Ici, on n’est pas très Rocky. On est plutôt Rocky Horror. Plutôt lingerie noire et bas résille que short Everlast et gants de boxe. Plutôt « I didn’t make it for you ! » que « Adrieeeene !!! ». Même si, bien sûr, on a vu tous les Rocky de la grande époque (I , II, III, IV) au ciné ou à la télé. Même si on ne croit pas que le premier Rocky est un film d’auteur ; qu’on ne croit pas non plus que Stallone est un grand scénariste, même si c’est lui qui a tout fait dans Rocky. Et que nous n’avons jamais été franchement fasciné par l’incroyable innovation dramaturgique qui consiste à faire perdre un combat à Rocky pour qu’il gagne moralement le film.
Donc, si on va voir celui-là, c’est pour une toute autre raison que Sylvester Stallone. Pour une seule et bonne raison : Michael B. Jordan. C’est aussi pour lui que vienne deux jeunes garçons de quatorze ans. Parce qu’à quatorze ans, on sait déjà ce que c’est qu’un grand d’acteur. A trente ans à peine, Michael B. Jordan a déjà joué dans trois des meilleures séries américaines : un petit rôle dans les Sopranos, Wallace, l’ado déchirant de The Wire, et le jeune quarterback noir, le Vince Howard de Friday Night Lights*.
Vérifier que Michael B. Jordan est le nouveau Denzel Washington : pas de meilleure motivation pour aller voir Creed.
Au début, nous sommes dans un Rocky traditionnel. Adonis (Jordan) est le fils bâtard d’Apollo Creed, recueilli par sa veuve, qui l’élève comme une mère dans le confort douillet de Beverly Hills. Mais Adonis préfère quitter un job prometteur pour boxer – attention métaphore ! – les fantômes du père. Cette partie-là est la plus ratée de Creed. Car tout simplement, on aurait pu expliciter ce trauma originel, plutôt que de le survoler. Mais rappelons-le, nous sommes dans un Rocky.
Le film commence réellement à décoller quand Adonis part à la recherche de ses racines, downtown Philadelphia, quand Adonis retrouve Rocky Balboa.
Sylvester Stallone en restaurateur septuagénaire qui a du mal à soulever un filet d’oignons, c’est la première grande idée de Creed. Stallone vieilli, inaudible, cassé, mal rasé, le chapeau ridicule indubitablement vissé sur le crâne, c’est probablement le meilleur rôle de Stallone depuis Copland.
Et c’est là le coup de génie de près de Ryan Coogler**, c’est d’avoir décentré la saga Rocky en passant de Stallone boxeur à Stallone mentor. Les premiers combats de boxe, avec leurs faux plans séquences dont seuls les initiés verront les coupes, sont tout aussi magnifiques***.
Dans la troisième partie, on retombe un peu dans la faiblesse Rockyenne, « le Vrai combat est en toi », « Perdre pour gagner », « la rédemption par la douleur », …
Et si la morale finale reste un peu planplan, un nouveau Rocky est né.
* Et Les 4 Fantastiques, et Fruitvale Station, et Chronicle…
** déjà auteur de Fruitvale Station
***Par ailleurs, on reste baba (comme devant tous les films de boxe) devant l’abnégation des acteurs américains, prêts à se plier à une discipline de fer pour se sculpter un corps d’athlète et être capable de simuler un combat en mémorisant tous les coups.