les deux cas, le film commence par le traumatisme de la défaite, et se termine de la même façon, par un déluge de feu sur les Japonais: le bombardement de Tokyo, ou celui de la flotte japonaise dans Air Force. Dans les deux cas, les américains gagnent à la fin, et prennent leur légitime revanche.

Le seul intérêt d’Air Force est, à vrai dire, d’y chercher les traces du cinéma Hawksien. Les gars du B-17 Flying Fortress sont pointus, héroïques, rigolos. On ne s’ennuie pas dans Air Force, car, comme d’habitude, les dialogues sont écrits à la mitraillette.

Mais on est quand même un submergé par la propagande, comme par exemple avec le méchant (John Garfield) qui refuse de servir son pays mais qui finira par le faire, convaincu par le patriotisme de ses camarades et la sauvagerie des japonais.

En tout cas, on est étonné par le contraste techniques entre quelques maquettes d’avions bricolées (qui rappellent celles de Seuls les Anges ont des Ailes, 4 ans plus tôt) et l’utilisation, par ailleurs, de vrais avions. Le début en fait, d’une fructueuse collaboration avec entre Hollywood et le Pentagone*. Une stratégie que va industrialiser Don Simpson, Jerry Bruckheimer et… Michael Bay.

* Comme décrit dans le livre de Jean-Michel Valantin : Hollywood, le Pentagone et Washington, les trois acteurs d’une stratégie globale
Editions Autrement, 2003




lundi 15 février 2016


Un Homme Très Recherché
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Que dire d’Un Homme Très Recherché ? Qu’il est filmé par Anton Corbijn qui n’a rien fait de bien depuis Control, son premier film ? Qu’il y a des acteurs que nous adorons comme Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Willem Dafoe, Robin Wright, Daniel Brühl ? Que c’est adapté d’un livre de John Le Carré ? C’est-à-dire, en deux mots, le seul espionnage que nous goûtons, sans gadget, sans fusillades, sans effets spéciaux mais à base de manipulation et de psychologie…

Malheureusement, cet Homme Très Recherché est surtout très banal. Un migrant arrive clandestinement à Hambourg. Est-ce un terroriste en devenir, ou quelqu’un qui cherche une terre d’asile ? Entre ces deux solutions, le cœur balance entre le maître espion (Philip Seymour Hoffman), et l’avocate au grand cœur (Rachel McAdams).

À part la fin, très étonnante et parfaite, le reste est ennuyeux au possible. Malgré la patine moderne (caméra au poing, maîtrise graphique dans des décors réels, acteurs crédibles), on a l’impression de se promener très lentement dans un film des années soixante-dix. Le scénario, les dialogues semblent peser des tonnes, malgré le talent des comédiens qui essaient de l’alléger. Les situations sont ultra convenues, à l’image de la relation crypto-amoureuse entre le réfugié et l’avocate.

C’est paradoxal, car le propos est très contemporain : les islamistes, les conflits entre l’Europe du renseignement et la CIA, et la politique du résultat qui gâche le travail de fond d’infiltration, dont les acteurs de cette tragédie seront les victimes directes ou futures…

« To make the world a better place ». Rendre le monde meilleur, dit à un moment l’agent Bachmann (Philip Seymour Hoffman). Cette phrase est très belle, car elle est dans sa bouche à la fois ironique et totalement sincère.

Ironique et totalement sincère, c’est ce qu’est cet Homme Très Recherché.




vendredi 12 février 2016


Under the Skin
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Pourquoi Scarlett Johansson fascine-t-elle autant les cinéastes ? Elle est très belle, bien sûr. Mais sa beauté est légèrement étrange, pas totalement dans les canons classiques de la beauté hollywoodienne du modèle mondial (Jennifer Lawrence, Anne Hathaway, au hasard).

C’est surtout, on peut le penser, l’extrême plasticité de Scarlett Johansson qui en fait un rêve de metteur en scène. Capable d’une beauté éclatante (la Kay Lake du Dahlia Noir chez de Palma), ou plus modeste, plus vulgaire, de la fille d’à côté chez Joseph Gordon-Levitt (Don Jon), ou encore d’incarner fantasme redhead absolu : La Veuve Noire des Avengers.

