Mercredi soir, c’était assemblée générale CineFast. Après un imbroglio cinématographico-culinaire dont le Framekeeper a le secret – après avoir promis cuisine indienne et programmation suédoise (Bergmann) – il s’est rabattu comme par hasard sur le combo libanais/Mankiewicz. CineFast est une dictature éclairée…
Surprise néanmoins, car le principe de l’AG CineFast est de faire découvrir aux autres participants un genre ou un cinéaste qui leur est inconnu, par exemple, un film de vampires iranien. Chaînes Conjugales, au contraire, est un classique. Et un rapide sondage permet de vérifier que Snake ou Michel vaillant l’a vu aussi. Pour sa part, le Professore Ludovico l’a vu il y a bien longtemps, au Ciné Club.
Et même si la mémoire est défaillante, les souvenirs reviennent. Trois femmes, un twist final, ah, tiens, il y a Kirk Douglas, on avait oublié.
Chaînes Conjugales, c’est l’âge d’or, Hollywood avant la télévision et 1949, c’est l’âge d’or de l’Amérique.
Le pitch tient en très peu de choses. Trois amies (Letter to Three Wives) reçoivent une lettre d’une quatrième, absente, qui parle en voix off. Oui, vous l’avez reconnu, c’est le début de Desperate Housewives, hommage assumé au film de Mankiewicz. Elle leur annonce, au moment où ils vont encadrer une sortie d’école, qu’elle est partie avec un de leurs maris. Quelques indices préalables avaient déjà été posés, un mari trop bien habillé, l’autre ronchon, etc. Qui a perdu son mari ? On l’a compris, Addie Ross, la quatrième amie, est un McGuffin, on ne la verra jamais, juste une obsession des personnages – et, partant, du spectateur – pour permettre à Mank’ de déployer son histoire, et ses thèmes. L’histoire sera révélée, assez mal et assez vite, en cinq minutes à la fin.
Ce n’est pas le sujet de Chaînes Conjugales. Chaînes Conjugales, c’est la description millimétrée d’un monde qui s’écroule, l’Amérique corsetée par le puritanisme et l’après-guerre, joyeuse en apparence mais qui pète de toutes parts. La pire décadence possible est d’écouter la radio, et ses programmes abrutissants.
Mankiewicz s’appuie sur ses trois couples pour décrire cela : un couple progressiste, avec une femme qui gagne de l’argent (à la radio, tiens, tiens) et qui est moche, et son beau mari (Kirk Douglas, prof, amateur de Shakespeare (re-tiens, tiens)) qui n’en gagne pas. Une jeune vendeuse qui a épousé un riche propriétaire de chaîne de magasins, un couple d’intérêt, où chacun se harcèle à coup de bons mots. Et deux anciens militaires qui sont rencontrés dans la Navy, mais que la psychose guette.
Et c’est au travers de trois flash-back que Mankiewicz va explorer toutes les raisons qui font que le mari aurait pu quitter l’épouse en question. Dialogues qui fusent, ambiance orientée à la comédie mais où le tragique affleure en permanence. La fin de la culture, remplacée par les mass media, comme une illustration de L’Âme désarmée, le célèbre pamphlet d’Allan Bloom sur le déclin de l’Amérique. La fin du couple monolithique, où l’homme doit ramener l’argent. La fin de l’hypocrisie des rapports sociaux… Tout cela rend le film de Mankiewicz passionnant, bien plus riche que la plupart des films Hollywoodiens aujourd’hui.
Dialogues millimétrés, mise en scène classique mais totalement maitrisée. Des acteurs inconnus aujourd’hui*, mais Hollywood à son sommet, tout simplement.
*dont la troublante Linda Darnell, dont les volutes de cigarettes ne laissèrent pas le conseil d’administration de CineFast indifférent…