mercredi 26 juillet 2017
Les Fantômes d’Ismaël
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Et bien oui, tout arrive. Arnaud Desplechin est capable de rater un film. Et ça prouve une fois de plus cette évidence : il n’y a pas de formule. Ni pour faire un film à Hollywood, ni dans le cinéma français.
On est pourtant ici en terrain connu, dans le théâtre des faux-semblants desplechinesques. Hitchcock + Truffaut + Bergman. Tout ce qui nous plait d’habitude est là : amours impossibles étalés sur trente ans, film d’espionnage au Tadjikistan et comédie familiale dans le 6ème arrondissement, haut fonctionnaire du Quai d’Orsay et neurochirurgien, James Joyce, Bloom et Dedalus, Roubaix et Paris, tout y est.
En voisin, les amis d’Arnaud sont venus donner un coup de main, soit pour reprendre leurs rôles dans la saga (Mathieu Amalric, Samir Guesmi, László Szabó, Hippolyte Girardot), soit rejoindre la bande (Charlotte Gainsbourg ou Louis Garrel), soit revenir après une longue absence (Marion Cotillard, déjà à poil dans Comment je me suis disputé…ma vie sexuelle)
Tout ce beau monde essaie de faire le boulot, c’est-à-dire apprivoiser les vrai-faux dialogues, les narrations face caméra, et le surréalisme foncier des situations : La femme d’Ismaël (Cotillard*) revient après vingt ans d’absence et veut reprendre sa place en virant la nouvelle (Gainsbourg). Problème, on ne sait pas si c’est la réalité, un film, ou la folie. Si on aime Desplechin, pas de problème : on est en terrain connu et on aime ça.
Mais il faut le dire, cette fois-ci – et de façon inexplicable – la méthode du Docteur Desplechin ne fonctionne pas : Les dialogues irréalistes sonnent faux. Les situations sont invraisemblables et les personnages, pas crédibles. Le chaos général donne simplement l’impression… d’un chaos général.
Tout à coup, tout cela ne nous intéresse plus. Ce sera donc pour la prochaine fois.
* Prouvant une fois de plus qu’elle est une grande comédienne, même si ce n’est pas la tasse de thé du Professore. Elle reste à l’aise dans le faux jeu desplechinien, alors que Charlotte Gainsbourg s’y noie.
jeudi 20 juillet 2017
Dunkerque
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le 25 janvier 1077, Henri IV, futur empereur germanique, alla s’agenouiller pied nus dans la neige de Canossa pour se faire pardonner du pape et lever son excommunication. Aujourd’hui, le Professore ne va pas à Canossa, mais à Dunkerque, où on peut le voir, pied nus dans l’écume mousseuse de la Mer du Nord, s’excuser devant la statue du Commandeur Nolan.
On a beaucoup, sur CineFast, dit du mal de Christopher Nolan : après 3 ou 4 films réussis (Memento, Insomnia, Le Prestige), le Stanley Malick anglais semblait s’être perdu dans un genre qu’il avait lui-même créé : le blockbuster faussement intello. Ou plutôt, le film à la carapace auteuriste (The Dark Knight, Inception), qui, une fois décortiqué comme un gambas par tout cinéphile de plus de quinze ans, se révélait aussi épais qu’un papier à cigarette de la marque Michael Bay, version gauchiste.
Nolan, en effet, n’avait jamais les idées claires, ni politiquement, ni scénaristiquement. Son Dark Knight Rises pouvait laisser croire à une critique féroce du capitalisme émise par Catwoman elle-même : «how you could live so large and leave so little for the rest of us ? ». Et puis on découvrait que ces hackers, ces révolutionnaires métaphoriques à la Occupy Wall Street étaient en fait… les méchants ???
Côté scénario, il y avait la même profondeur abyssale. Inception pouvait se résumer à un jeu vidéo interminable joué par des espions internationaux dans le cerveau d’une victime dont on ne savait plus très bien à la fin ce qu’on voulait lui extorquer. Interstellar était un sous-Contact filmé par les Bodganoff : Papa te parle en morse au-delà de l’espace et du temps. Sans parler des Batman, aux scénarios nativement ineptes.
En fait, Christopher Nolan était un très brillant fabricant de perles, mais un mauvais enfileur sur collier. Il y avait des scènes, des dialogues, des acteurs incroyables dans son cinéma (la tirade du Joker, la fin d’Inception, l’introduction pré-apocalyptique de Insterstellar). Nolan croit dans le cinéma, il sait, comme Kubrick, comme Hitchcock, comme Spielberg, incarner une idée cinématographiquement. Mais contrairement à eux, il ne tient pas la distance. Ces moments de bravoure n’arrivent jamais à être assemblés en un film complet, adulte, et cohérent.