D’où vient que bien souvent, l’on a vu Mrs Johansson errer à tous les étages de la maison cinéma ; le blockbuster à haut degré d’octane (Avengers, The Island, Lucy), le cinéma indépendant top crédibilité (Lost in translation, Her, The Barber), la romcom (Ce que Pensent les Hommes, Nouveau départ, #Chef), sans oublier (deux fois) l’inévitable passage chez Woody Allen où elle était parfaite en fille légèrement pompette (Match Point), l’un des meilleurs crus récents du cinéaste newyorkais.

Ici, dans Under the Skin, (la même année que Lucy !) Scarlett Johansson se met à nu, physiquement et moralement.

En n’ayant pas l’air de faire grand’chose : simplement promener ce visage d’habitude si souriant, et cette fois-ci énigmatique, voire terrifiant, et sa coupe de cheveux brune, dans les causses désertiques des Highlands ou dans un Glasgow surpeuplé.

Adapté du livre de Michel Faber, Under the Skin est une histoire de chasse. Une extraterrestre séduit les hommes et les tue. Il n’y a pas d’autre histoire. Tout est dans le traitement de cette idée basique. Que peut penser un alien dans un corps de femme qui tue sans morale tout ce qui tombe à sa portée ? Et qui essaie de comprendre ce corps, cette planète et ces insectes qui rampent à sa surface ? Cette inquiétante étrangeté trouve un réceptacle parfait dans le visage impassible de Scarlett Johansson.

Si le thème a souvent été traité, des Envahisseurs à Predator, c’est la première fois qu’un film s’y attelle de façon sérieuse et artistique. Placé sous le haut patronage de 2001 et de David Lynch, le film est une extraordinaire performance artistique. Beaucoup ont invoqué les mânes de Kubrick et de Lynch, peu ont atteint les maîtres. Mais ici tout est parfait, à commencer par la photographie qui est capable de passer du reportage de rue à l’expérimentation graphique pure, et servi par une musique entêtante, étrange elle-même, parfait support des émotions – si jamais elle en a – de l’alien Scarlett Johansson.




mardi 9 février 2016


Creed
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Ici, on n’est pas très Rocky. On est plutôt Rocky Horror. Plutôt lingerie noire et bas résille que short Everlast et gants de boxe. Plutôt « I didn’t make it for you ! » que « Adrieeeene !!! ». Même si, bien sûr, on a vu tous les Rocky de la grande époque (I , II, III, IV) au ciné ou à la télé. Même si on ne croit pas que le premier Rocky est un film d’auteur ; qu’on ne croit pas non plus que Stallone est un grand scénariste, même si c’est lui qui a tout fait dans Rocky. Et que nous n’avons jamais été franchement fasciné par l’incroyable innovation dramaturgique qui consiste à faire perdre un combat à Rocky pour qu’il gagne moralement le film.

Donc, si on va voir celui-là, c’est pour une toute autre raison que Sylvester Stallone. Pour une seule et bonne raison : Michael B. Jordan. C’est aussi pour lui que vienne deux jeunes garçons de quatorze ans. Parce qu’à quatorze ans, on sait déjà ce que c’est qu’un grand d’acteur. A trente ans à peine, Michael B. Jordan a déjà joué dans trois des meilleures séries américaines : un petit rôle dans les Sopranos, Wallace, l’ado déchirant de The Wire, et le jeune quarterback noir, le Vince Howard de Friday Night Lights*.
Vérifier que Michael B. Jordan est le nouveau Denzel Washington : pas de meilleure motivation pour aller voir Creed.

Au début, nous sommes dans un Rocky traditionnel. Adonis (Jordan) est le fils bâtard d’Apollo Creed, recueilli par sa veuve, qui l’élève comme une mère dans le confort douillet de Beverly Hills. Mais Adonis préfère quitter un job prometteur pour boxer – attention métaphore ! – les fantômes du père. Cette partie-là est la plus ratée de Creed. Car tout simplement, on aurait pu expliciter ce trauma originel, plutôt que de le survoler. Mais rappelons-le, nous sommes dans un Rocky.

Le film commence réellement à décoller quand Adonis part à la recherche de ses racines, downtown Philadelphia, quand Adonis retrouve Rocky Balboa.

Sylvester Stallone en restaurateur septuagénaire qui a du mal à soulever un filet d’oignons, c’est la première grande idée de Creed. Stallone vieilli, inaudible, cassé, mal rasé, le chapeau ridicule indubitablement vissé sur le crâne, c’est probablement le meilleur rôle de Stallone depuis Copland.

Et c’est là le coup de génie de près de Ryan Coogler**, c’est d’avoir décentré la saga Rocky en passant de Stallone boxeur à Stallone mentor. Les premiers combats de boxe, avec leurs faux plans séquences dont seuls les initiés verront les coupes, sont tout aussi magnifiques***.

Dans la troisième partie, on retombe un peu dans la faiblesse Rockyenne, « le Vrai combat est en toi », « Perdre pour gagner », « la rédemption par la douleur », …

Et si la morale finale reste un peu planplan, un nouveau Rocky est né.


* Et Les 4 Fantastiques, et Fruitvale Station, et Chronicle
** déjà auteur de Fruitvale Station
***Par ailleurs, on reste baba (comme devant tous les films de boxe) devant l’abnégation des acteurs américains, prêts à se plier à une discipline de fer pour se sculpter un corps d’athlète et être capable de simuler un combat en mémorisant tous les coups.




dimanche 7 février 2016


Hitchcock/Truffaut, le doc
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films -Les gens ]

L’idée était très excitante a priori : mettre en image le chef d’œuvre de Truffaut sur les chefs d’œuvres d’Hitchcock. On avait le texte, les photos, et – miraculeusement retrouvé – la bande son. Illustrer les grands principes du Maître à base des séquences cultes de ses films, voilà qui allait avoir de la gueule. Et en plus, sous le haut patronage de réalisateurs connus et respectés : James Gray, Martin Scorsese, Paul Schrader, Wes Anderson, David Fincher, Arnaud Desplechin, et Olivier Assayas.

Malheureusement, le résultat est assez convenu. Seules quelques séquences sont illustrées (Vertigo, Les Oiseaux) et pas très analytiques, pas très pédagogiques. Par contre les stars parlent beaucoup, comme dans le moindre making of du marché, pour dire que Hitch était un génie.

Ce n’est pas toujours inintéressant, mais malheureusement, Hitchcock est plus passionnant.




vendredi 5 février 2016


Topten 2015
posté par Professor Ludovico dans [ Les films -Playlist ]

Triste Topten.

Chaque année, depuis vingt ans, l’ami Philippe réunit quelques camarades pour que l’on s’écharpe sur les films de l’année. Force est de constater que la belle équipe s’étiole de plus en plus. Nous étions vingt, nous voilà six. L’humain est un animal social, qui vieillissant, se désocialise. Le couple, les enfants, PSG – St-Etienne, un marathon à préparer : toujours les mêmes excuses pour réduire les occasions de se réunir en commun. Mais du point de vue cinéphilique, est-ce vraiment le problème ? Les gens qui ne vont plus au cinéma voient-ils vraiment plus de films à la télé ? Y a-t-il une séance de rattrapage ? Je ne le crois pas.

C’est tout simplement l’évolution du cinéma auquel nous assistons en direct. Récemment, mon fils que j’ai emmené voir Alien a avoué ne venir « que pour me faire plaisir » car s’il adorait voir des films, il préférait les voir tranquillement chez lui, devant la télé. Où l’on peut se lever, répondre à Snapchat, et revenir avec un Oreo dans la bouche, et un verre de lait à la main. Autre témoignage concordant, le stagiaire de Philippe, qui travaille pourtant dans l’Industrie, préfère aussi voir les films en streaming, à commencer pour de basses raisons financières. Il y a vingt ans, où il était déjà sacrilège de voir les films à la télé, le pauvre stagiaire n’aurait pas fait long feu dans une PME du court métrage. Mais aujourd’hui que tout est accessible en un clic, la tentation est grande, même pour le meilleur des cinéphiles, de rester à la maison.

En clair, qu’est-ce que ça veut dire? Est-ce que la prédiction de Lucas/Spielberg en 2013, sur la broadwaytisation du cinéma, est en route ? C’est à dire le cinéma comme super-industrie produisant quelques mégafilms à 500M$ en 3D soundsurround et fauteuils qui tremblent comme au parc d’attraction, à 50$ la place ? une somme que les spectateurs seraient prêts à payer pour un spectacle extra-ordinaire impossible à rendre sur une tablette Surface ? Et que justement, le reste du marché, les fictions normales, les comédies, les drames intimistes seraient réservés à votre télé ou à votre tablette ?