C’est donc plein de morgue (mais encadré par le Commissaire du Peuple Karl Ferenc), que nous avons abordé les plages de la Côte d’Opale. Avec la conviction que ces syndromes allaient se répéter, doublés d’un mauvais goût historique quasi garanti dans une production US à 200M$ : héros britannique beau gosse (Harry Styles des One Direction) qui filerait la love story avec une jolie infirmière française jouée par Miley Cirus, et serait probablement tué par une balle perdue de la Wehrmacht dans les dix dernières minutes…
Las. Après quinze minutes incroyables – du cinéma à l’état pur – on savait déjà qu’on avait tort, et que Christopher Nolan se trouvait à la croisée des chemins. Soit il continuait tout droit, et le chef d’œuvre était au four, soit il prenait la mauvaise route, et le film échouerait à la marée basse de ses ambitions.
Ces croisées des chemins, il y en a des dizaines dans Dunkerque. A chaque fois, on se dit que Nolan va prendre la mauvaise route, mais non, il évite les obstacles habituels : le cliché, la métaphore ratée, la situation irréaliste. A chaque fois, Nolan apporte la bonne réponse.
Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu un tel strike au cinéma. Et là, on est obligé de s’incliner. Un peu comme le James Cameron qui réussit tous ses paris de Titanic, Nolan fixe à Dunkerque toutes les ambitions, et les réussit toutes. Faire un film d’auteur. Un blockbuster. Une reconstitution historique léchée. Patriotique mais aussi critique. Un film humain. Un grand spectacle. Avec des stars. Qui ne mangent pas le film. Avec des débutants. Qui sont formidables. Un film expérimental. Une musique incroyable.
On a vu évidement des centaines de films de guerre. Certains réussis, filmé à hauteur d’homme ; Week end à Zuydcotte, Il Faut Sauver le Soldat Ryan. D’autres, pathétiques reconstitutions empesées de propagande : Le Jour le Plus Long, Un Pont Trop Loin. Mais comme le dit le Capitaine Ferenc, on est clients des deux.
Mais Dunkerque se situe au-dessus : La Ligne Rouge, Le Pont de la Rivière Kwai, tout en restant foncièrement un film Nolanien. Un Nolan qui se tient enfin debout, de bout en bout. A l’instar de sa musique qui ne s’arrête qu’à la fin de la dernière scène, nous laissant, comme les personnages, épuisés et heureux.
dimanche 16 juillet 2017
Scarface
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Scarface n’est pas simplement le film-référence de la planète rap, c’est un classique. Pour la huitième fois on regarde Scarface, le Scarface de De Palma. Le remake de la version d’Howard Hawks, déjà un très grand film, déjà un très grand scandale. Évidemment, il y a un objectif pédagogique (le cinéma, c’est pas fait pour s’amuser) : montrer au Professorino ce que c’est qu’un vrai trafiquant de drogue, et pas ce pseudo réalisme à la Narcos.
Ce qui frappe de prime abord, trente ans après, ce n’est pas tant que le film ait vieilli, mais plutôt qu’on voit que c’est devenu un petit budget, par rapport aux standards actuels. 25M$, c’était quelque chose. Mais vu d’aujourd’hui, il y a peu de décors : le garage de Frank, la boîte de nuit Babylone, le repaire du colombien à Miami Beach et évidemment, la maison de Tony, iconique palace romain tout de noir et d’or… et futur cercueil des rêves de Tony Montana.
Cela étant dit, la polémique de l’époque a totalement disparu : Le Figaro Magazine et François Chalais sont bien loin, eux qui reprochaient à De Palma de détruire le film de Hawks à cause du trop grand nombre de « Fuck » dans le scénario. Et qui vouait Pacino aux gémonies, lui l’acteur adulé du Parrain, pour s’être ainsi commis dans un film de si bas étage. Il est évident aujourd’hui que c’est l’une des plus grandes performances de Pacino, si ce n’est la plus grande. Quant aux dialogues, ils sont devenus cultes, mètre étalon, tout comme la violence (qui nous semblait apocalyptique en 1983, tronçonneuse, massacre final et tutti quanti) est devenu standard du genre.