Le Topten de cette année révèle cela : pour ma part, je suis allé voir des films extrêmes. Je suis allé voir des oeuvres qui, je l’espérais, arriverait à me surprendre, ou qui seraient de toute façon difficiles à voir ailleurs : Pulp – a Film about Life, Death & Supermarkets, Dear White People, The Duke of Burgundy, Cousin Jules, Back Home, Il est Difficile d’être un Dieu…

De leur côté, mes petits camarades sont plutôt spécialisés dans le film français. Mais, de toutes façons, nous étions tellement dispersés qu’un classement ne veut plus rien dire. Telles des galaxies s’éloignant sous l’effet du Big Bang, nos goûts s’écartent à grande vitesse. Et quand nos tickets de cinéma se croisent (Seul sur Mars) c’est pour découvrir avec horreur que l’un l’a mis dans son Topten tandis que l’autre l’a balancé dans la poubelle de son BottomFive.

Mais trêve de ratiocinations : voici mon Topten 2015 :


1 Pulp – a Film about Life, Death & Supermarkets
2 Joy
3 Le Fils de Saul
4 Foxcatcher
5 Dear White People
6 The Duke of Burgundy
7 Trois Souvenirs de Ma Jeunesse
8 La Isla Minima
9 Dheepan
10 Le Pont des Espions

Et mon BottomFive :

1 Il est Difficile d’être un Dieu
2 Seul sur Mars
3 Mia Madre
4 Girls Only
5 Imitation Game

Quant au Topten de mes petits camarades, pas si français que leur fréquentation cinéma :

1 Nous 3 ou Rien
2 Marguerite
3 Star Wars VII – Le Réveil de la Force
4 la Loi du marché
ex aequo avec :
5 Vice et Versa
6 Mustang
7 Mon Roi
ex aequo avec les trois derniers :
8 Mad Max Fury Road
9 American Sniper
10 Snow Therapy

Et leur Bottom unanime :
1 On Voulait tout Casser

Les autres, comme expliqué ci-dessus, n’étant pas départageables…




mardi 2 février 2016


Mia Madre
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

On a beau aimer Moretti, Mia Madre était un peu sa dernière chance. On s’était ennuyés à mourir à Habemus Papam, et on s’ennuie aussi très fort à Mia Madre.

Le thème est séduisant et, paraît-il, autobiographique : une réalisatrice doit tourner son film tandis que sa mère est mourante. On comprend que Moretti, à qui c’est arrivé justement sur Habemus Papam, veuille prendre un peu de distance avec le sujet, en se donnant un autre rôle, à l’opposé de son personnage public. En l’occurrence, celui du frère de la réalisatrice, calme et posé, et clairvoyant face au décès qui s’annonce.

Mais ni l’un ni l’autre ne sont crédibles. Moretti est bien meilleur quand il fait son numéro d’excité narcissique, énervé après tout le monde. Et Margherita Buy, qui a de beaux yeux verts tout tristes, est bien peu crédible en metteuse en scène. Molle tout le temps, elle s’énerve soudainement contre son équipe, à leur surprise comme à la nôtre. On reconnait bien sûr Moretti ; c’est donc lui aurait dû jouer le rôle, ou quelqu’un qui aurait pu « faire du Moretti ».

Quant au « film dans le film », qui est en général une bonne idée, c’est là aussi une idée toute molle. Les incidents de tournage sont faibles et étirés au possible (le gag de la caméra qui cache le parebrise !) Et John Turturro, acteur vénéré ici, n’a pas un rôle de star-connard US à sa (gigantesque) mesure. Et c’est sans parler de la mourante, qui semble en meilleure santé que ses enfants et petits enfants… Le tout filmé comme une dramatique de France3.

Moretti l’avait dit lui-même dans une interview très clairvoyante à Libé : « Quand j’étais jeune,[…] je me forçais parfois à aimer tel ou tel film. Aujourd’hui, si je vois un film qui ne me plaît pas, même si c’est celui d’un cinéaste que j’admire, je ne me mens plus sur mes goûts. »

Et bien nous en sommes au même endroit, cher Nanni : nous n’allons pas nous fatiguer à voir des films qui ne méritent pas d’être vus.