Au contraire, ce qui ressort aujourd’hui, c’est la tragédie shakespearienne qui irrigue tout le film. Richard III incestueux, Tony Montana détruit tout sur son passage ; patrons, partenaires, alliés, amis, et même sa si chère sœur, l’adorable Ophélie-Gina (Mary Elizabeth Mastrantonio). Une Lady Macbeth cokée, Elvira (Michelle Pfeiffer) tente de guider son roi fou vers les sommets, tandis que les Rosencrantz et Guildenstern cubains se font massacrer à coup de M-16. C’est cette tragédie-là, cette histoire de petit gars des favelas qui embrasse le rêve américain, qui croit que tout est possible, et que oui, The World is Yours, qui fait de Scarface, version de Palma, tout autant un chef d’œuvre que son illustre prédécesseur. En délocalisant de Chicago à Miami, De Palma ne fait pas que moderniser le film ; il continue de raconter l’histoire de l’Amérique.
vendredi 14 juillet 2017
Factory Records, Depeche mode et Pulp
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Trois bonnes nouvelles en une : les excellents étés d’Arte sont cette fois-ci consacré à l’Angleterre et à la programmation Fish’n’Chips, y’a du lourd ; des films qu’on voit trop rarement sur petit écran et donc inratables si vous aimez la musique, l’Angleterre, la pop et le cinéma.
Samedi 15 à 0 :00, le meilleur documentaire réalisé sur ce que veut dire monter un groupe de rock : le fabuleux Pulp, a film about life, death and supermarkets.
Vendredi 21 à 22:50, 101, un très bon documentaire sur Depeche Mode et son concert au Rose Bowl de Pasadena.
Et juste après à 00:50, 24 Hour Party People, le docu-fiction barré de Michael Winterbottom sur la folle histoire de Factory et les groupes de Manchester, de Joy Division aux Happy Mondays, avec un impeccable Steve Coogan en Tony Wilson.
A ne pas manquer, donc.
dimanche 9 juillet 2017
O.J.: Made in America
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est l’histoire d’une injustice. C’est l’histoire de plusieurs injustices. Un horrible ping-pong entre noirs et blancs, dans un pays qui n’en finit plus de régler l’esclavage, la Guerre de Sécession, la ségrégation.
C’est tout cela que raconte O.J.: Made in America, le documentaire oscarisé qui raconte non pas seulement le procès du siècle, mais cette histoire de l’Amérique. Los Angeles, le LAPD, les émeutes de Watts de 1965, celles de 1992 et Rodney King, et le procès d’O.J. Simpson, le footballeur noir qui a tué sa femme et que tout accable, mais qui sera acquitté, comme une revanche de toutes les injustices précédentes.
Injustice sur injustice, plus exactement : O.J. Simpson perce grâce au foot dans le monde des blancs, car, comme le dit Johnnie Cochran, son avocat, il doit « courir plus vite, sauter plus haut » qu’un blanc pour atteindre les mêmes objectifs.
Lui qui ne s’intéresse qu’aux blancs, ne sera jamais présent auprès des noirs, sera pourtant sauvé par eux : deuxième injustice. Grace à un jury totalement acquis à sa cause, il s’en tirera malgré les faits, l’ADN, le mobile.
Puis parce qu’on délocalisera le procès, perdra 30M$ au civil, devant un jury parfaitement blanc. Dettes qu’il ne règlera pas… injustice, injustices.
Et dans un dernier rebondissement, ironie divine (parfois, contrairement à ce que disent les suédois, Dieu ne punit pas tout de suite), O.J. Simpson prendra trente ans de prison pour avoir menacé, bousculé, volé des collectionneurs d’objets sportifs… Là où nimporte qui prendrait deux ans.
Simpson avait échappé de son pire crime grâce à une justice à deux vitesses, parce que les blancs ne le considéraient pas comme un noir, et parce qu’il était riche. Redevenu pauvre, O.J. est soudain redevenu noir.
C’est ce que raconte O.J.: Made in America, incroyable documentaire, où, malgré la durée, on reste fasciné de minute en minute*. Tout en étant conscient que progressivement, l’Europe en général et la France en particulier glissent vers les mêmes tentations délétères…
O.J.: Made in America
En Replay sur Arte+7
* Et démontre au passage l’excellence de la fiction de Ryan Murphy, The People vs OJ Simpson
dimanche 9 juillet 2017
La Rivière Rouge
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Des machos confrontés à des situations dantesques ? Le jeune qui doit remplacer le vieux ? Des femmes pointues, courageuses, qui n’ont pas leur langue dans leur poche et peuvent dire leur fait aux mâles environnants ? Ben oui, bien sûr, on est chez Howard Hawks ! La Rivière Rouge, un des plus grands films du maître, 1948.
Le pitch : des cowboys doivent convoyer le plus grand rassemblement de longhorns (9000 têtes), en partant du Texas qui produit trop de bétail, jusqu’au Missouri pour aller nourrir les grandes villes du Nord. Qui elles, n’ont pas assez de viande. Le western, c’est toujours plus ou moins l’histoire de l’Amérique.
A leur tête, Dunson (John Wayne) un chef acariâtre, usé par l’âge, le célibat forcé, et une forme de tyrannie tranquille. Accompagné de Matthew (Montgomery Clift), son fils adoptif, recueilli quinze ans plus tôt d’une attaque indienne qui emporta le seul amour de Dunson. Mais sa tyrannie finit par lasser tout le monde, même Groot (Walter Brennan, oui le vieux de Barbary Coast et Rio Bravo). Le fils putatif reprend alors la main, se dressant contre son père adoptif.
Même si le final est très faible – une happy end imposée par Hawks qui ne voulait pas que ses héros s’entre-tuent sans aucune raison valable – le reste est excellent : l’incroyable stampede de nuit (une semaine fut nécessaire pour filmer la débandade de centaines de vaches), John Wayne dans un rôle étonnamment ambigu, Montgomery Clift, l’intello homo newyorkais crédible en cow-boy taiseux, l’inévitable Walter Brennan, Joanna Dru, John Ireland…
Un classique vous dis-je !
jeudi 6 juillet 2017
Dix bonnes raisons de ne pas aller voir Valérian et la Cité des Mille Planètes
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
CineFast, toujours au service du cinéphile pressé, vous facilite la vie en vous offrant directement dix excuses – à utiliser comme bon vous semble – pour éviter le dernier Luc Besson.
1. Le dernier Luc Besson ? Si seulement c’était vrai !
2. Le dernier bon film de Luc, c’est Le Dernier Combat*…
3. Il a déjà massacré une bédé de votre adolescence, Adèle Blanc-Sec, il va pas en plus massacrer celle de votre enfance !
4. Le cast est horrible (Cara Delevingne en Laureline et Dane DeHaan en Valerian). Enfin, moches…
5. Avatar était déjà laid, on va pas recommencer avec les fleurs bleues…
6. Avouons-le maintenant : Valerian, c’est bien jusqu’à ce que Laureline s’habille un peu sexy, c’est à dire jusqu’au dyptique Métro Châtelet direction Cassiopée – Brooklyn station terminus cosmos ; après, ça devient peu n’importe quoi… les Shingouz… Hypsis, Ralph le Glapum’tien,…
7. La bande annonce donne envie de vomir, un peu comme l’attraction Armageddon chez Disneyland Paris…
8. Le score n’est pas d’Eric Serra ; Si c’est pas Serra, j’y vais pas.
9. Y’a pas non plus Jean-Marc Barr ni Rosanna Arquette…
10. Désolé, j’ai pas fini The Leftovers…
* Franchement vous avez revu récemment Le Grand Bleu** ?
** Et posez-vous la question : pourquoi Subway ne repasse jamais à la télé… ?
dimanche 2 juillet 2017
Phase IV
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Phase IV, depuis vingt ans, faisait partie de la todo list du Professore ; un film de SF rare, sur l’invasion à venir des fourmis sur notre belle planète.
Rare, on comprend pourquoi ; Phase IV est une bouse innommable. Décors en cartons, musique sous-Pink Floyd, montage approximatif, et acteurs de seconde zone. On comprend aussi pourquoi c’était culte à l’époque : effet « spéciaux », musique angoissante, préoccupation écologiste, et surtout, impressionnantes images réelles de fourmis… Ce Microcosmos avant l’heure devait faire de l’effet en 1974. Pas un grand succès au box office, mais gagnant à la troisième édition du festival d’Avoriaz.
Saul Bass, designer de générique réputé (allez voir sur Wikipédia, ça fait peur, du Carmen Jones de Preminger à Casino de Scorsese) ne fera pas d’autres films. On comprend pourquoi. A mi-chemin entre La Chose d’un Autre Monde d’Howard Hawks (1951) et The Thing de Carpenter (1982), Bass ne sait rien tirer de ces scientifiques coincés dans leur base (en plus avec une jolie fille). Entourés d’ennemis, dont on sait depuis toujours qu’ils sont de l’intérieur.
De cette psychose qui gagne, du savant fou, de la jeune fille égarée, Bass ne fait rien. Les acteurs jouent donc en ligne droite, pieds nus sur des rails.